Voilà un peu plus de deux ans que Cyril Dessel a mis un terme à douze années de carrière au plus haut niveau. Médaillé d’argent du Championnat de France de Pont-du-Fossé derrière Thomas Voeckler, celui qui courut successivement chez Jean Delatour, Phonak et Ag2r La Mondiale a choisi sa reconversion dans l’immobilier, un domaine qui l’a toujours intéressé durant sa carrière. A 39 ans, le Stéphanois, porteur du maillot jaune du Tour de France en 2006 (il se classa 6ème et 1er Français au classement général) et vainqueur d’étape à Jausiers en 2008, revient avec nous sur les deux années qui ont suivi la fin de son parcours sportif, marqué en outre par ses victoires finales au Tour Méditerranéen et au Tour de l’Ain en 2006.

Cyril, un peu plus de deux ans après l’arrêt de votre carrière, dans quelle activité avez-vous rebondi ?
Je suis marchand de biens. J’ai monté une société dans l’immobilier qui s’appelle Promotour. On voulait tout de même un petit clin d’œil (il rit). C’est assez récent puisque je l’ai montée en septembre dernier. Je n’ai pas suffisamment de recul pour dire si ça fonctionne ! Je l’espère. Je ne suis pas tout seul dans ce projet puisque je me suis associé à deux autres personnes. Cela n’a rien à voir avec le monde du vélo, même si à terme, l’idée est de proposer à des coureurs d’investir dans la pierre et de leur proposer un package avec l’achat d’un bien, la gestion locative et pourquoi pas une défiscalisation. Le but n’est pas essentiellement là, mais je me dis que cela pourrait être intéressant. Quand je vois ce que l’on me proposait quand j’étais coureur, je pense être capable de faire au moins aussi bien. Nous avons un ou deux projets en cours. L’un d’entre eux devrait sortir en début d’année prochaine. La conjoncture n’est pas très favorable, que ce soit dans l’immobilier ou dans n’importe quel secteur. Cela dit, il faut tenter et continuer d’avancer.

Comment ce projet vous est-il venu à l’esprit ?
Je me suis toujours intéressé à l’immobilier et aux placements durant ma carrière. J’ai fait deux ou trois investissements tout en essayant de comprendre les choses. J’espère que je vais trouver matière pour développer ce secteur. J’ai cependant gardé un pied dans le milieu puisque je conduis les voitures des invités sur le Tour de France pour Carrefour, et sur quelques autres compétitions. Pouvoir effectuer quelques courses en tant que consultant me plairait énormément, mais ce n’est pas facile. Il n’y a pas beaucoup de place et les personnes sont déjà en poste et ils ne laissent pas facilement leur place.

Peut-on rapprocher le défi que vous vous lancez à un défi sportif ?
Oui, absolument ! Lorsque l’on arrête sa carrière, il faut se dire que c’est une page qui se tourne. Il faut repartir sur d’autres défis. On peut rester dans le milieu du vélo et pourquoi pas tenter de devenir directeur sportif. Personnellement je n’ai pas voulu m’orienter de ce côté-là dans la foulée de ma carrière sportive.

Pourquoi cette perspective ne vous intéressait-elle pas ?
Durant sa carrière, on n’est pas souvent à la maison et repartir dans une vie de directeur sportif c’est repartir dans cette vie-là, peut-être même en pire. J’avais plutôt envie de me poser, même si je suis content d’aller sur le Tour de France ou sur le Critérium du Dauphiné, de faire quelques courses par-ci par-là avec les invités, mais un DS part 200 jours dans l’année. J’avais plutôt l’idée de partir sur autre chose, de partir sur une activité qui me plaise et dans laquelle je m’investis. C’est un nouveau défi, car quand on arrête sa carrière on remet les pieds sur terre. Quand on est sportif de haut niveau, on est comme dans une bulle, comme coupé de la réalité. J’en avais quand même conscience, mais le choc peut être brutal.

