La municipalité de Bédoin a le sentiment de subir le flot du tourisme vélo qui ne dure que cinq mois par an, entre mi-mai et mi-septembre. Trois écoles ont fermé, c’est un signe fort pour les élus. Le signe qu’il est temps de ne plus subir, et au contraire, d’être acteur. Le projet All Bike, « incongru » au départ, parce que proposer de faire du vélo de piste au Ventoux… Apparaît comme une voie pour redynamiser le tissu local. C’est ce que nous explique Denis Fort, l’adjoint délégué aux finances, avec, à certains moments, beaucoup d’émotion dans la voix.

N’y a-t-il pas trop de cyclistes à certains moments au Ventoux ?

C’est vrai qu’il y a une problématique vélo. Les pentes du Ventoux sont mythiques, et considérées comme telles par le monde entier. Chaque cycliste veut, un jour ou l’autre, se confronter à elles. Ça nous fait de plus en plus d’affluence chaque année, et c’est un problème compliqué à résoudre car la route appartient au département. C’est simplement un tour de table qui nous permettrait d’envisager des solutions qui dépasseraient bien évidement le cadre de Bédoin, et qui mettraient la région au diapason de son ambition pour le tourisme, notamment celui du vélo, avec la mise en place de voies cyclistes correspondantes. Aujourd’hui, elles n’existent pas suffisamment, et singulièrement autour de Bédoin.

Il faut trouver des solutions de partage, peut être d’investissements, mais de partage de la route, d’éducation des uns et des autres, automobilistes et cyclistes. Il y a du travail à faire, mais ça n’a rien à voir avec le projet All Bike, et avec Bédoin. C’est forcément un enjeu régional.

Est-ce un débat que vous avez déjà avec le préfet, car le problème ne va cesser de prendre de l’ampleur ?

C’est un enjeu de plus en plus prégnant, car des cyclistes il y en aura de plus en plus. Le vélo électrique se développe, et ramène encore plus de monde sur les routes. Des gens qui n’y allaient pas par avant.

Donc, oui, le maire de Bédoin est en relation avec le préfet, c’est un enjeu qui est pris en compte au niveau départemental, mais également régional. Des pistes sont construites année après année, et on envisage des mesures de type partage de la route, construction de voies spécifiques pour les vélos, à terme. Aucune décision n’est prise, mais on travaille sérieusement sur cette question, car il y a des accidents, heureusement pas trop nombreux compte tenu de la masse des usagers.

Statistiquement, avez-vous des éléments sur les dernières années concernant les accidents ?

Nous avons à peu près une dizaine de personnes qui décèdent chaque année sur les routes du Ventoux, mais la plupart sont des accidents cardiovasculaires. Pour les accidents de la circulation, ce doit être de l’ordre de 2 ou 3 par an, et qui, d’ailleurs, peuvent ne rien à voir avec le vélo. Je vous parle de tout ce qui se passe dans le Ventoux, ça peut être comme l’année dernière, des accidents de motos.

Compte tenu de l’affluence, on a relativement peu d’accident, et peu de décès.

A ce sujet, nous allons créer une antenne au Chalet Reynard, pour permettre des interventions plus rapides sur les routes. Nous allons remettre en œuvre le Chalet Manin, situé juste en dessus du Reynard, qui va être réhabilité afin de servir de permanence pour une équipe de pompiers qui sera là durant la saison, 5 à 6 mois dans l’année, pour arriver plus tôt sur les lieux d’éventuel accident.

Concernant le projet, par rapport à la levée de bouclier qui a eu lieu  le 18 novembre, n’avez-vous pas un regret d’avoir communiqué trop tôt ou d’avoir été trop transparent ?

Tout a commencé lors du dernier « Passadou » avec les 3 lignes de l’édito du maire qui a parlé de ce projet. La question s’est posée alors qu’aujourd’hui, on a, honnêtement, pas grande certitude sur les investisseurs, la viabilité économique, l’autorisation du préfet, l’adhésion de la population. On a beaucoup d’inconnues, mais on a franchi une étape, c’est-à-dire que le porteur du projet, Mme Aragon, a signé une promesse de vente avec les propriétaires du terrain. Et, on s’est dit qu’on ne voulait pas qu’on puisse nous reprocher un jour que ce geste, qui est la première pierre de l’édifice, soit caché aux habitants. C’est pour ça qu’on a pris la décision, alors que le projet n’a pas encore grande consistance, d’en parler.

