Collaborateur de Vélo 101, Florent Ligney a eu la chance de faire partie des vingt-trois participants au Tour de Fête. Pendant trois semaines, ce Lyonnais de 26 ans a pu parcourir les étapes du Tour de France 24 heures avant la caravane. Passionné de vélo depuis sa plus tendre enfance, il a commencé la compétition en 2006 par des courses FFC. Depuis, Florent s’est spécialisé dans les cyclosportives et les épreuves basées sur l’endurance plus que sur la vitesse pure. Et avec plus de 3000 kilomètres au compteur en trois semaines, il a été servi ! Il revient pour nous sur cette aventure unique qui s’est terminée il y a maintenant déjà plus de deux semaines, sur les Champs-Élysées. Demain, retrouvez la deuxième partie de cette interview.

Florent, comment as-tu intégré cette opération Tour de Fête ?
Fin mars, un ami qui roule de temps en temps avec David Moncoutié m’a parlé du projet et m’a dit qu’ils étaient en plein recrutement. Ils cherchaient des jeunes motivés et disponibles pour faire le parcours du Tour de France avant les pros. Cet ami sait à quel point j’aime ce genre de défis, il m’a immédiatement mis en relation avec David qui m’a parlé du projet. Complètement intrigué par le projet qui débutait et n’était pas encore complètement défini, j’ai immédiatement rédigé un document présentant mon expérience passée et ma vision du vélo. Éric Fottorino, l’homme qui est à l’initiative du projet, a apprécié ma candidature et m’a sélectionné. C’était le début de l’aventure.

Peux-tu nous présenter brièvement cette opération ?
L’opération avait pour but de rassembler une vingtaine de jeunes cyclistes, issus de toute la France et de toutes les origines, afin de faire le parcours du Tour de France un jour avant les professionnels. Éric Fottorino, l’homme qui a lancé ce projet, a alors rassemblé une équipe de bénévoles (mécaniciens, médecins, kinés, personnes en charge de l’intendance et de la logistique, motards pour la sécurité, etc.) afin d’encadrer le peloton. Le but était de créer un peloton représentatif de la France, celle du « métro à l’heure de pointe », où se mêlent des étudiants et des cadres supérieurs, des gens venus de toutes les régions et de l’immigration.

Dans quel état d’esprit étais-tu au départ de Porto-Vecchio ?
Au départ de Porto-Vecchio, j’étais très mitigé : d’un côté j’avais le sentiment de m’être bien préparé. J’avais fait plusieurs reconnaissances d’étape (NDLR, parfois même pour Vélo 101 !), et de longues sorties en endurance. De l’autre côté, je me sentais tout petit face à un géant. Car le Tour de France, c’est un géant à la fois par sa rigueur physique et par son histoire. Je pensais être bien préparé. Je redoutais deux choses. D’abord les conditions météo : trois semaines de pluie comme au Giro, ça aurait été l’enfer. Deuxièmement, la maladie : le corps étant affaibli par les efforts, je craignais que la moindre maladie ouvre une brèche. Enfin, j’étais excité comme un gamin : faire le Tour, c’est un rêve pour des milliers de cyclistes. Quand tu es sur la ligne de départ, ça fait quelque chose.

Que représentait pour toi le fait d’être sur le parcours du Tour, 24 heures avant les pros ?
J’étais curieux de voir ce que ressentent les pros en terme de fatigue, d’efforts à fournir, et ce que ça représente physiquement d’enchainer trois semaines de vélo et 3400 kilomètres. Je m’imaginais un truc monstrueux, mais à quel point ? Entre « très difficile » et « inhumain », je ne savais pas trop où placer le curseur.

Les liens se sont-ils créés facilement ?
J’ai été marqué dès le début par l’enthousiasme global du groupe. Quand on s’est retrouvé à Nice, trois jours avant le début de l’épreuve, l’ambiance était déjà détendue et amicale. J’ai directement eu l’impression de retrouver une bande de copains. Dès ce rassemblement, on a eu quelques petites galères. Par exemple, on a eu du mal à trouver le restaurant du midi, puis le ferry a eu beaucoup de retard, on est arrivé à 2h du matin à Porto-Vecchio. Pourtant tout le monde gardait le sourire et sa bonne humeur.

Quelle était l’ambiance au sein du groupe, que ce soit en course ou à l’hôtel ?
Globalement, l’ambiance a été incroyable. On a eu quelques coups de gueule, parfois sur le vélo (sur la vitesse principalement), parfois en dehors. Mais à chaque fois, tout se résorbait en quelques minutes. Les jours les plus tendus ont été les sixième et septième jours, quand tout le monde était épuisé par l’enchainement des longues étapes et que nos organismes n’avaient pas encore pris l’habitude de ces efforts.

N’avez-vous pas eu trop de difficultés à finir ?
Les deniers jours, ça a été du pur bonheur. Tout le monde avait trouvé sa place dans le groupe, tout le monde se portait bien. Les larmes ont coulé à flot lors de la séparation du groupe, preuve qu’on venait de vivre une aventure humaine extraordinaire. Je crois que cette ambiance, cet état d’esprit du groupe, a été la clé de notre réussite : si on s’était tous fait la gueule, je doute qu’autant de monde serait allé au bout. Au bout de dix jours, on avait tous mal de partout et on était tous épuisés, mais on a pris ça en rigolant et c’est passé !

On imagine qu’en trois semaines de belles affinités ont dû se créer ?
Il est certain que quand on vit quatre semaines ensemble, en vase clos ou presque, à voir chacun les forces et les faiblesses des autres et à dévoiler les siennes, des affinités se créent. Déjà, on était en chambre de deux, avec toujours le même binôme. Quand on vit 24 heures sur 24 ensemble pendant autant de temps, qu’on discute entre nous le soir de nos soucis qu’ils soient physiques ou personnels et de nos craintes vis-à-vis de l’étape du lendemain ou du comportement d’untel, ça crée des liens forts. Pour tout dire, un couple s’est formé en cours de route. C’est que visiblement, certains avaient de fortes affinités.

Comment gériez-vous les différences de niveau ?
Les premiers jours ont été les plus difficiles à gérer sur ce plan-là. Une devise dit que « l’union fait la force », ce qui est particulièrement vrai dans le cas d’un peloton en plaine. Le principe était simple : les plus forts devaient prendre les plus gros relais, les plus faibles devaient prendre de petits relais (voire aucun). Les plus forts devaient aller chercher des bidons pour tout le monde, le but étant que ceux ayant le moins de force s’économisent au maximum. On a roulé ainsi sur toutes les portions de plaines, il n’y a qu’en montagne que le groupe se séparait. Dans les longues ascensions, chacun montait et descendait à son rythme. Le groupe s’attendait en haut et en bas de chaque col.

Les « plus faibles » ont dû s’améliorer en cours de route…
J’ai eu une surprise à laquelle je ne m’attendais pas : les niveaux se sont équilibrés en cours de route : les plus faibles ont vu leur forme s’améliorer petit à petit, grâce à l’accumulation des kilomètres. 1500 bornes en neuf jours, ça remet n’importe quel cycliste en forme ! Pendant ce temps, les plus forts voyaient leur niveau baisser légèrement à force de faire des efforts en tête. Le niveau est devenu beaucoup plus homogène au cours de la deuxième semaine, surtout une fois que chacun avait trouvé sa place et son rôle au sein du peloton.

Propos recueillis le 4 août 2013.