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L'Albigeoise : toute la pluie tombe sur moi


Patrick RICARD
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En dépit des prévisions alarmistes des météorologues pour ce dimanche 03/06/2012, rien ne me fera renoncer à l’Albigeoise 2012.

N’ayant pas le loisir de pouvoir participer à de nombreuses épreuves, ce ne sont pas les quelques gouttes d’eau susceptibles de se déverser sur nos têtes qui vont me faire renoncer.

Par ailleurs, ma fille doit accumuler des kilomètres dans le cadre de la conduite accompagnée.

 

Voilà pour l’état d’esprit du matin au lever à Toulouse. Une fois n’est pas coutume, nous partons à l’heure. Précaution supplémentaire, pour éviter les crampes qui m’avait assaillies lors de la précédente épreuve (L’Audoise – la Classic 11), je fais l’effort de me priver de café ce matin, en raison de son effet diurétique. Pourtant, il me manque. On verra si ce sacrifice change quelque chose.        

 

Arrivée à Albi, je note que la météo ne s’est pas aggravée. Désireux de mettre toutes les chances de mon côté, j’enduis mes jambes de beurre de karité. C’est un produit ramené d’un voyage en Afrique. Destiné à masser les bébés, je détourne son usage à dessein de préserver ma musculature de la pluie. On n’est jamais trop prudent.

Formalités de départ accomplies, je mets mon compteur à zéro et c’est parti pour un (léger) échauffement en discutant avec un autochtone ayant déjà participé à cette épreuve, histoire de glaner quelques infos.

 

Attentif à me prémunir des cassures, je me positionne sur la ligne de départ aux alentours de la 30ième place. Ma fille en profite pour tirer quelques clichés du départ. Pour le moment, je suis « présentable ». Après, on ne sait jamais.

 

Désireux d’éviter les accidents sur les premiers ronds points glissants, les premiers kilomètres sont  neutralisés, mais manifestement pas comptabilisé dans le kilométrage officiel, puisque à l’arrivée mon compteur indiquera 120 km, alors que mon échauffement ne s’est pas prolongé sur plus de 3 km. Le départ réel doit être donné à la sortie de la ville. Départ neutralisé ou pas, nombreux jouent des coudes pour se placer, ou améliorer sa position.

 

Subitement, au lieu de lâcher la meute comme prévu, la voiture ouvreuse stoppe les coureurs en pleine campagne, au bas d’une côte. Que se passe t-il ? La voiture officielle s’est t-elle trompée de route ? Un accident s’est-il produit à l’arrière ? Le départ était-il prévu arrêté ? Environ trois minutes s’écoulent sans information sur la durée et le motif de cet arrêt intempestif.

 

Ayant ultérieurement interrogé « Albi Vélo Sport » sur son site Internet, je vous livre sa réponse in extenso :

 

« Bonjour Patrick, désolé pour le départ mais il fallait tout arrêter car la voiture ouvreuse a eu un petit souci et pour la sécurité il faut la voiture devant la course …/… »

 

Certains se saisissent de cette opportunité pour soulager leur vessie. Bien que j’ai prit mes précautions avant le départ, je tente de les imiter. J’essaye. Facétie du hasard, c’est justement au moment ou « ça démarre » que justement : « ça repart ». Choix cornélien ! J’arbitre en ménageant la chèvre et le chou. Sans commentaires !

 

Fatalité farceuse, je me retrouve dans le dernier quart du peloton. J’évite le piège qui consisterait à multiplier les sprints pour tenter de remonter aux avants poste du peloton. Le couteau entre les dents, j’entreprends une remontée de type « comptable du trésor ». Remonter oui, mais à n’importe quel prix et en évitant les courants d’air. Ça pourrait défriser la chèvre. Quant au chou, c’est oublié.

 

Par chance, j’ai de bonnes jambes. J’entrevois à nouveau la voiture ouvreuse et les motards. Le paquet s’est délesté d’une petite moitié de ses effectifs.  Les autres ? Ils sont dans la pampa.

