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De l'Amazone à presque l'altitude du Mont-Blanc


Bernard MOREAU
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Tant qu'à faire je vais resituer l'histoire dans son contexte.

 

A l'époque j'étais un coopérant en Bolivie, occupation quand même plus agréable qu'ivrogne dans une caserne.

 

C'était en 1966 et malgré tout je me morfondais à Oruro, une petite ville minière endormie, 220 km au sud de La Paz, à 3800-3900 m d'altitude où heureusement existaient quelques courses de vélo. Un week-end j'étais "monté" à La Paz où j'apprenais que plusieurs français passaient quelques jours à 160 km, en Amazonie en fait, à Caranavi, 600 m d'altitude, avec une célébrité de la médecine tropicale française.

 

Comme j'avais pris mon vélo de course (muni de pneus ballon), je me suis dit que j'en ferais bien autant. Il fallait d'abord gravir le Col de La Cumbre (de 3600 à 4653 m sur env. 23 km), ce qui à l'époque n'était pas une sinécure car dans chaque virage la terre était réduite en poudre par le ripage des roues de camions. Ensuite, 65 kms de descente sur une route trop étroite pour le croisement de2 camions/bus, mais large pour un cycliste, suivis d'environ 70 km de route généralement descendante jusqu'à 600m.

 

Tout c'était bien passé et bien qu’arrivant à la tombée de la nuit j'avais retrouvé le groupe.

 

La remontée, j'avais prévu de la faire en 2 étapes. La 1ère pas trop longue entre Caranavi et Coroico, environ 80 km et 1250 m de dénivelé,  car pour atteindre Coroico il faut s’élever de 700 m environ depuis la vallée sur les 9 km  d’une méchante route empierrée. J’étais arrivé à la nuit tombée.

 

Le lendemain j’étais parti de méchante humeur, le personnel de l’hôtel  ne m’avait rien proposé pour que je puisse repartir avec une tenue cycliste propre et sèche. J’avais dû enfiler mes vêtements humides de la veille. Puis un peu plus tard j’entamais la remontée de 1100 m à 4650 m. La route était humide, je progressais mais sans avoir quoi que ce soit pour mesurer mes progrès. Pas de bornes kilométriques ni de panneaux ; à l’époque je ne portais pas de montre. Des nuages me cachaient le ciel, la montagne, le soleil. J’avançais à l’aveugle. Au bout de quelques heures je voyais que je me rapprochais du nuage que je supposais se situer entre 2500 et 3000 mètres.

 

C’était extrêmement décourageant et à un moment j’ai abandonné, découragé par l’idée de rouler dans le brouillard : je suis descendu de vélo et j’ai arrêté le premier camion qui arrivait pour prendre place par-dessus les marchandises avec d’autres voyageurs.

 

2014

 

En début d’année je cherchais sur le web les traces d’un cycliste que j’avais connu en 1966 à Oruro.

 

Je ne l’ai pas trouvé, mais en le cherchant j’ai appris l’existence d’une épreuve retraçant l’ascension que je n’avais pas terminée en 1966. Cela s’appelle Yolosa-La Cumbre et en 2014 il s’agit de la 9ème édition. Au fil des ans la descente que j’avais empruntée en 1966 était devenue de plus en plus dangereuse pour les camions et les bus car la route est trop étroite pour que deux véhicules puissent s’y croiser. Chaque croisement doit obéir à diverses règles de priorité : qui a le droit au côté falaise et qui doit passer côté précipice. Il y a aussi bien sûr énormément de véhicules surchargés, de freins inexistants et sûrement aussi l’alcoolisme pour expliquer qu’on en soit arrivé à 300 morts par an sur cette route. Cela jusqu’à ce que la Banque Interaméricaine de Développement ne propose un crédit pour la création d’une route moderne de l’autre côté de la vallée pour la partie la plus dangereuse,  en dessous de 3000 m d’altitude. La nouvelle route a été ouverte en 2007. Entretemps la partie supérieure de la route a été asphaltée, jusqu’à  8 km en dessous du col de La Cumbre en 2001 quand j’y étais passé et en totalité avant 2007. Comme la route avait acquis une réputation  planétaire de route la dangereuse du monde, la nouvelle route a laissé le champ libre aux 20 000 amateurs de sensations fortes qui  annuellement la descendent  par petits groupes avec un ou deux guides. A La Paz vous trouverez pléthore d’agences plus ou moins sérieuses pour vous proposer la descente.

