A nouveau, le Tour de France a nourri un florilège de polémiques liées aux voitures suiveuses. Et il n’a pas tardé à le faire. Dès la première étape en ligne, reliant Roskilde à Nyborg en passant par le fameux pont du Grand Belt, Rigoberto Uran (EF Education – EasyPost) s’est emporté à leur égard. Victime d’une chute peu avant l’attaque de la plus longue passerelle d’Europe, le colombien n’a pu compter que sur lui-même et ses équipiers pour réintégrer le peloton. Selon le règlement de l’épreuve, il aurait pourtant pu prétendre à l’aide des voitures suiveuses, en bénéficiant de leur aspiration. Il n’a d’ailleurs pas manqué de le faire comprendre au commissaire de la voiture n°1 par un regard noir, alors qu’il n’en est pas coutumier.

Deux semaines plus tard, sur la route de Hautacam, Jack Bauer (Jayco – BikeExchange) n’a pas pesé ses mots à leur encontre. Victime d’un embouteillage de véhicules alors qu’il pourchassait le peloton, le néo-zélandais a violemment percuté le coffre de la voiture du Team UAE Emirates. Hors de lui, il s’est acharné verbalement sur les fauteurs de trouble, accompagnant son verbe d’une gestuelle assez représentative de sa pensée. Quelques mètres plus loin, Nils Eekhoff (Team DSM) a été victime d’un accident similaire. Heureusement, les deux hommes ont pu terminer l’étape (et la course).

Il n’en reste pas moins que ces incidents ont alimenté le flot de critiques accablant le système contemporain des voitures suiveuses. Si aucune remise en question de ce dispositif n’a eu lieu pour l’instant, ne serait-ce pas le moment de le faire ?

 

Les voitures suiveuses, un système contesté

 

Politiquement

Le système des voitures suiveuses a toujours existé. Si vous connaissez certainement l’anecdote d’Eugène Christophe réparant sa fourche en tout autonomie sur le Tour de France 1913, vous apprendrez peut-être qu’elle avait été cassée par un choc avec une voiture suiveuse ! Néanmoins, l’étendue de la file des véhicules n’avait naturellement rien à voir avec celle que l’on connaît aujourd’hui. Si ce système a vite été envisagé par les équipes et pratiqué sur toutes les grandes classiques dès les années 1930, il a longtemps été réfuté par Henri Desgranges, vent debout contre tout dispositif « favorisant les plus riches ». C’est pour cette raison que les coureurs de la Grande Boucle ont porté un boyau sur leurs épaules jusqu’en 1956, date à laquelle Jacques Goddet a finalement cédé à la nécessité.

Aujourd’hui, les arguments à leur encontre reviennent, mais leurs motifs ont drastiquement changé. Il n’est plus question d’équité sportive entre coureurs isolés et membres de grosses cylindrées, mais d’une problématique environnementale. Il faut dire que depuis leur généralisation, les voitures suiveuses ont été dédoublées au sein de chaque formation et accompagnées de véhicules de dépannage neutre (introduites sur le Tour en 1973 avec Mavic).

Récemment, cette massification a été à l’origine de la vague de critiques formulées par des maires « Verts » à l’encontre du Tour de France. Grégory Doucet, l’édile de Lyon, avait été le plus véhément sur ce point, pointant du doigt un nombre excessif de « véhicules à moteur thermique circulant pour faire courir ces coureurs à vélo ». Les édiles de Bordeaux, Pierre Hurmic, et de Poitiers, Léonore Moncond’huy, lui ont emboité le pas. Si Christian Prudhomme leur a sèchement répondu sur le fond (vidéo ci-dessus), on peut tout de même se demander s’ils n’ont pas raison sur la forme ?

 

Sportivement

En outre, en créant une file continue de véhicules longue de plus d’une minute, les voitures suiveuses créent également un tunnel d’aspiration pour les coureurs retardés. Mais le catalyseur peut parfois se muer en ralentisseur. Lorsque la route devient sinueuse ou étroite, que les coureurs attaquent des cols ou des chemins, les voitures suiveuses peuvent créer un effet « bouchon », nuisible au retour d’hommes par l’arrière. En effet, à l’effort physique requis par la tentative d’un retour au sein du peloton, ceux-ci doivent ajouter les difficultés attenant à cette problématique. Victime d’un embouteillage à l’endroit d’un rétrécissement, Jack Bauer est parfaitement placé pour le savoir. Les malheureux de Paris-Roubaix font aussi le constat chaque année.

