Ingénieur de formation, cet homme est devenu un entrepreneur de fonction. Et comment ! Redressant de manière magistrale une grande multinationale française en déclin, il est parvenu à redorer son blason au plus fort des difficultés financières mondiales. Formidable challenger, il a remporté talentueusement un défi aux abords bien ardus. Déchirant une feuille de route défaillante, il est reparti d’une page vierge pour faire de sa société le héros du récit d’un redressement incroyable. Sa clientèle montagnarde connaissait la qualité de ses produits de sports d’hiver, elle découvre aujourd’hui avec joie sa gamme d’été, faisant des pentes non plus une affaire de glisse, mais de grimpe. Ainsi, ce dimanche, portrait d’un astucieux, d’un ingénieux et d’un habile génie du marché. Portrait de Bruno Cercley, Président Directeur Général de Rossignol.Bruno Cercley, PDG de RossignolBruno Cercley, PDG de Rossignol | © Wikipédia 

Son parcours :

Sa vie de businessman fructueux dans le sport, Bruno Cercley ne l’avait pourtant pas imaginé un seul instant. Peu enthousiasmé par le monde de l’effort physique, plongé dans ses études d’ingénieur aéronautique à l’ESTACA (Ecole Supérieure des Techniques Aéronautiques et de Construction Automobile), il utilise davantage les mathématiques à des fins techniques que financières. Pourtant, dès son entrée dans la vie active, le français s’éloigne de la voie classique. Quittant le train du conformisme au carrefour des domaines, il s’engage dans un service de marketing chez Owens Corning en 1985, en y devenant ingénieur des ventes. En charge d’une clientèle intéressée par des matériaux composites en automobile et aéronautique, il reste ainsi dans son univers de formation, celui des moteurs et de la vitesse.

Cependant, une nouvelle fois, le fleuve de la vie de Bruno Cercley s’éloigne de la source. Epanoui dans ses fonctions commerciales, il privilégie ce domaine de service au secteur entrepreneurial dans lequel il évolue. Transfuge chez Atochem en 1989, il garde un léger contact avec l’automobile mais s’investit surtout dans ses tâches de manager d’un centre de profits. Réputé dans le monde de l’industrie des matériaux, il est recruté deux ans plus tard par la société Saint-Gobain, spécialiste des céramiques et du plastique, y acquérant rapidement le poste de manager général. Si le français est en plein succès professionnel, il est loin d’imaginer le triomphe entrepreneurial que l’avenir lui réserve.

Première surprise, Bruno Cercley découvre l’univers inconnu du sport en 2002, en intégrant l’équipe de direction des Skis Rossignol en 2002. Deuxième sensation : si la société française investit bien dans la recherche et développement en matière de textiles et de matériel, c’est de la fonction de Président Directeur Général qu’il s’empare, bien loin de ses cours de sciences de l’ingénieur. Désormais, cela ne fait plus de doutes, l’étudiant technicien a mué en un businessman confirmé. Mais Bruno Cercley connaît là ses premiers remous de carrière. Voyant l’entreprise passer dans les mains de Quick Silver, il rejoint alors la présidence de Coleman Europe, évincé de ses fonctions par l’arrivée du groupe australien.Logo du groupe RossignolLogo du groupe Rossignol | © Neige-et-Glace.fr

Mais le français reste attaché à l’enseigne de sports d’hiver, celle qui l’a vu débuter en tant que PDG. Outré par la gestion scandaleuse qui conduit le joyau économique français à dépérir misérablement, il profite du rachat du groupe par le consortium Chartreuse et Mont Blanc qu’il dirige pour retrouver son poste d’antan. Toutefois, trois ans plus tard, l’état de l’entreprise n’a rien à voir avec celui dans lequel il l’avait laissé. Criblée de dettes, assommée par un déficit quotidien de 200 000 euros par jours, atterrée par un chiffre d’affaire réduit de moitié, Rossignol est au bord du gouffre, le vol de l’oiseau se fait désormais lourd et pesant, la chute est proche.