 

Mais dans le défi que je veux relever avec 250 autres cyclistes,  il s’agit de l’ascension depuis Yolosa, un petit village en bas de Coroico, à 1229 m d’altitude,  jusqu’à  La Cumbre, le col qui domine La Paz, à 4653 m. On peut trouver le parcours et le profil sur le site www.yolosalacumbre.com. En gros cela fait dans les 63 km, avec la 1ère partie en terre sur 31 km qui monte de 1229 à 3170 m, puis la seconde asphaltée d’environ 32 km entre 3170 et 4653 m.

 

Pour effacer la honte d’avoir abandonné en 1966, il fallait que je relève le défi en 2014, ne pas attendre 2016 ni a fortiori 2024 L. Ce défi est donc devenu l’objectif principal de ma saison 2014.

 

Je suis intervenu plusieurs fois à ce sujet sur velo101 : http://www.velo101.com/forum/voirsujet/aux-tchokoklian-et-courquin-du-forum--25515

 

Avec mes excuses pour « tchokoklian » au lieu de Tchokaklian.

 

Parti de Genève le 1er octobre, je suis arrivé à La Paz le 2 octobre en passant par Amsterdam et Lima. Le VTT que j’avais acheté pour l’occasion n’a que peu souffert du voyage : roue arrière légèrement voilée. J’avais acheté une bonne valise souple d’occasion bien conçue de marque Scicon. J’ai payé 100 € pour ce 2ème bagage, sans certitude de devoir ou non payer à nouveau pour le trajet Lima-La Paz.

 

En fait, à Lima il a suffi que je montre la preuve de mon paiement au point de départ à Genève. Cette valise était de taille supérieure au maximum autorisé d’après le site web de la compagnie péruvienne, mais cela n’a posé aucun problème. (J’avais entendu de divers professionnels des mises en garde très alarmistes à ce sujet et finalement une agence de tourisme française contactée par téléphone à Lima m’avait complètement rassuré)

 

A l’arrivée – il était presque 4h du mat - un « taxi » m’attendait dans l’aéroport, commandé par mon hôtel, arrangement fait 2-3 jours avant mon départ. J’avais choisi un hôtel un peu excentré, mais dont le propriétaire est un VTTiste acharné qui en 2014 en était à sa 3ème participation à Yolosa-La Cumbre. Mon hôtel se situait à env. 3250 m d’altitude, un peu « plus respirant » que les 3600m du centre de La Paz.

 

Trois jours après mon arrivée, un entraînement était prévu le dimanche sur la 2ème moitié du parcours, à partir de 3000m et comprenant les 2 derniers km de la route en terre plus la totalité de l’asphalte. J’ai pu faire réviser mon matériel par un mécano vachement efficace qui m’a résolu en un tour de main 5 ou 6 petits problèmes, dont la roue voilée. Je ne m’attendais à briller, ce fut très terne. Pas performant du tout. J’étais le dernier des 15 participants. J’ai même arrêté à 1 km du sommet, vers 4600 m, pour monter dans la camionnette venue à ma rencontre. Je me disais que j’avais encore 2 semaines devant moi pour faire des globules rouges et/ou améliorer mon taux de saturation sanguine ! J’ai beaucoup marché car la circulation me décourageait  de m’entraîner à vélo. En 2001 déjà cela s’était aggravé par rapport à ce que j’avais connu autrefois, mais c’est toujours très anarchique et tellement dense maintenant !  Quand on est habitué à l’agilité du vélo de route, c’est inquiétant de se retrouver autour des lourds camions et de bus et de  rouler avec un VTT de 13 kg, sans beaucoup d’oxygène sur des pentes qui peuvent tout d’un coup se relever à 15% (ou pire). Bien sûr avec 10 s d’effort intense la respiration s’affole et il faut une éternité pour revenir au calme.

