Philippe, vous étiez il y a huit jours à la présentation du Tour 2013. Qu’en est-il d’une participation au Tour de France ?
Le Tour proposé est un beau Tour mais un peu similaire à celui de 2012. Il y a pas mal de contre-la-montre, pas mal d’étapes très plates et très nerveuses au début. Au niveau de l’équipe, je ne suis pas obligé de faire le Tour. Tejay Van Garderen et Cadel Evans seront les deux leaders de BMC sur la Grande Boucle et c’est à eux de constituer l’équipe. Si Evans ou Van Garderen viennent me voir et me demandent d’y aller, j’irai peut-être, mais si personne ne me le demande, je ne participerai sûrement pas au Tour.

Vous dites qu’il vous manque un maillot de leader au Giro. Pourriez-vous y prendre part l’an prochain ?
La seule certitude dans les Grands Tours en 2013 est que je ferai le Tour d’Espagne pour préparer le Championnat du Monde. Je vais choisir entre le Giro et le Tour mais c’est encore loin. On va se réunir avec l’équipe en décembre et on aura le temps de décider. Si je ne me trompe pas, la feuille des inscriptions pour une course doit être rentrée trois semaines avant le départ. J’ai le temps. Le problème est qu’il n’y a pas vraiment d’arrivées qui me conviennent avec une côte de deux ou trois kilomètres.

Vous hésitez entre Giro et Tour. Feriez-vous donc deux Grands Tour l’an prochain ?
Je n’ai aucun problème à enchaîner deux Grands Tours. C’est déjà un gros avantage. Physiquement, je suis capable d’en faire deux sans puiser dans mes réserves mais je n’y suis pas obligé non plus.

Nous vivons une des périodes les plus compliquées pour le cyclisme. En tant que champion du monde, comment vous positionnez-vous par rapport au dopage ?
On vit actuellement les moments les plus durs du cyclisme. Depuis le début, je dis que nous sommes une nouvelle génération de coureurs. J’ai 30 ans, je n’ai rien à faire avec les gens qui sont concernés par ces histoires. C’était un dopage organisé et généralisé dans certaines équipes. A cette époque-là, je faisais partie de la Française des Jeux, qui était en avance dans la lutte contre le dopage. J’ai été éduqué avec ces valeurs-là et je crois que c’est très bien. Marc Madiot était très critiqué par les autres managers parce qu’il était « anti-vélo », comme ils disaient. Avec le recul, je pense qu’il avait raison et qu’il aurait dû y avoir beaucoup plus de Marc Madiot à l’époque.

Que pensez-vous de ce qui s’est passé dans l’affaire Armstrong ?
Je n’ai pas lu le rapport de l’USADA parce que ça ne m’intéresse pas. Je suis passionné et je n’ai pas envie d’être dégoûté par tout ce qu’ils ont fait. Pour moi, cette période du vélo appartient au passé. C’est malheureux et j’espère que tout le monde payera, et pas seulement Armstrong, parce qu’il n’y a pas que lui qui est impliqué. J’espère que tous ceux qui ont fraudé seront rattrapés et que la justice sera faite à tous les échelons du cyclisme, que ce soient les anciens coureurs, les managers ou même les instances, si elles sont impliquées.

Tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut changer les choses, comment faire pour que le cyclisme se porte mieux ?
Je pense que ça va mieux ! On parle de faits qui se sont passés il y a dix ou quinze ans. On évoque donc le passé. Je pense que le milieu du vélo a changé. La meilleure invention qu’il y ait eu pour le sport est le passeport biologique. Depuis cette création, il y a beaucoup moins de tricheries et, grâce au passeport, on a pu arrêter beaucoup de sportifs, et pas uniquement dans le cyclisme.

Comprenez-vous que certains coureurs comme Alberto Contador disent que Lance Armstrong est toujours un grand champion ?
Je ne suis pas un dictateur. Je n’ai rien à leur dire. On habite tous dans des démocraties et chacun est libre de dire ce qu’il pense. Si Contador a des opinions religieuses, ça ne me regarde pas. Ce qu’il pense à propos d’Armstrong n’est pas non plus mon problème. J’ai mon avis et lui le sien. Je le respecte.

Avez-vous déjà eu une idée pour faire avancer la lutte antidopage ?
Comme j’ai dit, le passeport biologique a été mis en place pour éradiquer le dopage. C’est très difficile d’y échapper. Pour moi, c’est même impossible. Je pense qu’on peut être serein et croire aux performances des coureurs actuels. Ce qu’il ne faut pas oublier non plus, c’est que nous, les coureurs, nous payons pour la lutte contre le dopage. Il y a 3 % du « prize-money » général des courses qui est reversé pour combattre le dopage. Les équipes investissent aussi beaucoup d’argent. Nous autofinançons cette lutte. C’est un peu notre protection. Pour moi, ça montre que le cyclisme est plus engagé que d’autres sports.

Etes-vous fâché que ce soit vous qui deviez répondre à ces questions à la place de ceux qui ont triché ?
D’abord, on a la chance de pouvoir évoluer après cette génération et pas pendant. C’est normal que l’on nous en parle. Nous sommes les porte-paroles du cyclisme actuel. Ne rien dire n’est pas bien mais il faut faire attention quand on en parle. C’est toujours très compliqué de donner un avis sur un dossier de mille pages comme celui d’Armstrong. On doit aussi émettre des réserves et prendre le temps pour répondre le plus justement possible et ne pas avoir de problèmes. Le message, avant tout, est que nous sommes la nouvelle génération. Je pense que nous pouvons croire en les coureurs qui arrivent, comme Peter Sagan. C’est ce qu’il faut dire aux sponsors car, sans eux, on aura du mal à continuer. C’est à nous de montrer que nous en valons la peine. On risque d’en payer les conséquences pendant encore beaucoup d’années. On a la chance que le cyclisme s’internationalise et que de nouvelles mentalités arrivent.

Que pensez-vous de la politique de l’équipe Sky ?
Je pense que faire signer une charte en interne est assez positif. Si les grandes équipes veulent être crédibles, nous sommes obligés d’en arriver là. En ce qui concerne les licenciements, je crois qu’ils ne font que repousser le problème vers d’autres sports moins contrôlés.

Que vous disent les supporters à propos de l’affaire Armstrong ?
Ils me disent que c’est dommage et qu’ils sont très déçus. C’est légitime parce que, à l’époque, ils ont payé pour aller voir cette tricherie. Ils se sentent donc un peu lésés par l’histoire mais ils sont les premiers à voir que les courses ont évolué et que les coureurs roulent différemment. Ils nous disent qu’ils croient en nous. J’espère qu’ils sont sincères. Moi, je peux leur dire qu’ils peuvent y croire et que les résultats ne sont plus faussés. Mon titre mondial, on ne va pas venir me dire dans cinq ou dix ans que j’ai triché et me l’enlever. C’est pareil pour mon succès à Liège-Bastogne-Liège. Mes victoires sont à moi et elles le resteront jusqu’au jour de ma mort. Je suis sûr qu’il n’y aura rien dans le futur qui fera l’effet d’une bombe comme dans les années 1990 ou 2000.

Propos recueillis par Pol Loncin à Aywaille le 27 octobre 2012.