Trois jours du vendredi au dimanche, où un village de 2000 habitants voit sa population multipliée par dix, et où on voyage dans un autres temps, celui des vélos d’avant 1987, obligatoirement, et où l’habit faisant le moine, toutes les tenues des coureurs comme de beaucoup d’autochtones sont synchrones, à tel point que croiser un maillot du peloton pro du millénaire nouveau paraît totalement incongru, hors jeu complet.

L’idée d’une telle épopée est née en 1997 dans un café, autour d’un bar forcément rond, de la forme d’un vélodrome ou pas loin; en plein coeur d’années noires pour le cyclisme, Giancarlo Broci et ses copains ont pensé à revenir aux sources d’un vélo où on magnifie le culte de la sueur, de la fatigue, de l’héroïsme, bref une vision romantique du cyclisme. Celle de Magni, de Coppi ou de Bartali à qui il était demandé de redorer le blason de l’Italie sérieusement malmené par les années d’entre deux guerres et la seconde guerre mondiale.Les années où Alcide De Gasperi, le premier ministre Italien, demandait à Gino Bartali de performer sur le Tour de France 1948 pour que les grèves prennent fin et que le pays reparte enfin.

La première année, ce sont 92 guerriers qui vont remonter le temps et lancer la machine sur leurs machines d’époque, un peu comme le Roc d’Azur, en 1984, avec 7 participants, ils seront les pionniers et deux d’entre eux ont participé aux 20 éditions que compte cette Eroica à ce jour et le phénomène n’est pas prêt de s’arrêter.En 2016, ce sont neuf Eroica qui ont vu le jour: Eroica et Eroica Primavera en Italie, Grande-Bretagne, Californie, Limbourg, Afrique du Sud, Espagne, Japon, et la prochaine à Punta Del Este, en Uruguay, histoire de retrouver des Italiens ou leurs descendants qui ont, forcément, gardé leur amour du pays et du vélo! Le projet a donc largement évolué, les racines se sont développées, et l’équipe d’organisation sait marier tradition et modernité pour que l’événement évolue avec son époque et continue de s’implanter un peu partout dans le monde, mais tout en gardant les valeurs fondatrices.

 

Sur le vélo, comme dans les bureaux où « ça se décide » on est donc loin d’un public traditionaliste pour qui le « c’était mieux avant » sert de mobile, pour rester immobile et attendre que ça se passe. La France n’est pas encore dans le coup, ça viendra, on l’espère.

Le cahier des charges pour l’Eroica est donc simple: garder les traditions et les adapter aux temps modernes. Cet état d’esprit est prolongé sur tous les événements de par le monde, par la création d’un Eroica Café, d’un Eroica Ciclo Club où les membres bénéficieront d’avantages ciblés auprès des partenaires mais surtout d’inscriptions garanties aux événements ou l’Eroica primavera revue, organisée à Montalcino, où l’esprit sera de rouler mais aussi lever la tête du guidon avec des conférences sur le cyclisme vision modrene, autour de la nutrition par exemple. Côté partenaires, là-aussi les critères sont respectés, on a à faire à des marques qui ne sont pas là pour poser un logo, mais pour faire vivre l’Eroica si possible toute l’année, comme le font très bien Santini côté textile avec une magnifique collection qui va même jusqu’à Eroica Custom, où vous pouvez avoir le maillot Eroica personnalisé à votre club, association, etc…prévoyez neuf collègues autour de vous et le tour est joué!

 

Brooks les selles (150ème anniversaire) mais de plus en plus de produits tels que sacs, guidolines, vélos, embouts, casques, Elite les bidons et porte-bidons révisités à la sauce tradition et innovation, Bianchi qui lui-aussi est un partenaire naturel d’une telle épopée cycliste, parce que Itlaien, mais pas que…Des sociétés pour beaucoup Italiennes jusqu’au bout des rayons mais aussi une vision internationale avec Continental: quoi de mieux que des routes blanches avec des petits cailloux bien coupants pour voir si les flancs des boyaux ou des pneus sont résistants, et, une fierté Française, Mavic quoi de mieux….pour tester les roues? Venue avec la 504 jaune et rouge des débuts de l’assistance neutre (40 ans de Tour de France en 1977, ça se fête) pour assister en route, ils étaient partis pour le 75 kms, ils auront fait finalement seulement le 46 tant il y avait à faire côté réparations, car la course est partie et on est là pour parler vélo !