Diriez-vous que vous étiez l’un des seuls à y penser…
(Il coupe) Non, je n’étais pas le seul, j’étais comme tout le monde. Il est difficile de savoir ce que l’on va faire quand on va arrêter le vélo. On se dit que l’on pourra jouer sur sa notoriété, que cela vous ouvrira des portes. Mais en fait, on se rend compte que ce n’est pas facile quand la carrière s’arrête. Quand vous êtes coureur cycliste, il y a pas mal de monde pour vous taper dans le dos ou qui vous demande de faire une photo avec vous. Mais lorsque vous n’êtes plus en activité, c’est plus compliqué. Ces gens-là ne sont plus forcément à vos côtés. Ça fait partie des réalités. Il faut savoir l’accepter et se dire que l’on ne doit compter sur personne. C’est peut-être encore plus compliqué quand, comme moi, on veut se lancer en dehors du monde du vélo. Le coureur qui veut rester dans le cyclisme peut le faire s’il a de bonnes relations avec son manager. S’ouvrir dans un autre métier n’est pas évident.

Vos trois dernières saisons professionnelles (de 2009 à 2011) un peu plus compliquées au niveau sportif vous ont-elles remis les pieds sur terre ?
Tant que vous êtes dans le peloton, même si vous sentez que la fin approche, j’ai l’impression que vous ne voulez pas trop regarder la réalité en face et vous vous dites que vous verrez quand tout sera fini. Dans les dernières années, quand on arrive à un certain âge, on sait que cela risque de s’arrêter avec des résultats qui ne sont plus au rendez-vous et une certaine lassitude. Le métier de coureur cycliste est malgré tout pesant. Cela demande une grosse remise en question et il faut le vivre à 100 % sinon c’est fini. Certains coureurs peuvent parvenir à se projeter, mais ils ne sont qu’une minorité.

Vous parliez de bonnes relations avec votre manager. Cela semblait être le cas pour vous avec Vincent Lavenu…
J’ai connu mes plus belles années auprès de Vincent Lavenu. Je n’ai pas cherché à intégrer le staff d’Ag2r La Mondiale parce qu’il faut souvent partir loin de la maison. Je ne sais donc pas si Vincent m’aurait ouvert sa porte puisque je n’en ai pas discuté avec lui. Par contre, la société Ag2r La Mondiale était intéressée pour que je travaille chez eux puisque j’ai travaillé dans les assurances avant de monter ma société.

En quoi consistait ce projet ?
L’inspecteur de Saint-Étienne m’avait approché. On avait fait un ou deux entretiens qui s’étaient très bien passés et ils étaient très enthousiastes pour me prendre. Ag2r est très attaché au sport et l’entreprise organise souvent des manifestations où ils font intervenir des sportifs. Dans ce cadre-là, j’aurais moi-même pu intervenir en tant qu’ancien cycliste et salarié de l’entreprise. On aurait pu communiquer sur le fait qu’Ag2r faisait un geste pour la reconversion des sportifs de haut niveau. J’aurais pu avoir un rôle de relations publiques auprès des invités du groupe sur les courses importantes, en plus d’un rôle de conseiller en assurance en bénéficiant de ma notoriété dans la région. D’autant que j’avais suivi une formation dans un cabinet de courtage. Mais, aussi surprenant que cela puisse paraître, j’ai été recalé au grand désarroi de l’inspecteur de Saint-Étienne et du directeur régional.

Pourquoi ?
Ce sont les ressources humaines de l’entreprise qui ne m’ont pas attribué le poste. La responsable a débarqué de Paris pour m’auditionner à Lyon. Elle me connaissait, mais elle m’a demandé s’il existait d’autres courses cyclistes que le Tour de France. Ça a été sa première question. Je lui ai répondu qu’il valait mieux, car il y a trente coureurs dans l’effectif d’Ag2r La Mondiale et qu’il n’y a que neuf places sur le Tour de France (il rit). Elle s’est donc déplacée de Paris avec mon CV dans les mains pour me recaler, car je n’avais pas d’expérience professionnelle dans le job et que je n’avais pas bac+2 alors que tout était écrit noir sur blanc sur mon CV. Je n’ai pas insisté, mais j’aurais peut-être dû, car j’avais rencontré le n°2 du groupe. Mais en même temps j’avais ce projet dans l’immobilier qui prenait forme.