 

J’avais espéré trouver un circuit VTT à faire en groupe autour de 4000m, mais j’ai rapidement compris que je serais seul avec un 4X4 pour me suivre ! J’ai donc pris un petit circuit de 3 jours sans vélo vers le Parc naturel du Sajama  avec le 2ème jour quelques heures de marche jusqu’à  4960 m d’altitude sur la frontière chilienne. C’est ainsi que j’ai appris que le Sajama (6542 m) n’est pas un volcan, ce qui m’avait toujours intrigué à cause d’une célèbre partie de football. Le ciel était bleu, les glaciers blancs et les flamants … roses, que demander de plus ? A refaire.

 

Le lendemain de mon retour, le 12 octobre, étant jour d’élections, toute circulation motorisée était interdite. D’où ce message sur « sortie du jour » de velo101

 

  • Hier sortie VTT sur asphalte de 150 bornes environ avec 1300 m de D+, avec moins de 60% de la ration "normale" d'oxygène.

 

Beaucoup d'heures de selle. Moins de 20 km/h.

 

Durant cette sortie j’étais accompagné par Mike Ranoux qui depuis 2 ans  possède à La Paz une agence  appelée Evolution Ride Spirit proposant entre autres des descentes de la « Route de la mort ». Il fait les choses sérieusement et si ça vous tente d’essayer, adressez-vous à lui. Nous étions 2 des 3 français inscrits à l’ascension du 18. Le 3ème, de la Seyne/mer, est enseignant à La Paz, mais son nom suggère une origine espagnole.

 

J’ai encore fait le mercredi une petite sortie sur route de près de  3 h (même pas 30 km couverts), toujours aussi pénible avec la circulation, les fumées, les %ages occasionnellement extrêmes, mais heureusement sans incident !

 

L’épreuve étant le samedi 18, j’avais opté pour le transport en minibus du vendredi  17 au matin à 10h. Ce jour-là j’ai rencontré un péruvien exubérant (les boliviens ne le sont pas généralement) et fort sympa qui logeait au même hôtel, puis un groupe de cyclistes uruguayens (rien au-dessus de 400 m chez eux) et quelques têtes connues. Nous sommes partis à 10h20 et après avoir passé La Cumbre, pu constater que les conditions météo étaient plutôt bonnes dans « notre » vallée, pas de gros orages en vue qui auraient pu détremper la route. Nous avons fait deux arrêts dans des endroits qui nous permettaient de voir de grandes portions du chemin en terre à gravir le lendemain.

 

Vers 14h20 j’étais à mon hôtel (Gloria), ma foi confortable,  qui était aussi le centre névralgique pour les organisateurs, donc le meilleur choix possible. Après une excellente truite en compagnie d’un  concurrent bolivien établi aux USA, je pouvais récupérer au bord de la piscine mon sac d’accueil avec puce, plaque de cadre (No 088) et divers cadeaux.  En principe nous devions être dans les 250.

 

Ensuite bien sûr, nous devions descendre les vélos du bus, les équiper de leur puce, les vérifier, etc. Je préparais aussi deux bidons de 800 et 600 ml avec de l’Overstim ramené de France (juste la poudre dans le second). Il me fallait aussi décider de la tenue à porter pour la partie basse (j’optais pour « été intégral ») et choisir d’une part les vêtements plus chauds que nous devions retrouver à 3000 m d’altitude vers la mi-course et mettre dans mon autre sac les vêtements très chauds pour l’arrivée au sommet. J’avais entretemps retrouvé mon co-turne (mon logeur à La Paz en fait) et nous avons été bien inspirés vers 19h en nous retrouvant parmi les 1ers à faire la queue au buffet  pour le repas du soir.

