Marc, que restera-t-il pour vous du Tour de France 2016 ?
D’un point de vue général, si je dois évoquer le scénario de ce Tour 2016, j’estime que ça a été un bon Tour de France. Je ne dirais pas que ça restera un grand Tour de France, mais ça demeure un bon Tour, avec un beau vainqueur. Pour l’équipe FDJ en revanche, ça n’a pas été un très bon Tour, il a même plutôt été mauvais, mais ça nous en avons pris conscience assez rapidement. Et nous avons eu le temps de le digérer. Au final le bilan est négatif. Nous avons rencontré beaucoup de difficultés avec bon nombre de nos coureurs. Des malades, des blessés… Nous avons terminé à six, avec des coureurs encore blessés. Et nous n’avons pas su rebondir avec une victoire d’étape. Autant dire que nous sommes heureux d’en avoir terminé.

Quel discours avez-vous passé auprès de l’équipe pour la remobiliser après l’abandon de Thibaut Pinot ?
Après l’abandon de Thibaut Pinot, il a fallu s’adapter, se remettre vite en état de route, et surtout ne pas s’appesantir sur son sort. Nous étions venus sur ce Tour avec des ambitions élevées et ça n’a pas fonctionné. C’est comme ça, tout ne se passe pas toujours comme on le souhaite. C’est toujours difficile à vivre quand les aléas sont négatifs, mais nous n’avons pas commis d’erreur en construisant notre équipe autour de Thibaut Pinot. Nous le referons d’ailleurs dans le futur. Pour Thibaut, la priorité maintenant va être de retrouver l’intégrité de ses moyens avant de songer à repartir en course.

Il en est un autre pendant ce temps qui a crevé l’écran, Romain Bardet, qu’on a vu aller chercher la 2ème place du Tour au prix d’une belle offensive. Pratique-t-il un vélo que vous aimez ?
Il pratique avant tout un vélo de son époque. Un cyclisme dans lequel tout est millimétré, tout est analysé. De temps en temps, un petit coup du destin permet de faire des exploits, ce qui a été son cas vers Saint-Gervais Mont Blanc vendredi dernier. Je ne suis pas surpris qu’il termine sur le podium. Il avait déjà montré de quoi il était capable sur le Critérium du Dauphiné en juin. Maintenant, Romain Bardet reste un coureur assez stéréotypé comme 99 % des coureurs d’aujourd’hui.

Ce n’est pourtant pas ce qu’il prétend…
Mais Thibaut Pinot aussi aime bien attaquer et avoir du panache, mais pour ces garçons-là ce n’est pas facile. Si vous posez la question à l’ensemble du peloton, tous les coureurs vont vous dire qu’ils ont envie d’attaquer et de faire preuve de panache. Et pourtant ils ne le font pas. Tout simplement parce qu’on est dans une course extrêmement verrouillée, stéréotypée. A partir de là, ça devient compliqué pour les coureurs d’offrir autre chose. C’est l’évolution moderne du cyclisme.

Quel bilan dressez-vous pour le cyclisme français sur ce Tour de France ?
Il n’est pas si mauvais que cela. Un coureur comme Julian Alaphilippe a démontré qu’il avait des capacités pour s’exprimer sur le Tour. Bon nombre de jeunes coureurs français sont capables de réussir. Bryan Coquard a montré des choses intéressantes au sprint. Et il faut rappeler que des coureurs comme Nacer Bouhanni et Arnaud Démare n’étaient pas là. On a aussi vu du niveau en montagne. Je ne suis pas trop inquiet sur le devenir des coureurs français sur le Tour. Après, il y a des années où l’on réussit mieux que d’autres. Nous n’étions pas forcément dans une année de grande réussite pour les Français, même si Romain Bardet heureusement a sauvé la mise. La France aujourd’hui est n°1 mondiale au classement UCI, avec trois coureurs dans le Top 15 mondial. Il ne faut pas tout rejeter d’un revers de manche.

C’est le problème du Tour de France et de son miroir déformant ?
C’est ce que je me disais en rejoignant Paris. Cette saison nous avons gagné Milan-San Remo avec Arnaud Démare, nous avons deux titres de champion de France avec Arthur Vichot sur route et Thibaut Pinot dans le chrono, nous avons gagné des étapes sur les principales courses de la saison, obtenu de bons classements généraux… Et à la sortie du Tour, s’il a été mauvais, l’année paraît mauvaise. C’est ça le miroir déformant du Tour. L’année dernière, nous avions fait une saison plutôt moyenne, et la victoire de Thibaut Pinot à l’Alpe d’Huez avait tout changé.

L’organisateur recherche la difficulté et le spectacle, ce tracé du Tour 2016 n’était-il pas trop dur ?
Les organisateurs recherchent des tracés inspirants et c’est normal. Pour moi, ce Tour 2016 n’était pas trop dur. C’était même un Tour équilibré. Il y avait de tout, il y en avait pour tous les goûts. Globalement, j’ai trouvé ce parcours très intéressant. Maintenant, c’est le menu qui est proposé par l’organisateur, mais ce sont toujours les coureurs qui font que le Tour est réussi ou pas.

On évoque une retransmission du Tour en intégralité en 2017. Y voyez-vous un intérêt ?
Dans les schémas de course actuels, ça peut être un peu ennuyeux et pas très valorisant pour les audiences. Si l’on veut réussir la transition d’un Tour de France dont on ne propose que quelques heures chaque jour à un Tour de France qui serait retransmis en intégralité, il faut qu’on soit capables de s’adapter au niveau sportif.

Comment ?
Le Tour doit être attractif et vivant pour donner envie aux gens d’être devant la télévision d’un bout à l’autre de l’étape. En cela l’initiative de Christian Prudhomme, qui propose de descendre le nombre de coureurs de neuf à huit par équipes, peut peut-être donner des idées d’ouverture dans la course. Dans le football, où on a longtemps entendu parler d’un système défensif, on tend désormais à aller vers l’offensive, car on a envie de développer du jeu et d’aller vers l’avant. Peut-être que le vélo devrait un peu s’en inspirer. A moyen terme, peut-être qu’on reviendra à quelque chose de plus spectaculaire.

Propos recueillis à Chantilly le 24 juillet 2016.