Deux images surgissent en premier quand on évoque Stéphane Barthe. Celle d’abord de cette étape du Critérium International 1997 qu’il régla au sprint et dont les images firent le tour de la planète. Pas celles du rush victorieux du sprinteur né le 5 décembre 1972 (et qui fêtera donc demain son 41ème anniversaire !), mais celles enregistrées au préalable d’un cheval lancé au galop au milieu du peloton, et dont Jean-Pierre Jeunet s’inspira pour une séquence du « Fabuleux Destin d’Amélie Poulain ». Trois mois plus tard, c’est la victoire au sprint de ce coureur encore méconnu, devant le peloton national, qui marqua l’issue du Championnat de France de Linas-Montlhéry. Aujourd’hui Stéphane Barthe revient avec nous sur les années qui ont suivi la fin de sa carrière.

Stéphane, vous avez mis un terme à votre carrière fin 2004. A quoi ont ressemblé les années qui ont suivi ?
D’abord, après ma victoire finale au Tour du Poitou-Charentes en 2004, je pensais pouvoir me relancer chez les pros. Au lieu de quoi je me suis retrouvé chez les amateurs. Ce n’est pas comme ça que j’aurais souhaité terminer. J’aurais préféré finir comme Laurent Jalabert, au top et dans une belle équipe, et accompagner le peloton comme le font toujours Jens Voigt ou Stuart O’Grady, qui couraient déjà à mon époque. Dès lors mes possibilités de reconversion ont été beaucoup plus restreintes. J’ai galéré pendant deux bonnes années. Et j’ai mis un pied dans le milieu du commerce de cycles. J’ai d’abord fait appel au magasin La Cyclerie, à côté de Toulouse. Puis j’ai travaillé comme commercial avec une marque avant de devenir, ce que je fais aujourd’hui, commercial pour une société qui distribue des accessoires de vélo.

Votre carrière s’est arrêtée brusquement à 32 ans. Aviez-vous déjà songé à votre reconversion ?
Pas du tout. Je n’ai pas eu le temps de faire de formation. Comme beaucoup, avant de prendre la voie de la vente dans le milieu du cycle, j’ai d’abord pensé m’orienter vers le Brevet d’Etat, faute de savoir dans quel domaine j’étais compétent. Ce que je déplore, c’est que lorsqu’on est coureur on n’est absolument pas suivis. On ne nous fait pas passer de bilan de compétences. Notre vision reste donc fermée sur le monde du sport, ce qu’on a toujours fait, alors qu’on pourrait envisager d’autres secteurs d’activités. J’aurais bien aimé, durant ma carrière, avoir pu profiter de formations. J’en ai d’ailleurs parlé un jour à Pascal Chanteur, qui est président de l’Union Nationale des Cyclistes Professionnels (UNCP). Et il en a tenu compte pour les générations actuelles.

De quelle manière ?
Une convention collective a été mise en place auprès des coureurs afin qu’ils bénéficient d’informations et de formations pour appréhender leur après-carrière, chose qui n’existait pas à mon époque. Quand j’étais coureur, nous n’avions pas la moindre information. On manquait d’assistance. Les infos circulaient de bouche à oreille dans le peloton. Les équipes ne mettaient rien de concret en place pour aborder notre reconversion. Pire, on avait le sentiment que de parler d’après-carrière à un coureur, c’était lui polluer le cerveau et l’empêcher de faire son métier de coureur correctement. C’est stupide. Des champions, il n’en éclot pas tous les ans. Ça veut dire que 95 % des coureurs devront gérer leur petit pactole et surtout éviter de le perdre.

Vous soulevez ici la question de la gestion de l’argent pendant mais surtout après une carrière…
Quand on est coureur, on est tout de même bien payé, or à la différence des gens qui gagnent au loto, on ne reçoit aucune formation sur la façon de gérer son pognon. Quand on passe de 500 euros par mois en amateur à 3000, 10000, 20000 euros par mois quand on est pro, il faut le gérer. Acheter de belles bagnoles, c’est bien, mais quand la carrière s’arrête à 35/40 ans, ce n’est plus pareil. Même si on en a mis de côté, ce n’est plus tout à fait la même vie.

