Un départ de Nice, 2 cols de 1ère catégorie dès le 2ème jour, une arrivée en montée au 4ème jour et le terrible col de la Lusette à la 6ème étape. Tout devait rompre la monotonie de l’habituelle 1ère semaine de la « valse des maillots » à coup de bonifications si chère à l’époque des Tours de l’ère Jean-Marie Leblanc.

Pourtant, il n’y a guère eu l’occasion de vibrer sur ce Tour de France 2020 où seul le meilleur puncheur du monde a mis de l’entrain sur le classement général.

Alors, on va bien sûr incriminer cette année 2020 si spéciale.

Wout Van Aert intouchableWout Van Aert intouchable | © ASO Broadway

Une course en mode gestion

Il se dit déjà que les leaders n’ayant qu’un gros mois de course dans les jambes et seulement 10 journées à avoir épinglé un dossard dans le dos, sont tous au même niveau. Donc qu’il est très difficile de faire la différence sans subir le retour du bâton. Donc tous les leaders comptent leurs coups de pédale, remettant au lendemain, voire au surlendemain, au col de la Loze ou au chrono de la Planche des Belles Filles… le fait de se mettre à la planche.

Au sein des staffs des équipes, il est fort probable que le calcul suivant ait été fait : « rien de sert de tenter hypothétiquement de gagner 10 sec en grillant des cartouches alors qu’une légère défaillance dans les 20% du col de la Loze va faire perdre des minutes entières ».

Donc, la bagarre est reportée. Les cadors gèrent et il est vrai que le Tour est une course de fond durant 3 semaines où le moindre moment de moins bien se paye cash.

Il se dit aussi que ça roule très vite donc impossible d’attaquer. C’est exact si on se réfère au train de TGV de Wout Van Aert vers Orcières Merlette. C’est toujours exact dès lors que l’on examine les 42 km/h de moyenne vers le Mont Aigoual malgré les 3000 m de dénivelé et la différence d’altitude entre le départ (200 m) et l’arrivée (1550 m). Pourtant, les 6ères étapes ne peuvent pas se résumer au relais du prodige belge ou aux chiffres bruts d’une moyenne. Le vent soufflait fort dans le dos pour se rendre au pied du col de la Lusette et Alexey Lutsenko en échappé devant depuis longtemps a grimpé plus vite que le peloton ce même col. Tout cycliste ayant parcouru ces routes peut se demander comment il est possible qu’un peloton puisse arriver groupé au sommet devant les pentes avoisinant les 14% sur une route au revêtement granuleux en plein soleil par plus de 30°C… Lapalisse aurait répondu qu’il s’agit bien d’une question de vitesse. Les coureurs quant à eux, évoquent plutôt le problème des 13 km entre le sommet de la Lusette et l’arrivée au Mont Aigoual, sur des pourcentages nettement moins propices à la bagarre. Et pour cause, il restait encore beaucoup de « personnel » pour assister les Bernal, Roglic et autres Quintana. Dès lors, impossible de sortir sous peine de voir un Kwiatkowski se sacrifier pour son leader. Pour faire patienter les supporters, dès le départ à Nice sur chaque étape les commentateurs ont parlé d’abord de la Colmiane, puis Orcières Merlette puis la Lusette en insistant sur le fait que ça serait dur et ça allait exploser.

Primoz Roglic au sprint en montagnePrimoz Roglic au sprint en montagne | © ASO Presse Sport /Bernard Papon

Une question de parcours

Pour autant, il est réellement possible d’y voir un problème de parcours de la part des organisateurs du Tour de France. On peut toujours mettre le col le plus difficile du monde, s’il reste 100 km de descente et de plat à partir du sommet, c’est bien un sprinteur qui a toutes les chances de gagner. Au sommet du col du Turini classé en 1ère catégorie il restait encore 86 km à parcourir et sans le démarrage de Julian Alaphilippe bien aidé par Adam Yates et Marc Hirschi – Alaphilippe seul n’aurait pas gagné – c’est une nouvelle arrivée au sprint à laquelle nous aurions assisté.

