Vingt-cinq ans après sa mort, Jean Cormier, ami d’Antoine Blondin depuis les années 60, et Symbad De Lassus, son petit-fils, ont entrepris de rassembler des témoignages de celles et ceux qui ont bien connu le passager le plus célèbre de la voiture 101 sur les Tours de France des années 1954 à 1982 : des amis journalistes (Pierre Chany, Denis Lalanne, Michel Clare), des membres de sa famille (sa première femme Sylviane, ses filles Laurence et Anne), des proches triés sur le volet (Jean Farges, le pilote de la fameuse voiture 101, Philippe Miserez, médecin du Tour, ou encore des coureurs comme Jean Bobet ou Raymond Poulidor), soit une belle brochette de personnalités que Blondin aurait accompagnées d’une Dive Bouteille assurément.

Qui est véritablement Antoine Blondin ? Et que cherchait-il à travers des verres que son optimisme voyait toujours à moitié pleins… pour mieux les vider et en commander un autre, ou plutôt plusieurs autres car Antoine n’avait pas l’amitié solitaire ? « L’argent liquide est fait pour être bu », disait-il. S’il commandait pour 50 francs, rien ne l’empêchait de laisser 100 francs de pourboire. Tout est dit de sa générosité sans compter, ou alors sur ses amis proches, que ce soit dans le monde du spectacle comme Juliette Gréco ou d’autres sports comme Jean-Pierre Rives, Pierre Albaladejo ou Guy Boniface, dont le talent étincelant semblait matcher et défier l’esprit alerte en redoublements de passes et passes croisées d’Antoine Blondin.

Très bon cuisinier, même s’il ne mangeait guère car son médecin lui avait interdit de boire en mangeant, Antoine Blondin était un épicurien. Tout au long de ce livre, on boit du petit lait – même si on est bien les seuls sans alcool – en découvrant un homme sensible, érudit, qui a besoin de ses frères d’armes et bagages sur le Tour, car il en a manqué quand il était jeune. Fils unique, il avait manqué de cette fraternité entre frangins. C’est celle-là même qu’il recherchait à travers ses compagnons de route pendant les trois semaines du Tour, qui étaient en quelque sorte ses colonies de vacances chaque année renouvelées. En un mot, il meublait sa vie avec ses amis de boisson, écrivait sur la mélancolie comme pour la fuir, et buvait pour l’éviter selon le bon résumé de Bernard Pivot.

En tout, Blondin aura écrit cinq romans dont le célèbre « Un singe en hiver », mais aussi « L’Europe buissonière », « Les enfants du bon dieu » ou « L’humeur vagabonde ». La plupart du temps, il avait déjà bu ses droits avant de les toucher. La mélancolie est souvent au rendez-vous des pages noircies, polies plutôt, tant l’esthète du Limousin mettait un point d’honneur à pisser une copie propre qu’elle soit pour le journal L’Equipe ou pour un de ses romans. Mélancolique, on pourrait l’être à mois : service travail obligatoire de 1943 à 1945 (ce qui semble avoir à jamais rompu la joie de vivre qu’il avait en 1939, au moment où il croise sa première femme Sylviane), et suicide de son père en 1950. Les soirées où cette fuite de la mélancolie est particulièrement appuyée sont nombreuses au fil de ces 180 pages, citons en 1961 au Courrier de Lyon, un bar où Blondin a ses habitudes et ses amis. Antoine prend un bain de pieds au champagne. Ou encore une soirée qui se termine en boîte de nuit avec l’abbé Pistre.

Le Tour de France est le passage obligé chaque année, la cure de jouvence d’Antoine Blondin, ça se sent d’un bout à l’autre du livre. Dès lors, les auteurs ont reconstitué un parcours où les chroniques ont systématiquement attaqué sur le grand plateau des jeux de mots, citons Mulhouse, la ville du textile, « qui vous accueille à draps ouverts », « la Haute Vienne que pourra », « l’embarras du Chouan », « le voilà Perret », « des pins et des jeux », etc. Vélo 101 vous en a fait revivre bon nombre pour le 101ème Tour de France, allez faire un tour sur le moteur de recherche et régalez-vous.

La voiture 101 (et si c’était ça notre inspiration, pour répondre à tous ceux qui ont posé la question « pourquoi Vélo 101 ? »), pilotée par Jean Farges, avec comme co-pilote Pierre Chany, et Michel Clare et l’Antoine à l’arrière. Les lunettes de soleil étaient parfois des lunettes de sommeil pour effacer les reflets de la veille. Dalida, déguisée en homme, y a fait l’étape Bordeaux-Brive en 1964, à l’époque où les femmes étaient interdites sur le Tour, ce qui paraît incroyable en 2017 (mais on était moins de 20 ans après qu’elles aient obtenu le droit de vote, ne l’oublions pas !). Voiture 101 placée juste derrière la voiture de Jacques Goddet, à laquelle était attachée la moto 101, chiffre fétiche alors que Blondin était plutôt « Maillot Jaune de l’autre peloton ». Et là, le 51 prenait toute sa splendeur. Côté hydratation, c’était un régime bien respecté, bière la matin, pastis le midi et alcools forts le soir. On revenait donc de temps en temps à « l’âge de bière ». La question qui traverse Symbad De Lassus est : « Antoine Blondin sans l’alcool aurait-il été l’Antoine Blondin qu’on connaît ? ». Bonne question à laquelle seuls ses proches peuvent répondre. Il avait le talent, le génie, et ces artistes-là ne peuvent pas vivre, ne peuvent pas être comme le commun des mortels.

Vous l’avez compris, c’est un livre à lire, les chapitres s’enfilent comme les perles, et n’attendez pas le prochain anniversaire (le 7 juin) de la mise en bière du plus célèbre Limousin du peloton (par adoption, lui, contrairement à Raymond Poulidor), pour passer chez le libraire.

« Blondin » (Editions du Rocher) par Jean Cormier et Symbad De Lassus. 183 pages. 16,90 €. – www.editionsdurocher.fr