Dans un petit coin des Flandres, sur un secteur pas plus grand d’une trentaine de kilomètres de long comme de large, se pressent chaque premier dimanche d’avril des centaines de milliers de fidèles. En ce jour de Ronde, cette toute petite région flamande focalise sur elle seule tous les regards de la planète cycliste. Voilà près de cent ans que ça dure. Le Tour des Flandres est inscrit parmi les monuments historiques du calendrier. Une classique dont les monts et les pavés ont bâti la légende, mais qui n’hésite pas cependant à revoir sa copie pour présenter régulièrement des innovations. Au Tour des Flandres, les principales évolutions résident dans l’ordre de franchissement des difficultés. Et en cette année 2010, les organisateurs ont apporté quelques modifications importantes à leur épreuve, qu’on présente comme plus redoutable.

Les monts empruntés, pavés ou asphaltés, tout le monde les connaît. Ils sont visités chaque année par les courses préparatoires à la grande kermesse de printemps. Pourtant, les modifications du parcours sont telles que les grands favoris ont choisi cette année de renoncer aux Trois Jours de La Panne pour se concentrer exclusivement sur des reconnaissances pointilleuses du nouveau tracé. C’est un signe qui ne trompe pas. D’ailleurs, ces grands favoris se sont voulus unanimes. Pour eux, on en viendra rapidement à une explication d’homme à homme sur les routes des Flandres. Alors, la sempiternelle échappée matinale, qui s’établit dès le départ, peut bien prendre jusqu’à douze minutes d’avance. Elle est composée de huit coureurs : Oliver Bonnaire (Française des Jeux), David Boucher (Landbouwkrediet), José-Vicente Garcia-Acosta (Caisse d’Epargne), Floris Goesinen (Skil-Shimano), Mikhail Ignatiev (Team Katusha), Michele Merlo (Footon-Servetto), Nicolas Rousseau (Ag2r La Mondiale) et Joost Van Leijen (Vacansoleil).

Ces huit réfractaires joueront les éclaireurs durant près de 200 kilomètres, échappant aux pièges multiples qui guettent le peloton à chaque virage, rétrécissement de la chaussée ou engagement sur les voies étroites qui précèdent les monts. Le Tour des Flandres, ça se court en tête, et les favoris le savent bien. On voit d’ailleurs très tôt une imposante équipe Saxo Bank rouler en nombre à l’avant du peloton, suivie en deuxième rideau des coureurs de la Quick Step, ce qui laisse augurer d’un duel très attendu entre le champion de Suisse Fabian Cancellara (Team Saxo Bank) et le champion de Belgique Tom Boonen (Quick Step). Mais avant d’en arriver là, il faudra rejoindre les échappés matinaux, dont les derniers rescapés sont revus à 60 km de l’arrivée, alors que les monts s’enchaînent à toute vitesse, diminuant la consistance du peloton.

Inspirés et audacieux, Fabian Cancellara et Tom Boonen se détachent dans le Molenberg.

Des difficultés comme le Koppenberg ou le Vieux Quarémont étant passées par là, ils ne sont guère plus qu’une trentaine à se maintenir aux avant-postes, parmi lesquels un solide Lance Armstrong (RadioShack) et bien plus encore un séduisant Steve Chainel (Bbox Bouygues Telecom). Mais c’est du côté des favoris qu’il convient de regarder au moment où le peloton se présente au pied du Molenberg. Ce mont pavé, placé à 44 kilomètres de l’arrivée, est l’un de ceux ayant bénéficié du changement de parcours. Autrefois emprunté en première position des monts, il a été déplacé cette année en dixième position (sur quinze monts escaladés), ce qui en fait un potentiel juge de paix. Cela n’a pas échappé à Fabian Cancellara, qui décide d’exploiter sa pente pavée en attaquant un peloton déjà très clairsemé. Seul un coureur répond au démarrage du champion de Suisse, en l’occurrence l’autre grand favori de ce Ronde, le Belge Tom Boonen. Et voilà les deux hommes, relativement loin de l’arrivée, dans une position déjà très favorable.

Mais là où Boonen n’appliquait qu’une stratégie défensive, c’est bien l’offensive que vante Cancellara. Au sommet du Molenberg, le Suisse invite aussitôt son compagnon d’échappée à collaborer. On sent une frilosité évidente chez Boonen mais Cancellara entend lui faire entendre raison. Il roule donc seul un moment pour faire grimper l’écart à 20 secondes. A cet instant, le champion de Belgique a compris. Il apporte sa contribution à une échappée royale. Les écarts augmentent alors doucement mais sûrement. Derrière, on a bien senti le danger. Philippe Gilbert (Omega Pharma-Lotto), Björn Leukemans (Vacansoleil) et David Millar (Garmin-Transitions) s’extraient du peloton dans le Berendries, à 32 kilomètres du but, mais ils ne menaceront jamais les deux de tête et courront pour la troisième place, laquelle reviendra à Philippe Gilbert.

Inspirés et audacieux, Fabian Cancellara et Tom Boonen avancent donc en direction du Mur de Grammont, seuls aux commandements du Ronde. Comme pressenti après le changement de parcours, la sélection n’aura pas attendu le célèbre mont des Flandres pour s’établir, mais le Mur de Grammont garde toutefois un rôle majeur et il va décider lequel des deux ira triompher à Meerbeke. A 15 kilomètres de l’arrivée, un surpuissant Fabian Cancellara s’envole ainsi à la régulière sur les pavés du Muur, qui s’avèrent insuffisants pour faire caler son gros moteur. Impressionnant d’aisance, assis tout au long de la rude ascension, le Suisse laisse derrière lui un Tom Boonen déhanché comme un damné. Au sommet, devant la chapelle, la messe est dite. Boonen n’a même plus Cancellara en point de mire, et le Suisse a entamé un vrai contre-la-montre, en position de rouleur, les avant-bras posés sur le haut du cintre et les mains pendantes. Vainqueur de Paris-Roubaix en 2006 et de Milan-San Remo en 2008, Spartacus s’en va ajouter un troisième monument à son incroyable palmarès. A l’arrivée, la bannière suisse peut fièrement flotter dans le ciel des Flandres.

Consultez la galerie photo des classiques.

Classement :

1. Fabian Cancellara (SUI, Team Saxo Bank) les 261,9 km en 6h25’32 »
2. Tom Boonen (BEL, Quick Step) à 1’14 »
3. Philippe Gilbert (BEL, Omega Pharma-Lotto) à 2’10 »
4. Björn Leukemans (BEL, Vacansoleil) à 2’14 »
5. Tyler Farrar (USA, Garmin-Slipstream) à 2’35 »
6. George Hincapie (USA, BMC Racing Team) m.t.
7. Roger Hammond (GBR, Cervélo TestTeam) m.t.
8. Maxim Iglinsky (KAZ, Astana) m.t.
9. Danilo Hondo (ALL, Lampre-farnese Vini) m.t.
10. William Bonnet (FRA, Bbox Bouygues Telecom) m.t.
Classement complet