 

Les vélos sont tous d’avant 1987 obligatoirement, câbles de freins apparents, pas de pédales automatiques, pas de carbone, des vélos hauts en couleur quoi… et des tenues qui vont avec, époque Anquetil, Poulidor, Merckx, Van Looy, Géminiani, Lejeune et des dizaines d’autres nés, bien avant l’internet et Vélo 101. Le samedi soir, un concours d’élégance récompense les plus beaux vélos de décennie en décennie, avec une spéciale vélos Bianchi, bref de la course Kid Eroica le samedi après-midi en passant par les plaques de cadre ou les dossards tout est une affaire de tradition matinée de modernité, voire d’avant-gardisme. Matinée, justement, on est dimanche 2 octobre, 5 heures du matin et ça va partir.

Cinq parcours sont au programme des 6500 plus 500 invités, coureurs qui vont arpenter les Strade Bianche. 7000 inscrits et le nombre est limité par la taille du village de Gaiole In Chianti, qui accueille bien évidemment un village partenaires où Gios, Pinarello, Bianchi, et bien sûr de multiplesfabricants de textile, nœuds papillons, chaussures Pantaflo d’Oro, etc…exposent les pièces, maillots…que les collectionneurs s’arrachent. 46, 75, 115 (nouveau parcours) 135 et 209 kms sont au programme.

 

Départ à partir de 5 heures du matin pour les deux plus grands parcours, lumières obligatoires, le must c’est la première montée en routes blanches avec des bougies de chaque côté, la classe avant de voir le jour se lever sur les collines et tirer jusqu’à Montalcino, KM 82 et batailler avec les pentes qui mènent à ce qui est un des plus beaux villages de cette région d’Italie. 3700 mètres de dénivelé, sur ce grand parcours, avec des pentes à 15% sur route blanche, des chemins donc où la pluie de la veille a rendu la poussière en gras bien humide histoire de rendre approximatives les trajectoires. On apprécie d’autant plus, après l’avoir fait, ce que font les pros, à un tout autre rythme sur les Strade Bianche, des artistes sur leur vélo, respect.

 

Tous les parcours se méritent, 1500 mètres de D+ sur le 75 kms, moitié macadam, moitié routes blanches, un état d’esprit de gentlemen et women à vélo, 65 nationalités annoncées, beaucoup d’Italiens bien sûr, Allemands, Néerlandais, Espagnols, et Français qui viennent et reviennent sans sa lasser visiblement. Pas de classements, chacun fait tamponner sa carte sur les zones prévues, toujours jointes à un ravitaillement où il n’y a que des bons produits Toscans: tartines à l’huile d’olive, au vin di Chianti, au nutella, panforte (une sorte de nougât: excellentissime) des noix, du vin, des tartelettes aux fruits, etc….servis par des volontaires en tenues d’époque pour beaucoup, vous l’avez compris, Powerbar et ses cousins, circulez, vous n’avez rien à faire là! On est en Italie et les ravitaillements non officiels sont aussi autorisés…à Lucarelli, au pied d’une rampe en béton, le boucher qui a tout compris propose les tartines de rillettes, le vin rouge et la charcuterie qui vont bien, même Erik Zabel habillé « à l’Italienne » pendant tout le week-end, quelle classe! s’arrête de bon coeur et de bonne humeur comme tout un chacun.

 

Les vélos, les maillots, et l’ambiance est celle de bien avant le minitel, mais le public sur le vélo est parfaitement représentatif de toutes les générations, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes très présentes, on voit qu’on n’a pas à faire qu’à un public de l’époque Bartali-Coppi, loin de là, la preuve on y était….

 

A l’arrivée, dernier coup de tampon sur la carte, médaille commémorative et contemplation, on ne se lasse pas de regarder les maillots et les vélos d’époque, voire les tandems aussi, des vélos de ville revisités, le pompier de service avec son vélo et costume d’époque, les lunettes d’avant-guerre, celle des forçats de la route, bref un voyage dans le temps dont on ne se lasse pas. La pasta party d’arrivée est tout ce qu’il y a de plus Italienne, pasta avec sauce tomate et parmesan, charcuterie Italienne, Chianti, Panettone, tout ça servi très rapidement, rien à dire. Tutto va bene.

 

En conclusion de ce magnifique week-end, entouré de passionnés du vélo, de leur région, on souhaite que « l’autre pays du vélo » qu’est la France ait l’occasion de connaître un tel type de rassemblement, les musées du vélo fleurissent un peu partout, mais voir ces vélos en action, c’est quand même le meilleur moyen de les faire revivre, de les dépoussiérer et de susciter des vocations de remise en marche pour de vieux biclous qui ne demandent que ça. C’est tout le mal qu’on se souhaite, d’ici là on vous invite à découvrir, à compter de mercredi, la galerie photos Eroica que nous vous avons concoctée.