« Dédé », le « Roi de Montlhéry », le « Roi René », la « Locomotive Humaine », « Tonin le Sage », le « Père Futé », le « Placide », « Gino le Pieux »… Mais qu’est-ce que le « Nabot » venait faire dans pareille galère ? Il apparaissait de notoriété publique, à cette époque de grand chambardement, que les André Leducq, Georges Speicher, René Vietto, Learco Guerra, Antonin Magne, Silvère Maes, Roger Lapébie, et Gino Bartali, pour ne citer que les plus représentatifs de la hiérarchie planétaire, monopolisaient les bouquets et accessits des épreuves auxquelles étaient conviés les coursiers des Années Folles. Or, un gamin de Paris né à l’aube du XXème siècle viendra bientôt bouleverser l’ordre établi de ces grands noms du sérail vélocipédique. Maurice Archambaud, car c’est bien de lui dont il est question, restera pour les inconditionnels réducteurs dans la Légende comme le prédécesseur du Campionissimo sur les tablettes du record de l’heure. En revanche, ce qu’ils ignorent trop souvent, c’est que malgré un gabarit réduit le Nabot restera à jamais l’un des précurseurs du style rouleur.

En 1932, Gaston Benac et Albert Baker d’Isy, journalistes attitrés du quotidien Paris-Soir, ont la géniale idée d’élaborer une épreuve cycliste en solitaire de plus de 100 bornes. Le Grand Prix des Nations est né. La première édition se déroulera le 18 septembre de cette même année et verra s’entredéchirer vingt-trois présomptueux tout au long d’un parcours de 142 kilomètres. Entre Versailles et Montrouge, les belligérants se dépouilleront corps et âme afin d’inscrire le premier leur nom à une longue liste de Géants de la route. Le Nabot réalise ce jour-là un festival. En effet, il remporte l’épreuve de toute sa classe naissante en reléguant l’Espagnol Alfredo Bovet, véritable métronome de la discipline jusqu’alors, à plus de six minutes. Mais plus que les discours les chiffres parlent d’eux-mêmes. Learco Guerra pointe à plus de huit minutes, Sylvère Maes compte un débours frisant les dix minutes et Nicolas Frantz franchit la ligne éberlué, près de quatorze minutes après le héros du jour.

Pour l’anecdote, sachez que la Joconde Alfredo Binda, trois fois champion du monde, lauréat de cinq Giri, triomphateur de cinq Feuilles Mortes, double vainqueur de la Primavera et possédant le plus gros palmarès de victoires d’étapes sur le Tour d’Italie, derrière Mario Cipollini, a bâché écœuré et dépité par tant d’insolence.

Bien que 16ème de son premier Tour de France deux mois plus tôt, Maurice Archambaud est obnubilé par le chronomètre. Son goût prononcé pour l’effort solitaire ne se dément jamais en diverses occasions et ses chutes répétées lors des courses en peloton sont des arguments de poids à ce choix atypique. Ensuite, ses problèmes de transfert intestinal chronique, qui ont ému la France entière lors d’éditoriaux sulfureux d’Henri Desgrange, se sont grandement chargés d’ôter les quelques doutes qui auraient pu, encore, assombrir ses desseins chronométriques.

Faisant fi de tout, notre « Nabot » national s’oriente donc vers la piste et tous les pièges insidieux qui jalonnent l’histoire de celle-ci. Le record de l’heure végète depuis qu’un certain Oscar Egg, Helvète de son état, se l’ait approprié un 18 juin 1914. Cet originaire de Shlatt, en Suisse alémanique, a parcouru sur la piste de Paris Buffalo 44,247 kilomètres dans l’heure. Il faut tout de même rappeler que le résident du Raincy n’en était pas à son coup d’essai. Dans les rangs amateurs, Maurice Archambaud s’était déjà époumoné sur la piste de la Cipale, en 1929 plus précisément, pour réaliser une honnête performance (38,240 puis 39,900 à Buffalo) qui laissait entrevoir des possibilités beaucoup plus ambitieuses à cet éternel insatisfait. La pénurie d’officiels, lors d’un séjour à Alger trois ans plus tard, rendra caduque l’exploit réalisé ce jour-là. En effet, il réalisa la sensation sur la piste maghrébine en parcourant 300 mètres de plus qu’Oscar Egg à savoir 44,564 kilomètres dans l’heure, prodigieux !

L’abnégation et la volonté du petit bonhomme étaient telles qu’il remit le couvert le 3 novembre 1937 afin que son ambition légitime soit rassasiée. Ce jour-là, et après trois tentatives avortées par la pluie et les crevaisons, son fantasme prend définitivement fin. Ovationné par un groupe de supporters dont le leader n’est autre que l’inénarrable Jean Leulliot, Archambaud, émigré en Italie, au Vigorelli pour la circonstance, atteint la moyenne faramineuse de 45,767 kilomètres dans l’heure (entretemps un Batave du nom de Franz Slatts détenait le record en 45,485 km/h, le 29 août 1937) !

C’est l’apogée d’un champion hors du commun qui malgré de réelles références sur la route, couronnées de deux victoires dans Paris Nice (1936 et 1939) et de deux accessits sur le Tour de France (5ème en 1933 et 7ème en 1935) dont il porta la tunique jaune immaculée, préfèrera le défi du temps ! Comme le dira si justement Serge Laget du journal L’Equipe : « Maurice Archambaud, le Nabot, laissera derrière lui l’image d’un grand petit monsieur au surnom bien mal choisi. »

Michel Crepel