 

Vers 20h c’était le moment de la présentation de l’épreuve avec les officiels, politiques, diverses autorités, remerciements des bénéficiaires pour l’année 2013 (œuvres caritatives). Le tout assez vite expédié. Nous étions avertis que les véhicules des suiveurs auraient beaucoup de mal à passer du fait de travaux en cours et devraient aller directement attendre sur l’asphalte ou faire un certain détour. Un ravitaillement était prévu au 15ème km et bien sûr au lieu-dit Chuspipata vers 31 km, 2km avant l’asphalte où il y aurait un contrôle intermédiaire avec chrono, puis, à la jonction avec la route asphaltée se trouvait le grand lieu de rendez-vous pour les véhicules de soutien. Pas de surprise. Nous avions aussi les consignes pour le pti déj et le départ. P’ti déj à partir de 4h et 1er départ à 6h. Nous devions donc pour les passagers des deux minibus de mon groupe charger nos vélos le matin avant 5h30.

 

Avec mon coturne nous avons mis le réveil à 4h15. Le silence s’est, étonnamment fait rapidement après 21h et vers 22h je pense que nous dormions déjà.

 

 Par contre, le matin, quand nous sommes descendus vers 4h25, rien n’était prêt : le personnel nettoyait la salle à manger, le ravitaillement commençait à peine à arriver et nous avons dû patienter pour manger un peu à mesure des arrivées de nourriture. Céréales maintenant, œufs brouillés un peu plus tard, pain, enfin, on a mangé.

 

Puis en tenue cycliste nous avons chargé les vélos sur la galerie et mis nos sacs de rechange de vêtements dans les 2 minibus,  jaune pour moi, qui devaient s’arrêter à 3 100 m d’altitude à la jonction avec l’asphalte. A 5h40 nos bus s’ébranlent dans la nuit. 20 mn plus tard quand en bas de la descente nous arrivons près du départ il fait presque jour. Il règne un désordre total mais on voit quand même bien ce qui se passe, je repère même des toilettes flambant neuves !

 

Peu après, comme je suis à proximité du portique de départ et que je suis prêt, je m’élance avec un petit groupe. Les départs sont donnés dès qu’il y a un groupe suffisamment important de 15-20 ou 25 cyclistes. Les 100 premiers mètres sont hasardeux avec un ruisseau à traverser et des travaux juste derrière, mais j’arrive à passer sans devoir mettre pied à terre. Il fait frais, 10° C peut-être, ce n’est pas désagréable. Le %age est modéré, l’air dense et la route pas trop caillouteuse, donc le rythme est correct au départ. Je me maintiens autour de 135 bpm, ça fait du bien d’avoir de l’air à respirer. A mesure des kilomètres, je trouve quand même que la route est généralement bien plus caillouteuse que l’impression retenue de la vidéo trouvée sur le site de l’épreuve. Au final, les sections de route en terre bien lisse comme on en trouve facilement dans le Jura par exemple seront assez réduites. Pendant plus d’une heure très peu de véhicules cherchent à doubler, je ne vois que d’autres cyclistes. Au bout de 45’ mon coturne me rattrape, il est parti 10’ après moi. Pendant toute cette section nous sommes presque toujours à l’ombre, protégés du soleil par la falaise. Ce n’est pas une journée très chaude, la température monte peu à peu mais reste agréable. On entend surtout les perroquets, plus haut ils ne seront plus là. Il y a bien sûr quelques passages humides, mais en général la route reste sèche (rien à voir de ce point de vue avec 1966). Au km 14 (il y a des marqueurs tous les 2 km semble-t-il) on me propose de l’eau et je l’ajoute à la poudre de mon 2ème bidon. J’ai bien fait car le ravito prévu au 15ème km s’est évaporé.

