Il est aux alentours de 7h30 ce matin sur les Champs-Elysées de Saint-Quentin, dans l’Aisne. Bernard Hinault répète à qui veut bien l’entendre que l’Enfer du Nord n’a jamais été sa tasse de thé. C’est donc en spectateur peu envieux de ces hommes et de ces femmes amateurs de pavés que le Blaireau donne le départ du premier Paris-Roubaix Challenge. Sur la ligne de départ, il y a là Sean Kelly. Double vainqueur de Paris-Roubaix chez les professionnels (1984 et 1986), l’Irlandais, dossard numéro 1, salue Andrea Tafi. A eux deux ils comptabilisent trois Paris-Roubaix mais aujourd’hui, comme plus de 1000 autres coureurs, ils sont venus avant tout pour prendre du plaisir sur les fameux pavés.

Alors que l’azur du ciel vient à paraître, plaisir rime avec incertitude à l’heure de prendre part aux 135 kilomètres d’un parcours jonché de quinze secteurs pavés (28,8 km). Parmi les curieux désireux de rouler sur les trajectoires de leurs idoles, ils sont peu à savoir ce à quoi peut vraiment ressembler ce genre d’enfer. Voilà pourquoi la tension est à son comble bien que l’excitation semble prendre le dessus chez certains. Alors fini les photos souvenirs, déjà que les chemins à emprunter ne sont que très peu aimables avec les visiteurs, il ne faudrait pas en plus les faire attendre.

Par petits paquets classés suivant leur niveau potentiel de performance, ils partent à la conquête du géant pavé. Le premier secteur met rapidement fin aux illusions de bon nombre de participants : bris de chaîne, crevaisons, la route s’annonce interminable. Les cris de soulagement à la sortie du premier secteur à Thun-l’Evêque témoignent d’un mélange de peur et d’excitation qui ne cessera jusqu’à la ligne d’arrivée. Heureusement, les ravitaillements permettent aux guerriers de ce jour un répit néanmoins éphémère. Ces courageux prennent à peine le temps de se sustenter alors que les secteurs pavés se succèdent au rythme des grimaces qui viennent marquer des visages empruntés par un parcours décidemment ancré dans la légende du cyclisme.

Pourtant, si les pavés sont biens là sur les premiers secteurs, les participants n’ont encore rien vu. Ils s’étaient promis l’Enfer, ils y étaient préparés mais les 30 derniers kilomètres de l’épreuve paraissent avoir été commandés par le diable en personne. Le Chemin des Prières n’est que le début d’un long chemin de croix, un autre morceau de bravoure à Mons-en-Pévèle, interminable avec ses 3000 mètres d’une instabilité rarissime, se doit d’être avalé. Là, les crevaisons sont monnaie courante, les corps les plus affaiblis basculent et les chutes deviennent légion. Le Carrefour de l’Arbre est atteint par les meilleurs à 11h35. Si le chronomètre n’est jamais parti, l’Australien Matthew Warner-Smith se souviendra de ce moment, lui qui est passé en tête devant la mythique auberge, précédant l’ex-coureur professionnel français Philippe Gaumont.

A 15h30 les moins rapides pointent enfin le bout de leur nez. A Baisieux, où les héros d’un jour sont accueillis pour recevoir leur médaille, tous peuvent le dire : ils sont venus à bout d’une partie de l’Enfer du Nord. De vrais anges ont répondu au diable avec des sourires et un bonheur qui le fera pâlir de jalousie. Au démon de l’Enfer qu’ils viennent de dompter, tous lui donnent déjà rendez-vous l’année prochaine.