Ce qui nous met en difficulté par rapport au Collectif qui est contre le projet, c’est que nous n’avons pas grande chose à leur opposer, puisque nous n’avons pas suffisamment d’éléments sur lesquels communiquer, car nous l’avons fait dès les balbutiements.

Seriez-vous prêts, pour rassurer, à ce qu’il y ait une étude de marché, de faisabilité qui serait rendue publique ?

Parmi les inconnues auxquelles je faisais allusion, il y en a une, toute aussi importante, qui est la viabilité économique du compte d’exploitation prévisionnel. Il est évident qu’il n’y aura pas d’accord de la mairie, si le porteur du projet ne démontre pas sa viabilité économique, car nous ne voulons pas nous retrouver avec des friches, des choses à moitié construites qui resteraient en plan. Nous voulons donc avoir la certitude que le projet est bien mené, qu’il aura les segments de clientèles voulues, qu’elles seront valorisées en terme de chiffre d’affaire, de telle sorte, qu’au bout du compte, on n’ait une exploitation viable à terme, intégrant les frais financiers correspondants. Comme à la mairie, nous n’avons pas les compétences pour vraiment aller au bout de la compréhension d’un tel compte prévisionnel, nous demanderons certainement à des cabinets réputés, comme KPMG par exemple, de certifier ces comptes pour être certains qu’ils présentent une viabilité économique.

Pourriez-vous mettre dans le débat la question d’un fond de garantie qui permettrait, en cas de faillite, que le terrain soit en quelque sorte réhabilité ?

Il y a d’abord la certification du budget prévisionnel auquel je faisais allusion, et puis, un projet comme ça, ça se mène en plusieurs étapes. Nous avons donc l’intention de prendre des nantissements à chaque phase, de telle sorte que l’on soit sûr d’avoir quelque chose de « solide » pour franchir la suivante. Sachant, qu’au bout du compte, si le projet ne se faisait pas, le terrain resterait agricole, et la promesse de vente serait cassée.

Allez-vous garantir aux habitants que les impôts n’augmenteront pas en conséquence ?

La commune serait attaquable si elle consentait des avantages particuliers aux gens qui investiraient dans le cadre du projet. Donc, les impôts régulièrement votés dans le cadre du conseil municipal seront applicables là comme ailleurs.

Par rapport au volume d’emplois prévus, une centaine, comment allez-vous faire en sorte qu’ils s’adressent en priorité aux jeunes locaux ou régionaux ?

Dans le cadre d’un projet comme celui-ci, avec un hôtel 4 étoiles, un vélodrome, nous aurons des emplois très qualifiés, de techniciens, marketing, commerciaux, management… En gros deux tiers, pour un tiers d’un peu moins qualifiés, de ménage et d’entretien, mais dans un secteur très précis, loin d’un camping ou d’un hôtel 1 ou 2 étoiles. D’ailleurs, on parle d’emplois quatre saisons. Notre volonté est de faire en sorte qu’ils soient pérennes. Ce que nous envisageons, car il y a beaucoup de chômage à Bédoin, on en recense 235, c’est de créer des formations, des ateliers qui permettront de déboucher sur les postes en question qu’on aura profilés auparavant. Et, évidemment, au moment ou les embauches interviendront, ces gens là seront au niveau de compétences requis et choisis à niveau de compétences égales.

On parlait d’hôtel 4 étoiles, que pouvez-vous répondre aux personnes qui disent que celui de Crillon le Brave n’est déjà pas rempli, donc que celui-ci ne le sera pas non plus ?

L’hôtel de Crillon ne peut pas avoir 100 % d’occupation puisqu’il est fermé 6 mois déjà. De plus, c’est un 5 étoiles, c’est donc très différent. Le prix de la nuitée passe du simple au double. Donc, la clientèle n’est pas la même. Notre ambition est plus modeste, avec un 4 étoiles. Dans tous les cas, autour du Ventoux, il y a un déficit de structures haut de gamme.

Nous avons l’Hôtel des Pins à Bédoin qui est un 3 étoiles de 50 chambres, et qui marche bien pendant la saison. Nous ne voulons donc pas créer de concurrence, car, encore une fois, entre le 3 et le 4, il y a autant de différence qu’entre le 4 et le 5. Ce ne sont donc pas les mêmes clients d’un part, et d’autre part, nous espérons créer de l’activité en étant ouverts toute l’année et, peut-être par mimétisme, permettre aux autres d’ouvrir plus longtemps également parce que nous proposerons des évènements, de l’activité. C’est donc quelque chose qui ne peut qu’aller dans le sens du développement.

