Le ciel est dépourvu de nuages, les températures sont plus que fraîches, les prévisions étaient donc bonnes : ce sera un Paris-Roubaix sec, mais froid. À Compiègne, tous les regards sont braqués vers un seul homme, Fabian Cancellera (RadioShack-Leopard). Impressionnant dimanche dernier, le Suisse est le grand favori en l’absence de Tom Boonen (Omega Pharma-Quick Step). Tellement favori que demander un pronostic revient à demander si Spartacus peut être battu. Les plus pessimistes pensent qu’il n’y a aucun suspense, les plus optimistes parient sur une course tactique pouvant profiter à un outsider ou sur le fait que Cancellara n’est pas à 100 % après ses deux chutes cette semaine.

Si certains se demandent comment contrecarrer les plans du Suisse, ses adversaires, eux, doivent se gratter la tête pour établir un plan de bataille. La solution manifestement choisie est d’anticiper. On bataillera longtemps avant que l’échappée ne se dégage. Quatre hommes vont fausser compagnie au peloton après la mi-course, et quels hommes ! Les grandes manœuvres sont déjà lancées et promettent un grand Paris-Roubaix. Il y a là un ancien vainqueur avec Stuart O’Grady (Orica-GreenEdge), Mathew Hayman (Team Sky), et Gert Steegmans (Omega Pharma-Quick Step). Très en vue depuis le début de la course, Clément Koretzky (Bretagne-Séché Environnement) accompagne ces trois hommes très expérimentés. Un apprentissage à vitesse grand V pour l’ancien vététiste qui participe à son premier Paris-Roubaix.

Si on a dû attendre la mi-course pour voir l’échappée prendre le large, les deux premières heures de courses disputées à toute vitesse laisseront des traces. 49 kilomètres sont parcourus pendant la première heure. Un groupe de treize hommes va tenter de respecter le scénario habituel d’une épreuve de premier plan. Mais la présence d’un des coéquipiers de Fabian Cancellara (Bob Jungels), de Sylvain Chavanel (Gert Steegmans) ou de Jurgen Roelandts (Jens Debusschere) va condamner la tentative.

La course ne fait que commencer, mais elle se termine déjà pour Yoann Offredo (FDJ). Le Français, de retour sur l’Enfer du Nord après sa suspension, heurte violemment un panneau signalétique. Celui qui avait été suspendu un an pour trois no-shows quitte la route, le visage en sang. Des images qui rappellent celles de Nacer Bouhanni sur Paris-Nice. Sur Paris-Roubaix, il faut de la chance et manifestement la FDJ n’en a pas. Marc Madiot va perdre son deuxième leader un peu plus tard dans la course. Victime d’une chute à 70 kilomètres du but en compagnie de Filippo Pozzato (Lampre-Merida) et Geraint Thomas (Team Sky), Matthieu Ladagnous verra ses espoirs réduits à néant à 60 kilomètres de l’arrivée, après avoir de nouveau goûté au bitume.

Le quatuor de tête aborde la Trouée d’Arenberg en tête. Mais le groupe de tête ne se disloque pas dans ce premier temps fort à l’inverse du peloton qui explose. Taylor Phinney (BMC Racing Team) fait forte impression, mais c’est son coéquipier Michael Schär qui va s’extraire un peu plus loin pour tenter de revenir sur la tête où ne figurent plus Koretzky et O’Grady. Damien Gaudin (Team Europcar) l’imite un peu plus tard. Les coéquipiers de Fabian Cancellara eux contrôlent à l’image de ce qu’ils ont fait la semaine dernière avant de laisser leur maître s’exprimer.

Cancellara ne panique pas, les Français jouent de malchance

C’est entre Auchy-lez-Orchies et Bersée que le Suisse place sa première accélération pour tester ses adversaires. Dans la roue Sylvain Chavanel (Omega Pharma-Quick Step) paraît être le plus sérieux rival du Suisse. Le regroupement s’opère juste avant l’entrée dans le secteur de Mons-en-Pévèle. Mais le natif de Berne s’est tiré une balle dans le pied. Ses équipiers sont absents alors que le bloc Omega Pharma-Quick Step est fort de quatre hommes. En fait trois, puisque Niki Terpstra et Stijn Vandenbergh font le forcing pendant que le Châtelleraudais change de vélo. Voilà qui fera encore jaser… Le sort s’acharne sur les Français. Sébastien Turgot (Team Europcar), 2ème l’an dernier, dit adieu au groupe de tête victime d’une crevaison.