 

L’ascension sans fin se poursuit avec toujours la falaise à gauche et le précipice à droite. Je ne sais pas si c’est la route qui empire, le %age moyen qui augmente  ou l’oxygène qui se fait rare, mais la progression devient toujours un peu plus difficile. Je dois rester concentré sur la route et je ne prends pas souvent le temps de regarder autour de moi. De temps en temps il y a des passages empierrés, des sections de dizaines de mètres sous des cascades où j’appréhende de me faire tremper, mais finalement on n’y reçoit pas beaucoup d’eau. Il y a quand même après le 15ème km deux sections où de gros travaux sont en cours avec  chaque fois des coffrages d’une 20aine de mètres  remplis de gros cailloux de 30-40 cm formant une surface plus ou moins plate – en attente de ciment - mais avec bien sûr de gros interstices même pour mes pneus de 5 cm. Par chance j’arrive à les traverser sans mettre pied à terre ni coincer mes roues – finalement je ne suis pas si mauvais sur un VTT J.

 

La progression devient plus difficile, je pense quand même que les %ages et l’état de la route y sont pour beaucoup. A mesure qu’on monte,  davantage de véhicules me dépassent, sûrement parce que leurs coureurs, partis après moi, sont plus rapides et me dépassent, c’est embêtant parfois car je dois laisser la meilleure surface.  Par ailleurs, je suis incapable de boire sans m’arrêter.

 

Sur l’un de ces arrêts, j’ai choisi une sorte de petit monument, en fait une stèle portant les noms de 5 opposants politiques précipités 400 m plus bas par les nouveaux maîtres de La Paz en 1944. A cet endroit tout est encore vert, on doit être autour de 2800m, je devine là-haut le ravito du 29e km (où il y a le portique de la mi-course).

 

Bien que les variations d’orientation de la route permettent de contempler le paysage sous différents angles, je n’en profite pas beaucoup car la route demande toute mon attention et aussi plusieurs passages très pentus m’obligent à m’employer à fond.

 

Parmi les nombreux concurrents qui me  dépassent certains savent que je suis français et ils m’encouragent d’un mot en français ou d’une allusion à la France. Ils se doutent aussi que je suis l’un des doyens de l’épreuve, en fait il y a parmi les habitués un cycliste bolivien, guère plus jeune, 2 ans je crois, qui fera nettement mieux que moi.

 

Parmi ceux qui me dépassent,  je remarque un maillot Commençal de couleur jaune porté par un gars qui me dépasse au moins 3 fois, plus tard je verrai aussi une fille avec ce même maillot Commençal.

 

Enfin j’arrive au portique des 29 km à 3025 m d’altitude, mon temps n’est pas fameux, environ 4h15, environ 3’et demi par kilo. Il reste 2 km difficiles avant l’asphalte, je dois mettre pied à terre sur les 100 derniers mètres. Arrivé au milieu des spectateurs, véhicules, etc, je cherche mon minibus jaune. Introuvable. Quelqu’un me dit, il a continué plus loin, sans davantage de précision. Au bout de 2 minutes je me résous à poursuivre ma route en prenant juste une boisson sucrée. Puis je vois la femme de Mike Ranoux qui me dit qu’il n’est pas loin derrière. Elle me passe une barre chocolatée.

 

A ce moment, sur 11 km, la route est une succession d’ascensions et de descentes, mal représentées sur le profil de l’épreuve, cela jusqu’au village d’Unduavi vers 3350 m. Le mécano qui m’a réglé mon vélo (et qui s’étant blessé récemment ne peut participer et s’occupe de l’assistance) me dépasse et me demande ce qu’il me faut, un peu plus tard il me passera une veste thermique légère, enfin plutôt un coupe-vent, mieux que rien. La température est encore correcte, je n’ai pas froid. Je ne sais pas trop ce que je dois faire pour ce qui concerne l’alimentation et je prends une barre chocolatée ici, une boisson de l’effort là.