Revenons sur votre carrière marquée par un maillot jaune en 2006 et une victoire d’étape au Tour de France en 2008 à Jausiers. Quel événement reste le plus fort ?
La victoire d’étape, car c’est justement une victoire et c’est ce que l’on cherche en priorité quand on est sportif. Gagner une étape sur le Tour, c’est l’objectif d’un grand nombre de cyclistes professionnels, en tout cas celui de tous ceux qui sont au départ du Tour. Tout le monde n’a pas cette chance-là et certains coureurs pros n’ont jamais pris le départ du Tour dans leur carrière. Pour eux, cela ne reste qu’un rêve. Quand on arrive à la victoire sur cette course là, quand la ligne se présente devant vous, c’est un moment d’émotion et de joie vraiment très intenses.

Ce n’est donc pas le port du maillot jaune pendant vingt-quatre heures dans les Pyrénées en 2006 ?
Le maillot jaune a été un moment magique. C’est ce qui m’a permis d’être connu du grand public. J’ai été pris dans le tourbillon médiatique. On m’a propulsé en haut de l’affiche avec le maillot jaune et je ne m’y attendais pas trop. J’étais un coureur professionnel moyen avec quelques victoires à mon palmarès. J’étais connu des cyclistes, mais pas du grand public, et je me suis retrouvé au journal de 20 heures avec le maillot jaune sur le dos !

Ces deux événements vous ont-ils aidé pour votre reconversion ?
Oui, bien sûr. Tout le monde ne vous tourne pas le dos quand la carrière se termine. Je continue de bénéficier de la petite notoriété que j’ai chez moi à Saint-Étienne. Je pense et j’espère que cela va m’aider pour ma société que j’ai montée. J’ai réussi à me construire une belle image sur le secteur au travers de mes victoires et de mes exploits sportifs, je ne voudrais pas casser ça dans ma reconversion, ce serait dommage. J’espère qu’on arrivera à reconnaître le coureur que j’étais durant ma carrière.

Aujourd’hui, continuez-vous à vous maintenir en forme ?
Je n’ai pas pris de poids et j’ai gardé la ligne. Mais j’ai changé de sport. Je me suis mis à la boxe, car mes associés en font. Ils veulent m’initier. Ce sont d’anciens cyclistes qui s’y sont mis et j’ai commencé avec eux. Mis à part cela, j’ai fait pas mal de courses à pied. J’ai couru deux à trois fois par semaine pendant toute la première année. Je continue encore aujourd’hui, mais je ne cours qu’une fois par semaine, et je vais à la boxe deux autres soirs. Par contre, je ne fais plus de vélo.

Avez-vous néanmoins gardé vos machines et vos autres trophées ?
Oui, quand même ! Vincent Lavenu m’a gentiment offert mon vélo à la fin de ma carrière. Mon maillot jaune est encadré, mais il est dans le garage avec le trophée Vittel. Ma femme n’aime pas trop les trophées et les coupes. Tout est dans des cartons. J’en ai donnés beaucoup à l’EC Saint-Étienne Loire. J’ai quand même gardé les principaux et notamment celui de ma victoire d’étape du Tour. J’ai aussi conservé un maillot de chaque équipe dans laquelle je suis passé, tous les maillots distinctifs que j’ai reçus chez les pros, mais aussi chez les amateurs, les Juniors et les Cadets et le maillot que j’ai porté avec l’équipe de France aux Mondiaux et aux Jeux Olympiques. Ils sont rangés, bien pliés dans l’une de mes valises qui est chez mon père. Même pas chez moi.

Dans notre prochain épisode, retrouvez quel ancien coéquipier de Laurent Jalabert occupe désormais le poste de responsable sponsoring d’une grande marque de cycles. Rendez-vous le jeudi 13 février.