En apparence, c’est une journée paisible qui se lève sur le Giro ce matin à Modène (Emilie-Romagne), en partance pour Fano (Marches), 209 kilomètres plus loin. Rien de très dangereux à l’horizon, lointain d’ailleurs, puisque des lignes droites à perte de vue se succèdent sur un terrain archi plat durant une grande moitié de cette cinquième étape. Une journée de répit, pense-t-on, après deux déboulés houleux du côté du Danemark et les premières explications entre favoris face aux aiguilles du chronomètre, à Herning individuellement d’abord, à Vérone collectivement ensuite. Mais, c’est bien connu, il faut se méfier de l’eau qui dort. Et à propos d’eau, on franchit aujourd’hui le Rubicon, au sens propre. A 75 kilomètres de l’arrivée, le peloton franchira le petit fleuve côtier rendu célèbre par Jules César, qui le traversa contre les interdits, à la poursuite de Pompée.

« Franchir le Rubicon » est devenu une formule célèbre que l’on entend encore fréquemment, plus de 2000 ans après cet événement historique. On l’emploie pour signifier l’action de prendre une décision audacieuse et irrémédiable. Un signe avant-coureur de ce qui attend ceux du Giro ? Si la course commence de manière tout à fait classique, avec la formation dès le 15ème kilomètre d’une échappée de quatre coureurs, des complots s’ourdissent. Les 35 derniers kilomètres ne sont pas aussi aisés que la majeure partie de l’étape le laisserait à penser. Lorsque le peloton se présentera aux abords de la mer Adriatique, sur les hautes falaises qui lèchent le littoral et à travers lesquelles ont été dessinées des routes escarpées et sinueuses, il faudra s’attendre à de l’action. Bien plus qu’on ne l’avait imaginé. Il ne s’agira pas d’un coup d’Etat, ce n’est pas assez rude pour cela, mais ce seront de forts jolis coups d’éclat. Alea jacta est.

Avant cela, il y a donc quatre échappés. Ce sont les Lotto-Belisol Brian Bulgac et Olivier Kaisen qui sont à l’origine de la manœuvre, lancée au kilomètre 15. Sans véritable leader, les Lotto ont tout à gagner à animer la course. Ils le font au quotidien depuis le départ de ce Tour d’Italie. Dimanche, on avait déjà vu Olivier Kaisen participer à la première échappée du Giro, relayé dans le final par Lars-Ytting Bak, encore à l’attaque le lendemain. Cette fois l’équipe belge glisse deux des siens dans un quatuor que complètent les Italiens Alessandro De Marchi (Androni Giocattoli), Pier-Paolo De Negri (Farnese Vini-Selle Italia). Ces quatre hommes vont se concocter un avantage légèrement supérieur à six minutes, puis qui se stabilisera autour des cinq minutes et demie, jusqu’à une réaction plus soutenue du peloton dans le dernier quart de course.

Ivan Basso ordonne à ses troupes de forcer l’allure, plusieurs sprinteurs sautent.

Le peloton a franchi le Rubicon depuis une trentaine de kilomètres quand Taylor Phinney (BMC Racing Team) se noie ! L’Américain de 21 ans, premier héros de ce Giro, en est devenu le martyr. Tombé seul à 8 kilomètres d’Herning dimanche, impliqué dans le jeu de quilles d’Horsens lundi, auteur d’un tout-droit mémorable dans la prairie véronaise hier, le jeune homme dépossédé du maillot rose rend à nouveau visite au goudron. A une quarantaine de kilomètres du but, il poursuit sa tournée d’embrassades au sol et s’en va goûter celui des Marches. Le corps portant les stigmates de toutes ses chutes comme des souvenirs de voyage, Taylor Phinney reprend la route. Mais cette fois il ne réintégrera pas le peloton. Il terminera l’étape dans un gruppetto, une douzaine de minutes après le peloton… qui ne se présentera pas au grand complet à Fano, du fait de l’action fomentée en secret par l’équipe Liquigas et relayée par les Astana.

Le franchissement du Gabicce Monte (2 km à 4,8 %) à 35 kilomètres du but donne le signal. Alors qu’Alessandro De Marchi insiste seul en tête, laissant Brian Bulgac, Pier-Paolo De Negri et Olivier Kaisen reprendre leur place dans le paquet, avant d’être gobé à son tour à 20 kilomètres du but, les favoris commencent à s’animer. Domenico Pozzovivo (Colnago-CSF Bardiani) met à profit cette courte bosse pour accélérer. Ivan Basso (Liquigas-Cannondale) n’a pas autant d’audace mais il ordonne à ses troupes de forcer l’allure. Le rythme imposé par la formation italienne ne sera pas suffisant pour faire sauter un quelconque favori, en revanche il élimine du jeu un certain nombre de sprinteurs : Farrar, Bos, Feillu, Ferrari, Guardini, Haedo, Hushovd… Puis les Astana relaient l’effort des Liquigas dans les 15 derniers kilomètres sinueux.

