Treize mois d’enquête rigoureuse et totalement indépendante, 174 entretiens individuels parmi lesquels des employés de l’UCI, des fédérations, des médecins, des coureurs, des sponsors, des organisateurs et des journalistes, et au bout du compte un rapport de 227 pages, résultat des travaux menés depuis janvier 2014 par la Commission Indépendante de Réforme du Cyclisme (CIRC). Aujourd’hui, ladite commission chargée d’enquêter sur les causes de la culture du dopage dans le cyclisme livre ses conclusions.

Et elles sont à charge contre l’Union Cycliste Internationale. Pas celle que dirige depuis septembre 2013 Brian Cookson, à l’initiative de cet exercice d’ouverture et de transparence sans précédent. Mais celle de ses prédécesseurs, ceux qui ont présidé au cœur des années sombres, Hein Verbruggen (1991-2005) et Pat McQuaid (2005-2013). Que révèle le rapport de la CIRC ? Qu’en dépit de preuves de corruption ou de falsifications, l’Union Cycliste Internationale de l’époque s’est montrée trop partiale en certaines circonstances, trop tolérante, pour ne pas dire imprudente et même faible face au fléau du dopage.

Difficile, à la lecture du rapport, de réécrire l’histoire telle qu’on la connaît. Il apparaît seulement que l’ère Verbruggen a causé autant de mal que de bien au cyclisme. Si l’ancien président de l’UCI a su donner au vélo la dimension qui est la sienne aujourd’hui, le professionnalisant pour en faire un véritable business, sa gouvernance aura été autrocratique, souvent dictée par le gain. C’est le cas avec Lance Armstrong, en qui le Néerlandais « vit une bonne opportunité de soutenir ses plans de développement et, surtout, ses ambitions de pouvoir » après le scandale de l’affaire Festina en 1998, estime la CIRC. Sans doute l’UCI s’est-elle montrée clémente avec le champion américain désormais déchu de ses sept victoires dans le Tour de France, mais aucune preuve concrète de corruption n’a pu être mise en avant.

Sont notamment mises en cause des Autorisations à Usage Thérapeutique (AUT) antidatées avec la complicité de l’UCI elle-même. « L’UCI avait une approche très flexible de l’application de ses propres règles et des exceptions étaient accordées sans aucune justification. Cela constitue une entorse sérieuse à ses obligations de gouvernement du sport cycliste », déclare la CIRC en citant les cas de Laurent Brochard contrôlé positif à la lidocaïne après son titre mondial en 1997 ou de Lance Armstrong sur le Tour 1999.

Si « beaucoup d’aspects du sport ont changé pour le meilleur », précise le rapport, qui assure que le dopage organisé n’existe plus et qu’il est désormais possible de gagner sans se doper, il reste des efforts à fournir. Car le dopage, c’est un fait, n’est pas éradiqué. « Le dopage et la tricherie demeurent évidents dans le peloton, même s’ils ne sont probablement plus aussi endémiques que par le passé, poursuit la CIRC. Bon nombre d’individus font tout leur possible pour courir sans se doper, mais une culture du dopage continue d’exister, acceptée par une majorité de participants, bien que ses gains soient plus petits, entre 3 et 5 % contre 10 à 15 % il y a dix ans. »

Et les experts indépendants de dénoncer trois facteurs favorisant cette culture nauséabonde : l’instabilité financière avec des sponsors qu’il convient de séduire coûte que coûte, l’isolement des coureurs, et la présence autour des coureurs de nombreuses personnes au passé trouble.

« Même si la lecture du rapport de la CIRC sur le passé est une chose difficile pour ceux d’entre nous qui aiment leur sport, je suis convaincu que le cyclisme sortira meilleur et plus fort de cet exercice, estime Brian Cookson. Il est désormais clair que l’UCI a sévèrement souffert d’un déficit de bonne gouvernance, avec des individus prenant seuls des décisions cruciales, dont un grand nombre ont miné les efforts de l’institution en matière d’antidopage, l’ont placée dans une extraordinaire position de proximité vis-à-vis de certains coureurs et lui ont fait gaspiller beaucoup de son temps et de ses ressources dans des conflits publics. Il est clair que tout cela a contribué à éroder la confiance dans l’UCI et dans le sport. »

Afin d’encourager la nouvelle gouvernance de l’Union Cycliste Internationale dans les démarches qu’elle a déjà engagées pour assainir le vélo, la CIRC a apporté en outre plusieurs pistes de travail à l’UCI. Des conseils (la réalisation de contrôles entre 23h00 et 6h00, l’interdiction d’exercer dans le sport de personnes autrefois sanctionnées, une pharmacie centralisée pour l’ensemble du peloton, des contrôles antidopage rétrospectifs…) qu’il appartient désormais à la fédération d’étudier pour poursuivre sa lutte sans précédent contre le dopage. Brian Cookson est prêt à relever le défi : « je suis absolument déterminé à utiliser le rapport de la CIRC pour m’assurer que le cyclisme poursuive le processus engagé pour regagner la confiance des fans, des diffuseurs et de tous les coureurs propres. »