Les abonnés d’Eurosport connaissent ses blagues incessantes et sa bonne humeur constante. Les suiveurs de la saison de cyclo-cross sont familiers avec ce drôle de coureur-manager ayant choisi de redevenir amateur pour passer du bitume à la boue. Quant aux fans du cyclisme sur route français et de ses courses de seconds plans, ils reconnaissent sans difficultés cet animateur inlassable des échappés, à la pointe de vitesse redoutable. Alors si ces trois catégories de personnes se superposent, elles parviennent à considérer ce drôle de coureur dans son entièreté. Personnage médiatique du cyclisme français, il est parvenu à s’imposer sur le devant de la scène sans passer par de brillants résultats sur la route, pourtant perçue comme la discipline vitrine de la bicyclette tricolore. Après neuf années passées dans les rangs professionnels et cinq maillots différents portés, il s’épanouit aujourd’hui en revenant aux sources de sa passion. Parcourant les sous-bois l’hiver, animant les étapes du Tour de France l’été, gérant son Team Chazal Canyon toute l’année durant, il est parvenu à se rendre incontournable de cette rubrique des « 101 qui font le cyclisme français ». Alors, ce jeudi, voici son portrait, celui de Steve Chainel.

Son parcours :

C’est par les voies de l’excellence que Steve Chainel est venu au cyclisme. La première, celle du CC Etupes, est celle qu’ont notamment emprunté Warren Barguil, Thibaut Pinot ou encore Adam Yates. La seconde est celle de la boue, de la terre et des obstacles, de ces montées rendues infranchissables par la malléabilité du sol, requérant de la plupart des coureurs l’art de la course à côté du vélo. Par celle-ci, Julian Alaphilippe, Wout Van Aert ou encore Mathieu Van der Poel ont forgé leur tonitruante explosivité, qui font aujourd’hui leur succès sur les plus grandes épreuves de route du calendrier mondial. De ces écoles des grimpeurs et des puncheurs, Steve Chainel en a tiré une splendide pointe de vitesse, qu’il découvre avec bonheur lors de son passage à la route.

Loin du niveau du gratin mondial, ne possédant ni les cuisses herculéennes d’André Greipel ni les formidables aptitudes en montée d’Alejandro Valverde, le vosgien s’illustre à ses débuts dans des épreuves du calendrier national, concourant avec des formations de divisions Continentales. Sous le maillot d’Auber 93, il effectue sa première saison professionnelle en 2007 sous une forme quasi franco-française. Du Tour de Normandie au Tour du Poitou-Charente en passant par les 4 jours de Dunkerque, Steve Chainel donne d’ores et déjà le ton de sa carrière de coureur sur route : celui d’un cycliste à la renommée nationale, brillant sur les épreuves de seconde catégorie de l’hexagone. A travers deux tops 10 sur le Tour de Normandie ou encore une remarquable septième place sur le Trophée des Grimpeurs, il puise dans ses ressources acquises en cyclo-cross pour faire des parcours difficiles et des courses d’usures son terrain de jeu.

Sa progression est d’ailleurs notable lors de la saison suivante, où il s’illustre régulièrement lors de tours régionaux, comme sur le Circuit de la Lorraine qu’il survole, glanant alors un bouquet d’étape et le classement général final. Souvent placé, rarement vainqueur, il écume les épreuves du calendrier de la Coupe de France en quête de places d’honneur, peinant à se défaire de la suprématie de Samuel Dumoulin en côte ou de l’explosivité du gratin du sprint. Avec 14 tops 10 en 39 jours de course, il effectue alors sa plus belle année en tant que coureur professionnel.Steve Chainel lors de sa seconde place sur le Trophée des Grimpeurs 2008Steve Chainel lors de sa seconde place sur le Trophée des Grimpeurs 2008 | © Ville d’Aubervilliers

Transfuge chez Bbox Bouygues Telecom à l’hiver 2008-2009, son choix de prolonger sa saison sur cyclo-cross se répercute sur ses résultats sur route. Alors qu’il prend part à ses premières classiques flandriennes et multiplie les participations à des épreuves internationales, ses résultats ne décollent pas, l’enfermant dans l’anonymat des pelotons. En 2010, sa décision de se spécialiser dans les classiques paie enfin. 4e d’A Travers les Flandres, vainqueur de la première étape des Trois Jours de la Panne, 17e du mythique « Ronde Van Vlaanderen » devant Frédéric Guesdon, le natif de Remiremont perce enfin de l’autre côté des Ardennes, retrouvant, dans ces montées pavées aux pourcentages effrayants, les taquets boueux de sa jeunesse.

Ces performances lui permettent de rejoindre le World Tour l’année suivante, au sein de l’équipe FDJ. Jouant la plupart du temps l’équipier pour ses sprinteurs, il n’apparaît au sommet des classements qu’à de rares reprises durant ses deux années de contrat avec la formation de Marc Madiot. 4e du Tro Bro Léon en 2011 ou 8e de Gent – Wevelgem en 2012, les motifs de satisfaction se font rares pour Steve Chainel, qui décrète même avec amertume lors de son départ chez AG2R-La-Mondiale qu’il n’a « jamais pu pleinement s’exprimer » sous les couleurs bleues, blanches et rouges.