 

Puis Mike Ranoux me rattrape et nous roulant quelques kilomètres ensemble. Entre Unduavi et Pongo, le village suivant, la route s’élève de 420 m. en moins de 6 km, comme l’altitude passe de 3370 à env. 3790 m, il s’agit déjà d’une ascension sérieuse avec un vélo de 13 kg et de gros pneus à cette altitude. De plus la température baisse et des nuages chargés d’humidité remonte de la vallée, passent au-dessus de nos têtes  et masquent peu à peu le soleil. On est vraiment dans le vif du sujet.

 

Ce n’est pas un bon jour pour moi, j’essaie de garder un rythme régulier, mais je faiblis, je commence à avoir froid au torse, les jambes ça va. Je m’arrête de temps en temps pour boire. Quand j’arrive à Pongo, je sais qu’il me reste 15 km à faire et comme je suis parti depuis environ 6h30, je me dis que je dois pouvoir y arriver, bien que je manque d’énergie pour ne pas m’être suffisamment alimenté, mais j’ai toujours peur de vomir et personne ne me propose quelque chose qui soit très facile à digérer. A Pongo, Mike se trouve 200 m devant moi, pas mal des concurrents alternent marche et vélo.

 

Après Pongo je verrai de moins en moins de monde parce que la plupart des concurrents sont devant moi – y compris ceux qui sont partis après moi. Par expérience, je sais que si je veux durer quand je n’avance plus, il faut que je me cantonne autour de 120-125 bpm, mais je vois que je suis plutôt à 130-132 bpm sur le vélo, tandis que quand je le pousse en marchant – je n’ai pas alors l’impression d’aller tellement plus lentement - c’est plutôt 125-127 bpm. Craignant d’aller dans le mur en continuer à rouler 5 km/h et de ne pouvoir finir, je prends l’option de marcher, pensant que je risque moins de m’épuiser. Il y a aussi le fait qu’à 5 km/h je ne roule pas très droit et que nous arrivons à un moment de la journée où la circulation se fait plus intense, camions surtout. Je trouve plus rassurant de marcher à 4 km/h. Il y a aussi le fait qu’à deux reprises j’ai senti quelques secondes comme si ma tête tournait et si ça devait se reproduire, je préfère être à pied.  Evidemment, le froid me gagne peu à peu, quelqu’un me propose un pantalon de sport, sorte de fuseau, que j’accepte. Personne n’a de gants d’hiver. Dans tous les véhicules les gens sont prêts à aider.

 

A un moment on me propose du Coca-cola, ça me donne un coup de fouet et je refais un bout sur le vélo.  Quand on m’en propose à nouveau un peu plus haut, j’en bois davantage, avec l’effet désastreux que je vomis tout. Au fil des kilomètres ça devient pénible avec le froid surtout, les mains gelées – j’arrive quand même à prendre le bidon. Sur les 15 derniers kilomètres, je me réfugie à 3 reprises dans des voitures pour me réchauffer quelques minutes. On me propose du maté de coca chaud, et bien voilà ce qu’il m’aurait fallu, mais beaucoup plus sucré, ça passe très bien.

 

Les derniers km sont vraiment pénibles, je n’arrive même plus à marcher à 4 km/h, les rares concurrents qui me dépassent sur le vélo roulent à nettement moins de 5 km/h. J’ai l’impression qu’il ne doit me rester que 2-3 km à couvrir quand je vois le panneau indiquant 27 km, or le col est au km 23 ! Je fais de mon mieux, mais ce n’est pas brillant, je sais toutefois que j’y arriverai et je m’accroche. Enfin, je devine le col peu après le panneau 1km, mais je ne remonte sur le VTT qu’à 50m de la ligne, ou plutôt du portique. J’ai plein de personnes qui me congratulent et me poussent vers la tente chauffée où l’on sert la soupe bien chaude au poulet. Dans un bus je récupère mon anorak et ça va mieux. Mais je n’ai le temps que de boire le liquide de la soupe, car tout le monde dans le bus est pressé de descendre pour rentrer à La Paz avant la nuit, il est déjà autour de 17h.