Trop accaparé à conserver ma position et à éviter la chute sur ces petites routes piégeuses au revêtement irrégulier, les quelques gouttes d’eau qui s’accumulent sur mon compteur et mes lunettes m’interdisent de discerner le nombre de km déjà parcourus sur mon compteur. C’est peut être mieux comme ça.

J’avais imaginé que les 25 premiers km étaient relativement plats, mais l’autochtone avec lequel j’avais papoté avant le départ m’avait donné un cours de géographie locale :

 

-          Albi est situé dans une cuvette à un peu plus de 100 mètre au dessus du niveau de la mer

-          Nous devons gravir à 300 mètre d’ici le 17ième km, redescendre, remonter à environ 600 mètres vers le 40ième, redescendre, remonter à plus de 700 mètres avant le 65ième, redescendre, remonter, redescendre, remonter.

 

Stop. J’ai simplement retenu qu’il y a deux difficultés principales. Pour le reste, j’aviserai.

A propos de cuvette : il pleut. J’espère que c’est provisoire. C’est ce qu’on appelle un vœu pieu. Pareil pour les africains du sahel, mais à l’envers. Eux, ils espèrent la pluie.       

 

Ce parcours n’offre que peu de répit. Ça tourne tout le temps, et les faux plats n’ont plus rien de plats ; ils sont de plus en plus faux. Ça ne trompe plus personne. Pas moi en tout cas. Ça monte pour de vrai. Je crois que j’ai entrevu la pancarte de Réalmont depuis déjà un moment. Nous devons donc être dans la première ascension qui va du km 25 au km 43.

Le peloton s’étire comme un élastique. Ça décroche par petites grappes de trois ou quatre. Petit à petit, c’est mon tour. C’est comme chez le dentiste, moins douloureux, mais ça dure plus longtemps et on est moins bien assis. Ceux qui me précèdent viennent de perdre quelques mètres. Nous sommes 6 ou 7. J’aurais du me tenir plus en avant. Je sais.

Pour autant, je n’ai pas envie de faire l’effort bien que l’écart soit minime. Je risquerai des payer mes efforts un peu plus loin, et en espèce. Aujourd’hui, c’est plutôt en liquide. D’humide, je suis devenu mouillé. Au fur et à mesure que nous progressons, mes vêtements se gorgent d’eau. Je ne suis pas le seul. Ça me console.

 

Deux volontaires accélèrent et s’emploient à recoller les morceaux. Je leur emboite le pas. Je passe une fois. Pas deux.  

 

Je n’y vois plus grand-chose, mais une chose est claire : la voiture ouvreuse a disparue depuis un moment. 

Un motard escorte le petit groupe que nous venons de constituer. Mais au lieu de rouler ensemble de manière à unir nos forces, c’est chacun pour soi et dieu pour tous. Dieu aujourd’hui, comme les autres jours (à mon avis) ne peut pas grand-chose pour nous. Je fais un vœu : ne pas chuter. Manifestement, nous avons passé le sommet. Empruntant une route détrempée, la descente est pentue. Il fait froid. Désireux d’abréger l’exercice pour éviter de trop me refroidir, je la fais à fond en compagnie de deux autres concurrents. En bas, nous rattrapons le groupe qui nous précédait.  

 

C’est la ravitaillement. Nous devons être au 55ième km. Nous sommes à mi course. La bouteille est à moitié vide. Traduction : un des mes 2 bidons est vide.  Que faire ? Traumatisé par mes expériences passées, je ne prends pas de risque : je m’arrête pour faire le plein. Comme je suis le seul à le faire, les personnes en charge d’accueillir les concurrents sont à mes petits soins. Je tends mon bidon. Ils m’ont fait le plein comme, jadis à la station service de mes aïeux. Pour les vitres, je repasserai.

 

Un groupe d’une petite dizaine d’unité vient de passer. J’ai cru apercevoir une féminine. Par expérience, je sais qu’il est profitable des les accompagner. Pas pour la drague, non. Elles sont souvent accompagnées d’un ange gardien qui sacrifie ses chances pour leur faire réaliser une performance.

