La Primavera porte bien mal son nom cette année. À quelques jours du printemps, on se croirait en plein hiver pour cette 104ème édition de Milan-San Remo ! Sur les coups de 10h, il neige sur la Piazza Castello de Milan. Drôme Classic, GP Lugano, Kuurne-Bruxelles-Kuurne et plus récemment A travers Drenthe et Nokere Koerse : autant de courses annulées en raison des conditions climatiques. Mais la reine des classiques de l’autre côté des Alpes ne peut se retrouver dans cette situation en raison des flocons qui tombent en abondance. En dehors des périodes de guerre, Milan-San Remo a toujours eu lieu depuis 1907. Certains verront dans cette météo exécrable une vengeance du ciel pour avoir déplacé l’épreuve du samedi au dimanche. D’autant que le soleil brillait semble-t-il hier à proximité de la frontière française.

Alors, les coureurs bien emmitouflés s’élancent malgré tout pour un périple de près de 300 kilomètres qui s’annonce épique. Cette édition rentrera dans la légende du sport, comme Liège-Bastogne-Liège en 1980 ou le passage du Tour d’Italie au Gavia en 1988. Mais les organisateurs doivent se rendre à l’évidence : les routes enneigées et le froid glacial les contraignent à revoir leurs plans. Le passage au sommet du Turchino, première difficulté, est rendu impossible. Après 117 kilomètres, les coureurs mettent pied à terre pour rentrer au chaud dans les bus. Direction Arenzano, une quarantaine de bornes plus loin, où la course doit reprendre vers 14h30. Elle reprendra finalement une demi-heure plus tard à Cogoleto. Après le Turchino, c’est la Manie qui est effacée de la liste des difficultés.

Malgré les conditions dantesques, six hommes ont eu le temps de s’échapper. Lars-Ytting Bak (Lotto-Belisol), Maxim Belkov (Team Katusha), Filippo Fortin (Bardiani Valvole-CSF Inox), Pablo Lastras (Movistar Team), Matteo Montaguti (Ag2r La Mondiale) et Diego Rosa (Androni Giocattoli) bravent la neige et le froid pour se retrouver aux avant-postes. Les six hommes traverseront la plaine du Pô ensemble et joueront les éclaireurs d’un peloton engourdi par le froid. Le départ sera rapide et 46 kilomètres seront parcourus dans la première heure. Si la course est neutralisée, les fuyards gardent leur avantage qui s’élève encore à 7’10 » au moment d’enfourcher à nouveau les vélos à Cogoleto.

Dans cette journée chaotique, il reste alors 116 kilomètres à parcourir. Le peloton sait qu’il n’a pas une seconde à perdre. Les Cannondale de Peter Sagan mènent la chasse derrière les échappés et reçoivent l’appui des Astana pour Vincenzo Nibali, et des Sky pour Edvald Boasson-Hagen. Les coureurs mettent la flèche un à un. Tom Boonen (Omega Pharma-Quick Step) ne reprendra pas le départ. Matthew Goss (Orica-GreenEdge), vainqueur en 2011, l’imitera. Au moment d’aborder la série des Capi, Vincenzo Nibali occupe les dernières positions du peloton. Le récent lauréat de Tirreno-Adriatico était l’un des grands favoris du jour. La descente technique du Poggio rendue glissante par la pluie aurait dû pouvoir convenir au Squale. Frigorifié, l’Italien met pied à terre dans le Capo Mele et ne reverra jamais le peloton.

Sylvain Chavanel aborde le Poggio en tête, Peter Sagan doit répondre à toutes les attaques.

L’avance du groupe de tête est minime. Les Sky roulent fort en tête de peloton. Bak, Belkov et Rosa, derniers rescapés de l’échappée matinale, sont avalés au pied de la Cipressa à une vingtaine de kilomètres du but. Cette ascension n’est sans doute pas la plus terrible du territoire italien. Mais dans telles conditions, les repères des coureurs sont totalement bouleversés. Les muscles complètement gelés, certains coureurs comme Boasson-Hagen cèdent sur les rampes de la colline située en bord de mer. Les favoris, eux, restent « au chaud », de peur de subir le contrecoup de leurs efforts dans le final.

