Audrey, alors que deux épreuves majeures du calendrier français sont menacées, le cyclisme féminin semble avoir fait un grand pas vers la professionnalisation en France avec l’équipe FDJ-Poitou-Charentes-Futuroscope. N’y a-t-il pas un paradoxe ?
Tout à fait. C’est ce que j’ai répété. On est dans le faux. Ce n’est pas possible de monter une marche et d’en redescendre deux derrière. Au bout d’un moment, il faut continuer à les gravir et arriver en haut de l’escalier. Je suis très heureuse que cette équipe ait pu évoluer de cette manière-là. Mais à côté de cela, il faut que la Fédération réagisse. Nous avons été l’un des pays avec le plus d’organisations de courses féminines. Aujourd’hui, au lieu d’en créer d’autres, on en supprime. C’est un cas unique en Europe et dans le monde entier ! C’est une aberration. Tout le monde devrait en prendre conscience à commencer par les filles elles-mêmes. Nous devrions toutes pousser un coup de gueule pour défendre ces courses-là. J’aimerais que des filles comme Pauline Ferrand-Prévot comme Roxane Fournier, devenue une référence au niveau international, fassent bloc pour que ces courses ne disparaissent pas, pour que la France ne devienne pas un désert pour le cyclisme féminin.

Comment abordez-vous ce rôle d’ambassadrice ?
Aujourd’hui, personne ne le fait. On risque de tomber dans l’anonymat. On parle déjà très peu du cyclisme féminin en France. Si l’on supprime les courses où l’on peut bénéficier d’un peu de médiatisation pour montrer notre sport au grand public, comment fait-on ? Car si c’est le cas, demain, je n’ai plus de boulot. C’est donc à nous, les filles, de défendre notre morceau. Si des menaces de licenciement planent sur une entreprise, ce sont les salariés qui vont défendre leur cause. Ce doit être exactement la même chose pour nous.

Selon vous, où est-ce que le bât blesse ?
C’est un tout. C’est aussi une question de mentalités. La mentalité européenne est restée à l’âge de pierre. La femme n’est pas reconnue à sa juste valeur. Et ça ne vaut pas que dans le sport, c’est également le cas dans le monde du travail et partout ailleurs. D’un autre côté, les pays anglo-saxons avancent et ne nous attendent pas. C’est particulièrement criant pour les pays latins. Les pays scandinaves, de l’Europe du Nord et la Grande-Bretagne ont largement évolué. C’est ce qui bloque aujourd’hui. Nous sommes quelques-unes à défendre notre cause et nous sommes traitées de féministes alors que nous voulons simplement défendre notre job et ce qui nous fait vivre ! C’est triste que nous soyons si peu à le faire. C’est alarmant.

Dans quelle mesure l’UCI peut-elle agir ?
Des choses sont faites au niveau de l’UCI. Nous avons deux représentantes, Marianne Vos et Iris Slappendel, qui tentent de faire bouger les choses. Elles nous demandent notre avis en tant que cyclistes et en tant que professionnelles. On reçoit régulièrement des mails à ce sujet. Des choses sont mises en place. Mais Rome ne s’est pas faite en un jour. Il faut laisser le temps au temps même si c’est très long. La génération actuelle ne connaîtra pas le grand boom du cyclisme féminin. Ce sera, je l’espère, pour la génération à suivre.

La course by le Tour a voulu donner une exposition médiatique au cyclisme féminin en France. Elle quittera les Champs-Elysées pour la montagne entre Briançon et le col d’Izoard cet été. Faut-il y voir une évolution ?
Je ne vois pas ça comme une évolution. L’évolution aurait été de passer à deux jours de course. On change simplement de terrain. ASO fait de son mieux pour tenter de faire bouger les choses de son côté. Je ne sais pas quoi en penser. J’attends de voir ce que cela va donner. La seule chose qui me motive sur cette course, c’est d’y aller avec le maillot bleu-blanc-rouge et de grimper l’Izoard, même en dernière position, avec la foule qui scanderait mon nom (elle rit). Ce serait le rêve. Pour moi, c’est de la parade. On montre des filles sur un vélo, pas le cyclisme féminin. Pour moi, le vélo, ce n’est pas 70 kilomètres de course, ce sont des courses de 140 à 150 kilomètres avec de la montée oui, mais aussi de la descente, du plat, du vent, des bordures, etc. Je trouve dommage d’adopter cette formule. Mais tant que cela n’a pas été fait, il faut lui laisser une chance et voir ce que cela donne.