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Le Tour.... avant !


Pierre BURDIN
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Le blog savoyard "La Voix des Allobroges" a eu la bonne idée d'exhumer un article d'Albert Londres causant du Tour de France de 1924. Rien que la photo est flippante ! Et nous on cause patins pour jantes carbones... Je n'imagine même pas les descentes sur ses routes-ci...

http://lavoixdesallobroges.org/sport/523-le-tour-dans-les-alpes-vu-par-les-grands-ecrivains

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Le «Maçon du Frioul?» Ottavio Bottecchia: Tour 1925.

La légende engendre parfois le sulfureux voir l'"abracadabrantesque" en revanche, elle s'imprègne, le plus souvent, de parcours humain hors du commun. Le bref, mais ô combien riche, tracé existentiel du "Maçon du Frioul" en est un des fleurons les plus représentatifs. Ottavio Bottecchia, comme nombre de ses congénères Européens, va subir les affres des errements gouvernementaux qui aboutiront, comme chacun sait, à cette sordide "Grande Guerre". Le morbide de la situation, le jeune maçon de San Martino di Colle Humberto, va l'affronter nanti d'une lucidité et d'un culot inouï. Affecté, dès le début du conflit, au sein d'une section cycliste "Bersaglieri", Ottavio rejoint le front du nord, à la frontière Autrichienne. Pris dans les méandres de combats douteux, il est fait prisonnier à trois reprises. Epris de liberté, l'inconscience à fleur de peau, il prendra congé de ses hôtes encombrants et méprisants en ces trois occasions. A bicyclette !!! Le rocambolesque de ses évasions ne serait nullement apparu incongru aux scénarios les plus accomplis de nos chers metteurs en scène du septième art de cette époque en plein balbutiement. De retour au pays, notre héros reprend le collier, la truelle en l'occurrence, sans se soucier, ni songer d'ailleurs, un seul instant, que ses exploits puissent, un jour, avoir franchit les lignes confidentielles des aires de combats. Hors, un ami, compatriote et cycliste, en outre, tente de lui mettre le pied à l'étrier. En vain, dans un premier temps. Ottavio Bottecchia n'a jamais considéré le vélo comme autre chose qu'un moyen de locomotion voir d'évasion. Pourtant, deux années plus tard, toujours sous la houlette de son ami de la première heure, Piccin, le "Maçon du Frioul" passe professionnel. Ces deux ans de réflexion n'ont, toutefois, pas altéré sa désaffection pour la "Petite Reine" et c'est sans flamme ni ambition démesurée que le "Frioulais" débute dans la carrière. Huitième au "Lombardie" 1922, il termine à la cinquième place du Giro, une saison plus tard. Libellé, arbitrairement, "Gregario", il est enrôlé par les frères Pélissier lors de la Grande Boucle 1923. Hiérarchie oblige, surtout lorsque l'on porte le nom hautement vénéré des Pélissier, le Transalpin se hissera, tout de même, sur la deuxième marche du podium, à Paris. Le destin est en marche.

Son Tour de France 1924 restera dans les annales comme le plus accomplis. Sous les yeux d'un Albert Londres, au sommet de sa prose dithyrambique, Ottavio Bottecchia portera la tunique jaune de bout en bout, ouvrant le bal par un succès et clôturant celui-ci de la même manière, et parviendra à Paris plus d'une demi-heure avant le "Teinturier", alias, le Luxembourgeois Nicolas Frantz, coursier ô combien éclectique, élégant, racé et redoutable finisseur (lauréat en 27 et 28).

Il récidivera en 1925 s'imposant le premier et le dernier jour, de fort belle manière, tout en atomisant partenaires et adversaires.

A l'instar de l'année précédente, le Transalpin domine l'épreuve et se trouve à bonne distance d'un éventuel retour du "Teinturier". La veille de cette treizième étape Nice Briançon, Bottecchia s'est encore illustré, en mystifiant le coureur du "Grand Duché" lors de l'étape menant les coureurs de Toulon à Nice. Sur un parcours dénué de difficultés majeures, l'Italien intenable mais pas insatiable fera fructifier l'escarcelle à minutes et, beau seigneur, abandonnera sprint et étape à Lucien Buysse, adversaire valeureux s'il en est. Allos, Vars, Izoard, le "Maçon du Frioul" n'apparaît pas effrayé, outre mesure, à l'idée de les dompter. En effet, le coussin de vingt sept minutes alloué par son adversaire Luxembourgeois, le rendrait presque guilleret. Enjoué, certes, mais pas hilare, tout de même. Par expérience, Bottecchia subodore que ces adversaires, dont le "teinturier", sont sur des charbons ardents et vont tout tenter pour le déstabiliser. Il sait qu'il lui faudra museler l'adversité coûte que coûte. Sa maturité, sa science de la course, ses ressources intactes feront le reste, semble t'il penser. Il apprécie, lui le besogneux, le combat, les joutes chevaleresques mais fraternelles. De ses évasions irrationnelles, il a conservé la pulsion phénoménale du jusqu'au boutiste qu'il fut en ces occasions.