Le réel souci est bien ce que ressentent les coureurs : dans le cyclisme d’aujourd’hui et plus encore sur ce Tour 2020, le niveau est très resserré entre les leaders et « pire », entre les équipiers et leur leader. Les grosses armadas telles que Ineos Grenadiers et Jumbo Visma s’attachent justement les services de coureurs ayant un Top 10-20 dans les jambes afin de pouvoir accompagner le plus loin possible celui qui vise la plus haute marche du podium.

A cela, les organisateurs du Tour répondent avec un parcours annoncé très difficile comme évoqué plus haut : des bosses en 1ère semaine, des arrivées en montée et autres cols pentus. Sauf que justement les meilleurs équipiers sont encore présents pour assurer le train, à peu près quels que soient les chiffres – quasiment 4000 m de dénivelé sur la 2ème étape – pour 2s d’écart entre le vainqueur et le peloton.

Julian Alaphilippe prend l'avantageJulian Alaphilippe prend un maigre avantage | © ASO Broadway

Le problème est bien le parcours. Pour le comprendre, il faut se pencher sur la carte et observer par exemple le choix des organisateurs sur l’étape N°6. Dans le détail, comment imaginer que le col de la Lusette seul allait tout faire exploser si la totalité de la formation est encore présente au pied ? Avec un départ du Teil pour rejoindre la commune du Vigan (pied de la Lusette) il était « géographiquement nécessaire » de prendre du plat. Pour autant, une fois à Alès, pourquoi les routes sinueuses des Cévennes n’ont-elles pas été exploitées ? A l’inverse c’est « l’autoroute » Alès – Anduze – Saint-Hippolyte-du-Fort qui été empruntée, celle qui permet aux équipiers-grimpeurs de rester abrités derrière leurs équipiers-rouleurs. Si le parcours avait pris la direction de Saint Jean du Pin après Alès puis les routes sinueuses entre Anduze et Saint-Hippolyte-du-Fort, voire l’enchainement Col du Mercou – col de l’Asclier – col des Vieilles, pour se rendre au pied de la Lusette, il aurait été impossible de s’abriter de façon durable. Rien d’insumontable pour ces cols qui auraient été classés en 4ème ou 3ème catégorie mais d’une part ils s’enchainent sans replat mais d’autre part, les relances auraient été incessantes sur ces routes qui tournent sans arrêt et il aurait fallu mettre à contribution Michal Kwiatkowski ou Sepp Kuss bien plus tôt… laissant Roglic et Bernal se débrouiller seuls.

On peut répondre que ces choix de parcours sont liés à des contraintes de largeur de route, de caravane publicitaire voire de villes étape et d’arrivée. Pourtant le col de la Lusette est très étroit lui aussi et n’a pas empêché le passage de la course.

Il apparait plutôt que les organisateurs du Tour vivent dans la peur que le classement général soit rapidement plié. Ils préfèrent jouer sur des effets d’annonces (montagne en 1ère semaine) pour donner l’illusion que ça va batailler tous les jours. Dans les faits, la course reste cadenassée jusqu’à la dernière semaine. Nous verrons bien ce que vont donner les Pyrénées ce weekend, mais il est possible d’entendre d’avance les explications voire les excuses liées à l’absence de véritable course à cause du col de Peyresourde pas assez pentu ou sur l’arrivée en descente qui suit. Raisons qui seront à nouveau données sur l’étape du lendemain puisque les 2 cols les plus difficiles de l’étape sont séparés par 20 km de plat puis un petit col de 3ème catégorie (on imagine déjà un regroupement de toute l’équipe autour de son leader) et que l’arrivée sera jugée après 8 km… de plat.

Sauf surprise évidemment toujours possible, le classement général va surtout bouger parce que des leaders vont perdre. Pour la course, il faudra attendre.

 

Par Olivier Dulaurent