Devant la course est complètement folle. On sait que Fabian Cancellara est très regardé, mais celui-ci joue au bluff, forçant ses compagnons d’échappée à faire le travail. Le Suisse, extrêmement serein, ne panique pas. Pas même quand un groupe de huit hommes se retrouve avec une vingtaine de secondes d’avance. Sans mauvais jeu de mots, il met le moteur en marche et comble l’écart avec une facilité déconcertante même s’il semble toujours jouer avec un coup de retard. Car pendant qu’il opère la jonction, Stijn Vandenbergh (Omega Pharma-Quick Step) et Sep Vanmarcke (Blanco) prennent les devants. L’histoire se répète. Les deux Belges s’entendent bien et comptent jusqu’à 40 secondes d’avance. Pas inquiet pour deux sous, Cancellara accélère à nouveau. Sur les pavés cette fois. Mais pas n’importe lesquels, ceux du secteur de Cysoing, là même où il avait chuté jeudi, preuve du mental hors norme du Suisse.

Cette fois, c’est la bonne. Le favori numéro un fait éclater le groupe. Seul Zdenek Stybar (Omega Pharma-Quick Step) parvient à garder sa roue. L’ancien double champion du monde de cyclo-cross fait forte impression pour sa première participation. Cancellara s’offre un nouveau contre-la-montre pendant que le Tchèque s’offre une course derrière derny pendant quelques kilomètres. Le temps de recoller au duo dans le secteur de Camphin-en-Pévèle.

Tout se décide dans le Carrefour de l’Arbre. Mais pas seulement à la pédale. La foule est impressionnante dans le dernier secteur pavé mythique. Stijn Vandenbergh légèrement décroché du trio heurte un spectateur sur le bord de la route. En fin de secteur, c’est Stybar qui subit le même sort. Même si ses hivers passés dans les sous-bois ont aiguisé ses talents d’équilibristes, il perd quelques mètres qui lui seront fatals. À la sortie du secteur de Gruson, il ne fait plus aucun doute que Cancellara et Vanmarcke se disputeront la victoire. Le Suisse a cependant tout intérêt à lâcher le Courtraisien. Car celui qui est passé chez Blanco à l’intersaison va vite, en atteste sa victoire face à Tom Boonen au Het Nieuwsblad il y a un peu plus d’un an.

Le dernier secteur pavé passé, Cancellara n’a plus 101 occasions de lâcher Vanmarcke. C’est sur le goudron qu’il tentera sa chance. En fin connaisseur des lieux, le Suisse sait qu’il peut distancer son adversaire dans un faux plat montant après la banderole des cinq kilomètres. Là même où il avait faussé compagnie à Thor Hushovd en 2011 pour échouer sur les talons de Johan Vansummeren. Sauf qu’il n’y parvient pas et les deux hommes entreront ensemble dans le vélodrome. À deux pas du Stab où se sont déroulés les derniers Championnats de France sur Piste, Cancellara et Vanmarcke se livrent à une séance de surplace digne d’une épreuve de vitesse individuelle. Le Belge lance le sprint, mais Spartacus à l’arraché le devance sur la ligne.

Derrière, Niki Terpstra se classe troisième. Vainqueur de Paris-Roubaix chez les Espoirs en 2007, Damien Gaudin est le premier Français, 5ème. Fabian Cancellara lui s’offre le Paris-Roubaix le plus rapide de l’histoire, son troisième pavé, sa troisième victoire de la saison, son deuxième doublé Flandres-Roubaix, mais surtout un repos bien mérité.

Classement :

1. Fabian Cancellara (SUI, RadioShack-Leopard) les 254,5 km en 5h45’33 » (44,1 km/h)
2. Sep Vanmarcke (BEL, Blanco) m.t.
3. Niki Terpstra (PBS, Omega Pharma-Quick Step) à 31 sec.
4. Greg Van Avermaet (BEL, BMC Racing Team) m.t.
5. Damien Gaudin (FRA, Team Europcar) m.t.
6. Zdenek Stybar (TCH, Omega Pharma-Quick Step) à 39 sec.
7. Sebastian Langeveld (PBS, Orica-GreenEdge) m.t.
8. Juan-Antonio Flecha (ESP, Vacansoleil-DCM) m.t.
9. Alexander Kristoff (NOR, Team Katusha) à 50 sec.
10. Sébastien Turgot (FRA, Team Europcar) m.t.