 

C’est la 2ième grosse difficulté du jour. Je reviens à 50 mètres. Je calcule. Comme la forêt nous protège du vent, je reste a portée de fusil et je reporte le dernier petit effort sine die. Ma volonté s’effrite au fur et à mesure que nous prenons de l’altitude. Je suis à 100 mètres. J’ai raté ce train bêtement. Je décide d’attendre le prochain.

Justement un petit groupe d’une petite dizaine d’unité s’annonce dans mon rétroviseur. Je réduis ma vitesse pour respirer et l’attendre. Il se rapproche que très lentement. Parmi ceux qui le composent, j’en reconnais certains que j’avais lâchés dans la précédente descente. J’interroge l’un d’eux pour m’enquérir de la distance jusqu’au sommet. L’un d’eux me répond.

 

-          C’est encore loin

 

Paradoxalement, alors que nous ne sommes plus en course pour disputer les dix premières places, loin s’en faut, une accélération intervient brutalement. Alors que je peux les suivre, désireux de m’épargner un à coup inutile, je choisis de conserver le même rythme.

Grossière erreur : nous sommes au sommet.

Après un virage accentué à droite, puis un autre gauche, nous empruntons un faux plat descendant, vent de face. Je suis à 100 mètres. Toujours 100 mètres. Non seulement ils ne se relèvent pas pour souffler, mais au contraire, ils se relayent et accélèrent de plus belle. C’est ma plus mauvaise pioche depuis le départ.

Je suis trempé. Je grelotte. Vent de face dans une descente peu accentuée, c’est le pire des scénarios. Je suis obligé de pédaler pour conserver une vitesse de croisière honorable, veillant à conserver de l’énergie.   

Je progresse ainsi pendant 7 ou 8 km à 40 km/h, seul face au vent, imaginant ceux qui m’ont échappés en se relayant à plus de 50 km/h, tout en faisant moins d’effort que moi.

Nous sommes au environ du 70ième km. J’entrevois un panneau annonçant un nouveau ravitaillement. 200 mètres plus bas un signaleur qui s’était mis à l’abri de la pluie (je peux le comprendre !), net qui ne m’avait pas vu arriver, m’invite à tourner à droite. Je lui crie que je n’ai pas besoin du ravito. Je crois l’entendre crier en retour. J’ai un doute : Etait ce uniquement le ravitaillement ou fallait-il bifurquer à droite ?

Je stoppe et j’entreprends de remonter les 500 mètres que je viens peut être de descendre bêtement. Ça se confirme. Je m’en veux d’autant plus, que j’entrevois un nouveau groupe qui emprunte la bonne direction un peu plus haut. Je râle, puis je décide d’être positif. Je pense aux paroles de la chanson que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Elle sieds à la situation ? Mes commentaires entre parenthèses. Voyez plutôt :  

 

Toute la pluie tombe sur moi (et sur les autres aussi, ça me console un peu)
Et comme pour quelqu'un dont les souliers
Sont trop étroits, (de ce côté-là, ça va, ça baigne !)
Tout va de guingois
Toute la pluie tombe sur moi (il en reste encore beaucoup à tomber ?)
De tous les toits
A chaque instant, je me demande vraiment
Ce qui m'arrive et ce que j'ai fait au Bon Dieu
Ou à mes aïeux pour
Qu'autant de pluie tombe, soudain comme ça... sur moi (Tu m’étonnes qu’il y a des endroits désertiques !)
Mais je me dis qu'au fond
J'en ai reçu bien d'autres dans ma vie
Que je m'en suis toujours sorti avec le sourire 
Toute la pluie tombe sur moi
Oui mais... moi je fais comme si je ne la sentais pas (c’est la méthode couët)
Je ne bronche pas, car
J'ai le moral et je me dis qu'après la pluie...
Vient le beau temps (qu’il ne tarde pas trop quand même !)

et moi j'ai tout mon temps (je fais plutôt semblant, et en tout cas ça y ressemble vu comme je me traîne) 
.../…

 

Je croise un coursier qui bâche et s’engouffre dans une voiture. Bizarre, cet abandon à quelques encablures de l’arrivée. J’ai un doute sur les km qui restent à parcourir et sur la topographie du terrain à venir. Et si j’avais tout faux. Et si, et si …/…

Soucieux d’aller au bout de cette épreuve, je roule comme celui qui risque de tomber en panne d’essence sur l’autoroute. Les kilomètres défilent doucement. Je m’imprègne du sens de l’expression « être trempé jusqu’aux os ».