Pourtant, sous les ordres de Vincent Lavenu, la qualité de ses prestations ne se réhausse guère. Avec 4 tops 10 en deux ans, le vosgien ne connaît plus la réussite de ses débuts professionnels, passant la plupart de ses jours de course à faire le gregario. Ses caractéristiques de coureur sincère et modeste lui valent d’ailleurs le premier rôle dans le documentaire « Le Prix de l’Echappée », réalisé par Patrick Chassé, dépeignant avec brio le quotidien du cyclisme moderne.

Appelé chez Cofidis par son ami et partenaire d’entraînement Nacer Bouhanni, Steve Chainel rejoint la formation nordiste en 2015. Sur le déclin et victime des coups de sang du sprinteur au caractère impulsif, les relations d’amitié et de respect se brouillent entre les deux hommes après quelques mois seulement, enfermant le lorrain dans une position inconfortable chez les rouges. Le moment venu d’un premier bilan de sa carrière sur route, ce dernier sent alors une vague d’amertume éclabousser son palais. Loin du niveau espéré, le vosgien n’aura même pas connu les joies du Tour de France, comptant seulement deux abandons pour ses uniques participations au Giro et à la Vuelta. Profondément déçu par la tournure de son cursus honorum sur la discipline phare du cyclisme, dépourvu de plaisir sur son vélo, Steve Chainel prend alors la décision de revenir aux sources de son bonheur : le cyclo-cross. 

Son statut aujourd’hui :

Rentré dans les rangs amateurs depuis plus de quatre ans, Steve Chainel a retrouvé ses amours de jeunesse grâce à cette seconde vie. En lançant le Team Cross by G4 avec son ex-épouse Lucie Chainel dès le mois d’août 2015, le vosgien s’est découvert un goût pour l’entreprenariat, accompagné d’une réelle ambition de renouer avec l’excellence pour le cyclo-cross français. Dans une discipline outrageusement dominée par les belges et les néerlandais, le natif de Remiremont souhaite rendre à sa discipline favorite la place qu’elle occupait auparavant dans les calendriers des coureurs professionnels. Alors que Mathieu Van der Poel imprime avec autorité son hégémonie sur l’ensemble des manches de Coupe du Monde durant l’hiver et se montre compétitif dès son retour sur la route, les formations françaises se bornent à restreindre drastiquement à leurs coureurs les apparitions dans les sous-bois.Le Cross Team By G4 en 2017Le Cross Team By G4 en 2017 | © G4 Dimension

Ainsi, c’est à une envergure de grande ampleur que s’ouvre le projet de Steve Chainel : révolutionner le cyclisme français pour rendre au cyclo-cross sa part d’antan. Si l’idée est pleinement pourvue de convictions, les moyens restent faibles. Même s’il n’est pas communiqué, le budget du Team Chazal Canyon, la nouvelle appellation de sa formation, est estimé à 100 000 euros, soit dix fois moins que la somme requise pour monter une équipe professionnelle. Avec un kiné et des mécanos bénévoles ainsi que des coureurs amateurs dans son effectif, le vosgien est encore loin des cimes visées. Mais l’ascension est en cours et s’effectue de manière sûre et progressive, chaque année apportant son lot d’amélioration. En 2017, la dénomination « d’équipe UCI », désignant les meilleures formations spécialisées dans le cyclo-cross, ainsi que l’aisance avec laquelle Steve Chainel avait convaincu le dirigeant de la maison de charcuterie de lui fournir 90% de son budget, l’avaient grandement conforté dans la voie managériale choisie, tout en lui offrant de belles promesses pour la suite de son aventure. De même, son titre de champion de France élite en 2018 avait permis un joli coup de projecteur à son projet.

D’ailleurs, avec la signature de son poulain Antoine Benoist chez Alpecin-Fenix (ex Corendon-Circus, l’équipe de Mathieu Van der Poel) pour la saison à venir symbolise les premières concrétisations de cet investissement. En permettant au champion de France espoir de rejoindre une formation belge où le cyclo-cross est au cœur de la préparation des épreuves sur route, Steve Chainel crée ainsi une première chance de retrouver la France au sommet des classements internationaux. Pour la suite, l’objectif sera de proposer ce modèle au sein des frontières de l’hexagone.

Enfin, cette esquisse du vosgien serait incomplète sans référence à ses activités de consultant chez Eurosport, lorsque les températures estivales n’invitent plus à parcourir les terres boueuses des prés. Inlassable boute-en-train, plaisantin de service, il se charge de réchauffer continuellement l’ambiance par sa bonne humeur. Son association avec Guillaume Di Grazia, Jacky Durand et David Moncoutié, également farceurs en tous genres, est d’ailleurs celle de toutes les boutades et les facéties. Au point de faire des retransmissions cyclistes sur Eurosport un véritable moment de détente, loin du cliché du sérieux hautain du commentaire sportif. Si en revanche Steve Chainel pêche dans l’analyse des faits de courses, incapable de garder sur la longueur un ton sage et posé, il faut reconnaître les bienfaits de la touche d’humour qu’il apporte. A chacun de l’apprécier ou non !

Jean-Guillaume Langrognet