Finalement, les équipes de sprinteurs reprennent le dessus dans un final endiablé qui n’aura permis aucune incartade de la part des candidats futurs au maillot rose. Pour l’heure, la tunique reste assurée à Ramunas Navardauskas (Garmin-Barracuda) et la victoire d’étape se disputera entre les sprinteurs toujours dans la course. Il reste encore du beau monde, à commencer par Mark Cavendish (Team Sky), trop souvent décrié quant à son incapacité à franchir les bosses. Cette fois pourtant, il n’aura pas cédé. Et il lui reste même suffisamment de jus pour aller chercher, emmené à la perfection par toute son équipe, une seconde victoire d’étape dans ce Tour d’Italie. Matthew Goss (Orica-GreenEdge) en est quitte pour une nouvelle 2ème place derrière le Britannique, qui s’impose sous les yeux de sa belle et de sa petite fille. A relever que Damiano Cunego (Lampre-ISD), à la faveur d’une cassure, reprend 5 secondes aux favoris.

Demain vendredi, la sixième étape se disputera entre Urbino et Porto Sant’Elpidio (210 km).

Classement 5ème étape :

1. Mark Cavendish (GBR, Team Sky) les 209 km en 4h43’15 » (44,3 km/h)
2. Matthew Goss (AUS, Orica-GreenEdge) m.t.
3. Daniele Bennati (ITA, RadioShack-Nissan) m.t.
4. Robert Hunter (AFS, Garmin-Barracuda) m.t.
5. Sacha Modolo (ITA, Colnago-CSF Bardiani) m.t.
6. Alexander Kristoff (NOR, Team Katusha) m.t.
7. Elia Favilli (ITA, Farnese Vini-Selle Italia) m.t.
8. Manuel Belletti (ITA, Ag2r La Mondiale) m.t.
9. Arnaud Démare (FRA, FDJ-BigMat) m.t.
10. Jonas-Aaen Jörgensen (DAN, Team Saxo Bank) m.t.

Classement général :

1. Ramunas Navardauskas (LIT, Garmin-Barracuda) en 14h45’13 »
2. Robert Hunter (AFS, Garmin-Barracuda) à 5 sec.
3. Ryder Hesjedal (CAN, Garmin-Barracuda) à 11 sec.
4. Matthew Goss (AUS, Orica-GreenEdge) à 13 sec.
5. Mark Cavendish (GBR, Team Sky) à 14 sec.
6. Geraint Thomas (GBR, Team Sky) à 16 sec.
7. Manuele Boaro (ITA, Team Saxo Bank) à 19 sec.
8. Christian Vande Velde (USA, Garmin-Barracuda) à 26 sec.
9. Joaquim Rodriguez (ESP, Team Katusha) à 30 sec.
10. Alexander Kristoff (NOR, Team Katusha) m.t.

Classement par points :

1. Matthew Goss (AUS, Orica-GreenEdge) 65 pt
2. Mark Cavendish (GBR, Team Sky) 53 pt
3. Tyler Farrar (USA, Garmin-Barracuda) 30 pt
4. Geraint Thomas (GBR, Team Sky) 26 pt
5. Taylor Phinney (USA, BMC Racing Team) 25 pt
6. Daniele Bennati (ITA, RadioShack-Nissan) 24 pt
-. Mark Renshaw (AUS, Rabobank) 24 pt
8. Arnaud Démare (FRA, FDJ-BigMat) 21 pt
-. Alex Rasmussen (DAN, Garmin-Barracuda) 21 pt
10. Robert Hunter (AFS, Garmin-Barracuda) 20 pt

Classement de la montagne :

1. Alfredo Balloni (ITA, Farnese Vini-Selle Italia) 6 pt
2. Pier-Paolo De Negri (ITA, Farnese Vini-Selle Italia) 3 pt
3. Ramunas Navardauskas (LIT, Garmin-Barracuda) 2 pt
-. Miguel-Angel Rubiano (COL, Androni Giocattoli) 2 pt
-. Brian Bulgac (PBS, Lotto-Belisol) 2 pt
6. Alessandro De Marchi (ITA, Androni Giocattoli) 1 pt
-. Olivier Kaisen (BEL, Lotto-Belisol) 1 pt
-. Miguel Minguez (ESP, Euskaltel-Euskadi) 1 pt

Classement des jeunes :

1. Ramunas Navardauskas (LIT, Garmin-Barracuda) en 14h45’13 »
2. Manuele Boaro (ITA, Team Saxo Bank) à 19 sec.
3. Alexander Kristoff (NOR, Team Katusha) à 35 sec.
4. Peter Stetina (USA, Garmin-Barracuda) à 31 sec.
5. Michal Kwiatkowski (POL, Omega Pharma-Quick Step) à 35 sec.
6. Jesse Sergent (NZL, RadioShack-Nissan) à 36 sec.
7. Nelson Oliveira (POR, RadioShack-Nissan) à 37 sec.
8. Giacomo Nizzolo (ITA, RadioShack-Nissan) m.t.
9. Tanel Kangert (EST, Astana) à 40 sec.
10. Gatis Smukulis (LET, Team Katusha) à 45 sec.

Classement par équipes :

1. Garmin-Barracuda (USA) en 43h01’35 »
2. BMC Racing Team (USA) à 36 sec.
3. RadioShack-Nissan (LUX) à 45 sec.
4. Orica-GreenEdge (AUS) m.t.
5. Team Sky (GBR) à 51 sec.
6. Omega Pharma-Quick Step (BEL) à 54 sec.
7. Team Saxo Bank (DAN) à 1’04 »
8. Astana (KAZ) à 1’05 »
9. Liquigas-Cannondale (ITA) m.t.
10. Team Katusha (RUS) à 1’19 »