 

Evidemment je suis satisfait d’être arrivé au sommet : 48 ans après j’ai relevé le défi de La Cumbre depuis l’Amazone, mais j’avais espéré le faire dans de meilleures conditions, une meilleure performance, mais bon je dois bien m’en satisfaire. Je me pose aussi la question de savoir si, avec de meilleures conditions météo en 1966, j’aurais eu une petite chance d’arriver au sommet « dans les temps », sachant qu’à l’époque j’étais plutôt performant en altitude. Si je considère que les « bons » ont mis autour de 5 heures sur la route actuelle, il faudrait sans doute ajouter 2 heures pour les routes de l’époque, de la terre sur la totalité de l’ascension, soit un total de 7 heures pour la partie ascension et moins d’1 h. pour la descente. Donc c’était peut-être jouable pour moi … sans camion en 1966

 

Au point de vue du matériel, mon VTT de marque TVT, cadre carbone moncoque, a fort bien fonctionné, les dérailleurs n’ont jamais hésité, j’ai parfois utilisé la suspension, mais je l’ai bloquée le plus souvent.  D’ailleurs la suspension n’est vraiment pas indispensable.  

 

Epilogue

 

J’avais encore 2 jours et demi sur place avant de rentrer. Le lundi j’ai commencé à tousser et pour les 17h d’avion j’avais heureusement du néocodion.  Rentré mercredi en fin de journée ça allait encore, puis de moins en moins et samedi j’ai consulté : suspicion de pneumonie franche lobaire aigüe, avec douleur correspondante au poumon droit. Avec la fatigue et le froid pendant des heures, il est certain que les défenses immunitaires s’effondrent. Après 6 jours sous antibiotiques ça va mieux, mais il reste une certaine fatigue.

 

En tout cas, c’est une épreuve qui vaut le déplacement, mais le désavantage est certain quand on vit à basse altitude, désavantage que j’ai partagé avec les brésiliens, uruguayens, certains des péruviens et chiliens. Il y aurait bien sûr bien d’autres choses à dire, mais c’est déjà très long.

 

 

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Quel beau récit   , c'est vraiment  passionnant .    j'ai   juste quelques petites questions .

 

- Pourquoi avoir attendu  aussi longtemps pour relever  le défit ?

- tu as roulé en pneus semi-slicks   ou    cramponnés  ?

- quels sont les développements que tu as utilisé ?  

- comment arrives tu   à un  VTT  de  13 kilos avec un cadre carbone ?   le mien fait  moins de 10kg   sans aucun composant   très  light .    3 kg   de moins n'aurait pas été négligeable   aux altitudes ou tu évoluais

- au final tu l'as mis à la poubelle   ton altimètre Decathlon 😄 ? 

- quel sera ton prochain défit  ?

 

bonne récupération  

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- Pourquoi avoir attendu  aussi longtemps pour relever  le défi ?

J'ai répondu à ta question dans mon récit :

2014

 En début d’année je cherchais sur le web les traces d’un cycliste que j’avais connu en 1966 à Oruro.

 Je ne l’ai pas trouvé, mais en le cherchant j’ai appris l’existence d’une épreuve retraçant l’ascension que je n’avais pas terminée en 1966. Cela s’appelle Yolosa-La Cumbre et en 2014 il s’agit de la 9ème édition. 

Il est évident qu'en 2005-2006 j'étais bcp plus performant qu'aujourd'hui : je faisais encore régulièrement des cyclosportives dures comme l'Oetztaler radmarathon (2006), l'EdT(2006-7), l'Etape de légende (2007) avec d'excellents résultats.

- tu as roulé en pneus semi-slicks   ou    cramponnés  ?

Des Hutchinson Maxxi Python, je suppose classés semi-lisses.

- quels sont les développements que tu as utilisés ?  

Tout ce que j'avais 😄 : 44/33/22 et 11-36 (9 vit. sauf erreur)

 comment arrives tu   à un  VTT  de  13 kilos avec un cadre carbone ?  

Sans les roues 8,2 kg, plus 4,6 kg pour les roues 🙁.