Pour éviter les risques, Philippe Gilbert (BMC Racing Team) fait la descente de la Cipressa en tête, mais le champion du monde coupe rapidement son effort. Il est contré par Ian Stannard (Team Sky), rejoint par Sylvain Chavanel (Omega Pharma-Quick Step) et Eduard Vorganov (Team Katusha). L’entente entre les trois hommes n’est pas parfaite. Le Britannique et le Russe semblent se méfier de « la Machine ». Pourtant c’est ensemble que le trio abordera le Poggio, plus que jamais juge de paix de l’épreuve.

Vorganov rapidement distancé, Chavanel et Stannard restent à l’avant de la course. Les favoris tardent à se dévoiler. Il faut attendre les pourcentages les plus difficiles du Poggio pour voir Luca Paolini (Team Katusha) sortir du peloton réduit à une quarantaine d’unités. Peter Sagan saute dans la roue de l’Italien avec Fabian Cancellara (RadioShack-Leopard) et le surprenant Gerald Ciolek (MTN-Qhubeka) sur son porte-bagage. Les quatre hommes basculent avec quelques secondes de retard sur le duo de tête. Au prix d’une descente acrobatique menée tambour battant par le Slovaque, le contre rejoint la tête en bas de la dernière descente.

Le peloton est trop loin et les six hommes vont se disputer la victoire. Toute l’attention se porte sur Sagan. Impressionnant de facilité à Tirreno, « Rambo » en tant que grandissime favori du premier monument de la saison doit répondre à toutes les attaques. Ses adversaires refusent de le relayer quand Stannard joue son va-tout dans les deux derniers kilomètres. Le Maillot Vert du dernier Tour de France met tout en œuvre pour revoir le champion de Grande-Bretagne, même s’il n’est pas intrinsèquement le plus rapide dans ce groupe.

Depuis le début de saison, Gerald Ciolek revient en forme. L’ancien grand espoir du sprint allemand n’avait jamais vraiment confirmé tout le potentiel entrevu lors de ses débuts lorsqu’il battait à 19 ans Erik Zabel lors du Championnat d’Allemagne, avant de devenir champion du monde Espoirs en 2006. Naviguant de déception en déception chez T-Mobile, Milram puis Quick Step, le natif de Cologne a fait le pari fou de rejoindre l’équipe sud-africaine, en continentale pro. Après un début de saison réussi marqué par une victoire aux Trois Jours de Flandre-Occidentale et une 4ème place à Narni Scalo derrière Sagan, Cavendish et Greipel, l’Allemand s’offre sur le Lungomare Italo Calvino la plus belle victoire de sa carrière. Peter Sagan, qui a consenti à trop d’efforts dans le final, lance le sprint de trop loin. Gerald Ciolek n’en demandait pas tant et déborde le Slovaque. Fabian Cancellara monte sur la boîte pour la troisième année consécutive. Sylvain Chavanel reste au pied du podium. C’est donc un pensionnaire d’une équipe africaine qui remporte un Milan-San Remo qui s’est déroulé sous la neige… Le parfait résumé d’une édition totalement improbable.

Classement :

1. Gerald Ciolek (ALL, MTN-Qhubeka) en 5h37’20 »
2. Peter Sagan (SVQ, Cannondale) m.t.
3. Fabian Cancellara (SUI, RadioShack-Leopard) m.t.
4. Sylvain Chavanel (FRA, Omega Pharma-Quick Step) m.t.
5. Luca Paolini (ITA, Team Katusha) m.t.
6. Ian Stannard (GBR, Team Sky) m.t.
7. Taylor Phinney (USA, BMC Racing Team) m.t.
8. Alexander Kristoff (NOR, Team Katusha) à 14 sec.
9. Mark Cavendish (GBR, Omega Pharma-Quick Step) m.t.
10. Bernhard Eisel (AUT, Team Sky) m.t.