Or une fin de carrière, vous êtes bien placé pour le savoir, ça peut survenir très vite ?
Une chute, ça peut conduire à une reconversion plus vite que prévu. J’en ai fait l’expérience en 2001 avec mon bras cassé aux 4 Jours de Dunkerque. C’était une blessure grave mais pas irréversible. J’ai pu continuer quatre ans de plus mais ça a quand même mis un bon coup de frein à ma carrière. Je n’ai alors plus gagné que deux sprints massifs et me suis réorienté sur le chrono avec plus ou moins de réussite. Je pense que les équipes doivent avoir le devoir de s’occuper de l’après-carrière de leurs coureurs. Dans toutes les sociétés, on propose des formations aux salariés. Leur existence dans le cyclisme français n’est que toute récente.

En quoi votre passé de coureur vous a-t-il servi dans votre nouvelle vie ?
L’avantage, quand on a été compétiteur, c’est qu’en général on n’aime pas être mauvais. Quel que soit le domaine dans lequel on va, on fait tout pour essayer de faire quelque chose de correct. Ça permet d’accélérer la formation. Depuis tout gamin, j’ai toujours fait du sport en compétition. J’ai ça en moi : je ne supporte pas de perdre, même si j’ai appris à gérer cela lorsque j’étais coureur. J’aime m’investir dans ce que je fais. Mais il faut se faire une crédibilité. J’évolue toujours dans le domaine du vélo, malgré tout ce n’est pas le même milieu. Il faut arriver en magasin avec autre chose que son nom et ses titres, qui ne servent à rien dans le business.

Dix ans après la fin de votre carrière, en quoi consiste votre pratique désormais ?
A faire du vélo dans une salle de sport trois fois par semaine. Et pas plus d’un quart d’heure, sinon ça fait long (il rit) ! Je fais des milliers de bornes par mois en voiture, je rentre rarement chez moi avant 21h00, je n’ai donc plus de temps pour le vélo, même si ça me plairait de pouvoir en refaire à l’occasion. Mais je suis bien occupé, et tant mieux !

Avez-vous conservé des souvenirs matériels de vos années de coureur ?
J’ai conservé le vélo sur lequel j’ai obtenu mon titre de champion de France. Mon père l’a utilisé jusqu’à il y a encore peu de temps. Le maillot du podium est quant à lui encadré dans mon salon. J’ai également gardé un maillot arc-en-ciel que Laurent Brochard nous avait offert à moi et aux autres coureurs de l’équipe de France lorsqu’il a gagné le titre mondial en 1997. Sinon il doit rester chez moi un maillot et une veste bleu-blanc-rouge et quelques maillots distinctifs dont ceux du Critérium International et du Tour du Poitou-Charentes. Les trophées, eux, doivent être quelque part dans un grenier.

Votre passage chez les pros n’aura duré que huit ans, entre 1996 et 2004. Comment expliquez-vous qu’il ait été aussi marquant ?
En 1997, j’ai gagné la première étape du Critérium International, celle dont les images ont fait le tour du monde avec le cheval qui saute sur la route et court au milieu du peloton. Ça coïncide avec ma première victoire chez les pros. La même année, j’ai remporté le Championnat de France, que beaucoup de monde a vu à la télé. Ces deux événements-là ont marqué les gens, tant mieux.

Ce titre national à Linas-Montlhéry, vous y repensez ?
Je me rappelle essentiellement de l’arrivée, que j’ai revue plusieurs fois. Mais ce n’est pas quelque chose que je présente de moi-même. A tel point que des amis que je connais depuis quinze ans m’ont dit un jour qu’ils n’avaient jamais vu les images. Un pote m’a numérisé les cassettes, j’ai pu le leur montrer à cette occasion. Ce qui me fait drôle en revoyant les images, c’est de voir de face ce que je voyais de dos et qui sont les images que j’ai dans la tête. Je me souviens quand Laurent Brochard lance son sprint, mais vécu de l’intérieur. Ça reste un grand plaisir de revoir ça. Et c’est comme tout, quelle que soit l’issue de la carrière, ce sont toujours les bons moments dont on se remémore.

Dans notre prochain épisode, découvrez quel ancien champion français s’est rapproché du milieu cycliste cette année dans l’espoir d’y effectuer son après-carrière en tant qu’entraîneur ou directeur sportif. Rendez-vous le mercredi 18 décembre.