Plus les bidons, pompe, ...

Au total autour de 74 kg. Comme la résistance de l'air est très faible avec l'altitude et la vitesse réduite, le temps est à peu près proportionnel au poids total. 3 kg en moins = 4% de temps en moins, 2mn30 toutes les heures. J'en étais bien conscient et j'avais fait une offre pour un VTT de 10 kg sur velo101, mais le vendeur a eu un acheteur qui s'est présenté avant que j'arrive.😕 Mais bon, avec mes 10h35, ça ne change pas grand'chose. Si j'avais eu la forme pour faire 6h ou 7h, cela aurait pris plus d'importance.

au final tu l'as mis à la poubelle   ton altimètre Decathlon 

Un peu, en ce sens que je ne l'ai pas pris le jour de l'épreuve. Il est très précis aux altitudes modérées, mais là-haut c'était la cata. Faut que j'appelle D4 pour voir ce que j'en fais.

quel sera ton prochain défi  ?

Je ne sais pas s'il y en aura un, mais j'aimerais bien un jour faire Mauna Kea depuis l'océan. Il y a longtemps que j'y pense. Mais les %ages sur la fin sont atroces : 17 - 20% à 4000 m d'altitude c'est l'horreur. Faut voir les "youtube" du truc!

L'idéal serait de coupler ça avec 2 mois de vacances à Hawaï😃 Et puis, vu mon âge je ne dois pas attendre.

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A l'arrivée de l'ascension à La Cumbre, puis dans le bus, nous avons parlé de la possibilité de faire mieux, ou pire.

En effet, en arrivant à La Cumbre, on peut prendre sur la droite la route en terre 41 qui monte sur 3,3 km jusqu'à 4790m puis redescend sur 19,8 km, de façon irrégulière jusqu'à 4200 m (en direction d'El Alto). 

On retrouve alors la route d'El Alto vers Milluni et la vallée du Zongo, mais surtout vers le Mont Chacaltaya (5220 m), son labo et sa cabane du club Alpin (5230m) que l'on atteint après 15,6 km.

Donc, en partant de Yolosa à 1229 m on peut atteindre à vélo un point situé à 5230 m au terme de 64 km+38,7 km, un peu plus de 100 km. Le D+ total doit être d'environ 3 600 m + 1000 m ~ 4600m, mais équivalent bien sûr à beaucoup plus compte tenu des 70 km en terre et de l'altitude.

Avec 20 ans de moins je dirais pourquoi pas, mais là ça devient difficilement envisageable 😃

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  • 2 weeks later...

Les mines je les connais bien pour en avoir visité un certain nombre, lors de voyages précédents, dont bien sûr Potosi et qq autres en touriste, mais aussi Siglo XX et pas mal d'autres en compagnie d'un ingénieur des mines français de très haut niveau mandaté par la COMIBOL pour faire une étude sur ses mines. Tu en sors différent de qui tu étais en y entrant.

Les feuilles de coca, je trouve ça dégueu et je pense que l'effet est surtout psychologique. 
Je n'ai pas eu de nausées ni de mal de tête, c'est juste que même en tenant compte de la perte de watts due à l'âge, j'ai cette fois subi bien plus durement que dans le passé les effets de l'altitude.

En 1997 et 2001, mes dernières incursions à haute altitude, respectivement jusqu'à 5230 et 4650 m, cela s'était très bien passé, c'était dur bien sûr, mais avec des effets sur ma vitesse ascensionnelle tout à fait normaux. (En 1997 j'avais d'excellents critères de comparaison à ma disposition)

 

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  • 9 months later...

Je reviens parce que j'ai écrit ce qui suit dans mon récit :

C’est ainsi que j’ai appris que le Sajama (6542 m) n’est pas un volcan,

mais en relisant y'a 1/4 d'h. un bouquin parlant de la Bolivie j'apprends que c'est un VOLCAN éTEINT.

J'ai vérifié sur wiki que c'est bien le cas.

 

 

 

 

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