Au matin de ce 9 juillet, le classement général apparaît d'une limpidité déconcertante. Notre "maçon" trône, en jaune, avec un peu plus de vingt minutes sur l'esthète Luxembourgeois et un peu moins d'une demi-heure le Belge de service, Albert Dejonghe. Le matche italo-luxembourgeois va connaître, en ces lieux, son épilogue. La météorologie est exécrable et la pluie qui tombe, sans discontinuée, transperce les corps meurtris et las d'un peloton déjà passablement amoindri. Le col d'Allos vient à point nommé pour exciter les velléités offensives des sempiternels frustrés. C'est le cas du bouillonnant Angelo Gremio qui, après un solo de grand cru, franchit, en tête, le sommet de cette première difficulté. Victime d'une crevaison inopportune dans la descente, le Transalpin de Meteore Wolber est rejoint puis déposé, tel un laisser pour compte, par le Belge August Verdyck. Auteur d'une descente prodigieuse, le représentant d'Outre Quiévrain creuse un écart substantiel de deux minutes sur son compatriote Omer Huysse et de trois minutes sur un duo Italien composé de Bartolomeo Aimo, de le formation Alcyon, et de l'incontournable leader de l'épreuve, Bottecchia. Nicolas Frantz, dont la masse pondérale n'a d'égale que la vélocité dont il use lors des emballages finaux, traîne ses quatre vingt kilos comme une âme en peine. Maculé de boue, le puissant Luxembourgeois prend place dans la première charrette d'agonisants notoires. A l'avant, le Belge de l'équipe Christophe, toujours aussi démonstratif sur sa monture, brise, soudain, sa roue avant, et se voit dans l'obligation de stopper sa folle chevauchée. A regret, il campe, au côté de son vélo disloqué, dans l'attente d'un secours hypothétique qui n'apparaîtra qu'une demi heure plus tard. La physionomie de la course est, dès lors, toute autre. Dans les premières pentes du col de Vars, Aimo, au train, décramponne Bottecchia. Ce dernier, le port altier, ne semble nullement préoccupé par cet affront. En fait, la surveillance "aérienne" et les faits et gestes du massif "Teinturier", qui déambule quelques lacets en amont, suffit a attisé une motivation jamais démentie. L'ascension de l'épouvantable mais incontournable Izoard, qui se profile tel un spectre ancestral à l'horizon, sera un véritable calvaire pour les rescapés de cette journée apocalyptique. Le froid, la pluie et la boue mêlés transforment la silhouette des coursiers en véritables et hallucinants zombies. On distingue que difficilement les coureurs de tête. Dans l'opacité du chaos, on subodore, plus qu'on ne voit, Huysse et Verdick planté sur leurs bécanes. Frantz, lui, semble avoir retrouvé un soupçon de fierté et se déhanche nonchalamment en tentant un ultime mais dérisoire retour. Nanti de cinq minutes sur son dauphin, à ce moment là de la course, le "Maçon du Frioul" éreinté, comme ses petits camarades de souffrance, met pieds à terre et décide, tout de go, de poursuivre mais de muer, la montée de l'"Abominable", en randonnée pédestre. Revigoré et requinqué par cet intermède insolite, Ottavio chevauchera à nouveau son fier «?destrier?» puis basculera, prudemment néanmoins, dans la descente salvatrice. Bartolomeo Aimo, le bougre, franchit, sans encombre mais au prix de sacrifices surhumains, le sommet de l'ultime col du jour et plonge vers Briançon. A l'arrivée, le coéquipier de Nicolas Frantz conservera dix minutes d'avance sur le maillot jaune et un peu plus de quinze minutes sur son leader. L'écart, entre l'Italien et le Luxembourgeois, ne cessera de croître jusqu'à Paris où le "Maçon du Frioul" remportera, haut la main et sans trembler, sa deuxième Grande Boucle d'affilée. Ce sera, également, son dernier triomphe. Après son abandon, lors de l'étape Bayonne Luchon sur le Tour de 1926, Ottavio Bottecchia tirera sa révérence à 33 ans. La symbolique voulut qu'il décède à cet age. Les causes énigmatiques de son décès s'apparentent assez au fil de sa carrière brillante mais éphémère. Du complot politique au fait divers le plus sordide en passant par l'accident le plus invraisemblable, la rumeur s'évanouira telle qu'elle était apparue à savoir, d'elle même bien à l'image de ce coursier discret et talentueux suscitant respect et admiration de tous les tifosis.

Ces dernières années, depuis l'émergence de Greg Lemond plus précisément, il est de notoriété publique de se convaincre béatement qu'un succès dans le Tour de France nécessite, impérativement, une éviction sans concession de toutes épreuves importantes précédant l'échéance de juillet. Il est stipulé, en outre, que jamais ô grand jamais ces méthodes drastiques et stakhanovistes n'étaient usités par nos aïeux. Hors force est de constater que la carrière d'Ottavio Bottecchia est l'exemple type du coursier qui a, délibérément, tout délaissé pour remporter la Grande Boucle. Le "Maçon du Frioul" apparaît donc comme le précurseur de cette "méthode", il y a de cela, quatre vingt ans ! La spécialisation n'est aucunement l'apanage de nos contemporains, bien que ceux-ci tentent, maladroitement et à longueur de temps, de nous le laisser croire, qu'on se le dise !

Michel Crepel

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