Pour Bruno Cercley, le défi est exaltant, mais âpre. Dans les premiers mois de cette nouvelle aventure, les doutes règnent. Constatant chaque jour un peu plus la situation dramatique dans laquelle se trouve l’équipementier, de l’engorgement des usines à la fatigue physique et psychologique du personnel, le français croît parfois avoir fait une énorme erreur, dévoré par son optimisme initial. Mais dans l’esprit de ce combattant, il n’y a aucune place pour la désolation. Tout part alors d’une simple observation : Quicksilver avait vu trop grand, il va désormais falloir faire petit. Out les multiples projets déficitaires qui perçaient le navire Rossignol de multiples voies financières. In un réinvestissement basique focalisé sur la mise au point de skis hauts de gammes. Aidée par un coup de pouce de la météo avec d’importantes chutes de neige durant l’hiver 2008-2009, la prise de décision paie. Si le chiffre d’affaire est allégé de 30% par rapport aux années antérieures, le marge s’accroît quant à elle de 30%. Un exemple à suivre pour la future ligne de conduite économique de l’équipementier.

Sur cette lancée, Bruno Cercley lance alors une grande toilette humaine aussi désagréable que nécessaire. Contraint de licencier 35% de son effectif afin de sauver l’entreprise de la faillite, il prolonge ce bouleversement à l’équipe de direction qui connaît alors un vent de fraîcheur. Commence alors une longue période de renouvellement de l’image de l’entreprise auprès de la clientèle et des investisseurs. Remettant peu à peu l’équipementier sur pied, le français renoue progressivement la confiance aves les partenaires fondamentaux de toute entreprise. Sur ce point, le déclic intervient en 2010. Médaillée olympique des Jeux Olympiques de Vancouver en tant qu’équipementier du suisse Didier Défago, la marque connaît une mise en lumière d’une ampleur inespérée, trouvant là un argument de vente aussi simple que redoutablement efficace.

Cette période est également le moment d’un retour au gage de qualité du « Made in France » pour Rossignol, allant indéniablement de paire avec son positionnement haut-de-gamme sur le marché de consommation. Rapatriant les usines de Taïwan à Sallanches, Bruno Cercley s’assure par la même occasion d’une réactivité et d’une flexibilité accrues.

En 2014, rassuré par un redressement triomphant, le français peut enfin se lancer à l’assaut d’un premier développement, après tant d’années de retour à une taille marginale. Mettant l’accent sur la mécanique de saison et l’essor du textile, le PDG de la marque fondée en 1907, celui-ci trouve un partenaire de choix, en l’identité du fonds scandinave Altor, déjà expérimenté dans le redressement d’enseignes d’outdoor.

En outre, cette levée de fonds est également l’occasion de réduire la soumission de Rossignol à la météorologie hivernale, en faisant de la marque un partenaire annuel des sports de montagne. Afin d’arrêter une concentration des profits sur les mois hivernaux, Bruno Cercley se lance alors à l’assaut de la discipline reine des cimes lorsqu’elles sont dénudées de leur neige par l’astre de feu : le cyclisme. Repérant malicieusement le développement exponentiel du VTT à Assistance Electrique, avec l’apparition des premières compétitions professionnelles et sa démocratisation chez les amateurs, il aborde ce nouveau marché avec l’ambition d’en devenir un équipementier majeur. Rachetant Time en 2016 et Felt Bicycles en 2017, le groupe produits ses premiers vélos et lance l’année suivante son premier VAE, destiné à la conquête des sommets. Un renouvellement de l’offre extrêmement prometteur pour la société basée à Saint-Jean-de-Moireau. 10 ans après la mort annoncée, Rossignol peut enfin reprendre tranquillement son envol.VTT à Assistance Electrique RossignolVTT à Assistance Electrique Rossignol | © jaimesports.fr 

Son statut aujourd’hui :

En effet, avec 249 millions d’euros de chiffre d’affaire sur l’exercice 2018-2019, le groupe est bien au-dessus des standards qu’il connaissait 10 ans plus tôt. Etalant sa gamme sur l’ensemble de l’année et des saisons, Rossignol est bel et bien en train de reconquérir le marché des sports de montagne. En surfant sur l’essor des VAE et en se lançant le défi de reconquérir le public de Time, éloigné par le coût et la complexification de l’offre de l’entreprise française, Bruno Cercley pourrait réaliser un nouveau coup de force dans une carrière emplie de gloire et ornée des insignes du titre de chevalier de la légion d’honneur. Sans oublier l’arrivée massive des produits Rossignol sur le marché chinois, prête à profiter du cap mis par le gouvernement sur les sports d’hiver, avec une hausse attendue de 15 à 100 millions de pratiquants, qui pourrait couronner l’excellence de la marque aux Jeux Olympiques de Pékin en 2022. Ainsi, le succès du français semble encore avoir de beaux jours devant lui.

Par Jean-Guillaume Langrognet