De toute façon, il arrive un moment ou l’on est tellement mouillé, que même si on tombait à l’eau, il serait impossible de l’être davantage.

 

Un panneau annonce l’arrivée 15 km. Merci. Ça va mieux. Je suis rassuré.

Rasséréné, en compagnie de 4 autres participants qui se tire une bourre d’enfer, je finis l’épreuve à fond les ballons, oubliant les deux plus faibles en chemin.

 

Je prends note de mon classement :

 

-          130ième sur 317 au scratch.

-          16ième sur 79 dans ma catégorie d’âge.

-          279 seront classés, 38 ont abandonnés pour des raisons diverses, les crevaisons n’y étant pas étrangères.

 

Je ne peux réprimer les tremblements intempestifs qui assaillent tout mon être en raison du froid et de l’humidité.

Rétrospectivement, je prends conscience que la connaissance du parcours est un atout indéniable.

Si je ne m’étais pas relevé par calcul à quelques encablures du 2ième sommet, imaginant revenir dans les roues dans la descente, si je n’avais pas confondu la bifurcation avec le 2ième ravitaillement, si …/…, et si …/…

On pourrait mettre Paris en bouteille, et aujourd’hui avec toute l’eau qu’il tombé, toutes les coupes du monde seraient pleines.

 

Je retrouve fifille avec plaisir. Mes vêtements pèsent des tonnes. Quel plaisir que se sentir sec. A table maintenant. Des informations glanées au moment du repas, il parait que les derniers sont encore à 20 km de l’arrivée ! Ils vont avoir des écailles et des branchies !

 

L’année prochaine, je reviens…/…. Mais seulement s’il ne pleut pas !

 

Au fait, j’oubliais : j’ai eu un début de crampes en toute fin de parcours, mais rien à voir avec celles qui contraignent à un arrêt immédiat.

Question : c’est le beurre de karité ou la privation du café ? 

 

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Pfffff!.......je suis épuisé d'avoir lu ton récit. j'ai l'impression d'avoir pédalé avec toi, alors que je n'étais que sur ton porte bagages!

merci de nous avoir fait participer avec style et humour , il ne nous reste plus qu'à nous sécher et attendre que tu nous racontes la prochaine

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Bonjour et merci à tous pour vos encouragements.

Sur l'avis de François et l'absence de crampes, je partage son analyse, à ceci près que je mets le café en 1ier.

Sur la ou les prochaines épreuves, j'envisage de participer à La Lapébie, après mes vacances sans vélo, durant lesquelles il est prévu un treck à pieds de 8 jours à très haute altitude (de 3500 à 5300 mètres), et aux Bosses du 13 à Marseille, ou j'en profiterais pour revoir la famille.

Je préfère ce genre d'épreuves plutôt qu'à des petites courses autour du clocher du village. Les parcours exigeants mais souvent très beaux, souvent au dessus des capacités objectives de beaucoup de participants (cf. Etape du Tour), conduisent à une forme d'aventure qui se fait de plus en plus rare dans le monde d'aujourd'hui.  

Au fait, je n'oublie pas non plus que c'est la lecture d'un CR (celui de Dominique meuret) qui m'a décidé à ma 1ière épreuve.

Et merci encore à tous.   

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Merci encore à tous.

Au début, j'ai fais ça pour analyser mes impressions, et accessoirement pour encourager ceux qui hésitaient à se lancer à franchir le cap de ce qui reste une aventure humaine : le sport. Et puis, j'y prends goût. Et si ça distrait ou si ça fait rire, tant mieux.  

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