Seriez-vous prêts à faire réaliser une étude concernant l’adéquation sur les retombées que vous escomptez, les investissements publics que ça va supposer, et les impôts supplémentaires que ça va générer ?

C’est un petit peu compliqué, mais je peux répondre sur le principe.

Ce que ça va générer, d’abord en fonctionnement,  c’est la taxe foncière des entreprises, mais qui sera perçue par l’intercommunalité. Ce n’est pas Bédoin qui en profitera. Donc, en fonctionnement, la commune n’aura pas grand-chose à tirer de ce complexe au niveau fiscal.

Au niveau de l’installation, il y a les taxes d’aménagement qui sont faites pour créer, et donc financer des voies de circulation nouvelles, de desserte en rapport avec le projet.

Pour les retombées, le projet est piloté par un comité de suivi pour ce qui est de la commune.

Ce qu’il faut dire et marteler, c’est que le coût pour Bédoin est de zéro, et là on s’y engage. Par contre, ça va rapporter, tout d’abord par rapport aux emplois, puis concernant la mutualisation des infrastructures puisque certaines vont bénéficier au village. Culturelles telles que cinéma, galerie d’art, musées… Mais aussi sportives, avec le complexe qui pourra être utilisé par les Bédoinais. Le parking…

C’est l’occasion aussi pour la commune de récupérer une marge d’investissement, peut être par le biais d’une création de fondation, afin qu’elle puisse mener à bien ses projets, par exemple de réfection de l’église, car les temps sont durs avec, notamment, la baisse des Dotations de l’Etat.

Comment envisagez-vous que les Bédoinais puissent s’approprier ce projet là ?

C’est toute la genèse de ce projet, et c’est pour cela qu’on l’a accepté. En effet, tout autre projet aurait été refusé s’il ne comportait pas ce volet d’appropriation par les gens de Bédoin. Nous, ce que l’on souhaite en priorité, c’est que ce soit des locaux qui puissent devenir les gérants, les personnes pressenties pour faire tourner l’hôtel, les restaurants, les boutiques…

Comment appréhendez-vous le fait que le débat déborde sur les élections, la politique ?

Les élections étant fixées pour 2020, il n’y a pas de doute que ça intervienne en milieu de route. Si tout se passe comme prévu, nous aurons, d’ici à la fin 2019, la possibilité de dire oui ou non. C’est-à-dire, en gros, qu’une fois qu’on aura toutes les autorisations nécessaires, on fera voter le changement de PLU par le conseil municipal. A partir du moment où ce vote interviendra, le coup sera parti, et ce sera certainement avant 2020. De ce fait, ça engagera la municipalité qui sera mise en place après les élections.

Etes-vous surpris par cette levée de bouclier, et surtout, par ce rejet des vélos que l’on entend ? N’y a-t-il pas des questions à se poser en tant que municipalité ?

Il y a deux questions qui sont pour moi totalement différentes.

Pour le projet, oui, je suis surpris de la virulence de cette opposition. Je respecte évidemment toutes les idées, mais je trouve choquant que l’on puisse rejeter par principe. Nous, notre soucis, ce n’est pas de dire que l’on est pour, ou que l’on est contre. On n’est pour le développement économique du village, mais après pour ce projet, il manque un certain nombre de choses pour dire, oui on y va, ou non on n’y va pas. Mais, le rejeter par principe, c’est aller un petit peu vite en besogne. On respecte toutes les idées, mais ça ne nous empêchera pas d’examiner ce projet.

Après, concernant les vélos, il y a une situation qui, d’année en année, pose problème. Il faudrait être aveugle pour ne pas s’en rendre compte. C’est relativement compliqué comme débat, parce que Bédoin cristallise un petit peu une espèce de contradiction entre le fait que c’est une ville qui est presque totalement perfusée par le vélo, et en même temps, qui le rejette.

Nous avons 6 campings, 250 meublés de tourisme, 3 ou 4 hôtels. On passe de 3 000 à 10 000 habitants en saison. Les résidences secondaires représentent un tiers de l’habitat, Belézy 2 000 personnes. Rien que cette année, il y a eu 40 meublés de tourisme en plus ! On peut dire que chaque maison qui se construit aujourd’hui à Bédoin comporte un gîte. Donc, on a une population qui fait tout pour fixer les touristes, mais quand ils sont là, elle dit qu’ils sont trop nombreux…

Cette dichotomie est  invraisemblable… Mais, je la comprends.

Il s’agit d’une schizophrénie, je le dis avec bienveillance, qui fait partie de la constante de Bédoin.

Mais, à un moment donné, il faut se positionner…