Le dispositif de dépannage neutre de Shimano

Le dispositif de dépannage neutre de Shimano

De plus, se pose également la question des « barrages ». Si ces stratégies, ordonnées par les commissaires, veillent à ne pas faire revenir dans la course des coureurs lâchés à la pédale, que faire lorsque ceux-ci se mêlent à des victimes d’ennuis mécaniques ou de chutes ? A ce dilemme, aucune solution n’apparaît comme juste. Et si ces histoires relèvent bien souvent de l’anecdote, elles peuvent parfois avoir de sérieuses répercussions sur le résultat final.

Prenez notamment l’exemple de la 8e et dernière étape du Tour de France Femmes, disputée dimanche dernier. Annemiek Van Vleuten (Movistar Team) n’a-t-elle pas failli être piégée par l’emballement du peloton à la suite d’un changement de vélo ? Aucun véhicule ne l’a aidé dans sa remontée. En conséquent, la néerlandaise y a lâché moultes forces. Si le profil de l’étape avait été moins favorable à son égard, ce scénario aurait pu être préjudiciable à sa conquête de l’épreuve.

Ces raisons tendraient ainsi à abroger le système actuel des voitures suiveuses par soucis de simplicité et d’équité sportive.

 

Les voitures suiveuses, un dispositif irremplaçable

Néanmoins, le cycliste contemporain est construit tel qu’il semble désormais inenvisageable de revenir en arrière. Si l’on ne souhaite pas le retour des boyaux sur les épaules ou les rafles de bars, situations quotidiennes du cyclisme de l’avant-guerre, la voiture suiveuse s’avère belle et bien nécessaire.

 

Logistiquement

En premier lieu, les voitures suiveuses occupent aujourd’hui un rôle primordial dans le ravitaillement des coureurs. Si des assistants sont généralement déployés en poste fixe au bord de la route, leur rôle ne pourrait pas prendre une dimension exhaustive dans cet exercice. A ce sujet, rappelons notamment que sur les principales courses pavées, qu’il s’agisse de grandes classiques ou d’étapes phares du Tour de France, les équipes doivent faire appel à des proches pour parvenir à couvrir l’ensemble des secteurs concernés pour y proposer des roues de rechange aux coureurs.

Le ravitaillement en poste fixe peut s’avérer périlleux

A moins que l’organisation mette régulièrement en place de grands stands de victuailles et d’eau fraîche, comme c’est le cas sur les marathons, le peloton du Tour de France replongerait tout droit dans les années 50, à une époque où les patrons de bar craignaient vertement son passage. Lors des journées de grandes chaleurs, les forcenés du Tour de France profitaient alors de la traversée des villages pour aller se ravitailler dans les bars et cafés, privilégiant même les boissons alcoolisées. Evidemment, ils s’en allaient le breuvage à peine ingurgité. Au terme du Tour, il n’était pas rare que l’organisation reçoive des factures de tenanciers mécontents.

En fait, la résistance à la soif devenait une arme décisive dans la quête de bouquets. A propos de Julien Moineau, vainqueur d’une étape du Tour 1931, Antonin Magne écrivait d’ailleurs « Moineau a été le champion du jour, parce que, de tous, il sut le mieux résister à la soif ».

Dès lors, le système des voitures suiveuses apparaît vecteur de santé. En luttant constamment contre la déshydratation des coureurs, sa logistique sert la course. Avec le réchauffement climatique et la multiplication des épisodes de canicule, il n’a même jamais autant semblé nécessaire qu’aujourd’hui.

 

Mécaniquement

Enfin, le cyclisme sur route est un sport physique, et non mécanique. A l’inverse des catégories automobiles, la fiabilité des machines ne doit pas entrer en jeu. Contrairement à l’action qu’a essayé d’insuffler la SD Works dimanche dernier sur le 8e étape du Tour Femmes, à l’encontre d’Annemiek Van Vleuten, une course cycliste ne doit pas se jouer sur des ennuis mécaniques. L’avantage décisif pris par Alberto Contador sur Andy Schleck à la suite d’un saut de chaîne de ce dernier dans la montée du Tourmalet sur le Tour 2010 avait d’ailleurs déchainé les débats à ce propos, multipliant les critiques à l’encontre de l’espagnol (finalement déclassé pour dopage).

Les véhicules officiels Skoda

Les véhicules officiels Skoda

Par conséquent, les voitures suiveuses et les mécaniciens qu’elles transportent permettent de limiter au maximum ce facteur, même si la chance comptera toujours un peu. En offrant une assistance mécanique aux échappés comme aux membres du peloton, elles offrent effectivement la possibilité d’une réparation ou d’un changement de vélo à n’importe quel moment. Les larmes du jeune German Dario Gomez Becerra, sélectionné par la Colombie pour les mondiaux Juniors de 2019, et oublié par son Directeur Sportif, suffisent à l’importance du dépannage à la voiture.

La radio, le cadeau de trop fait aux voitures suiveuses

Par conséquent, en dépits des injustices qu’elles créent et de la pollution qu’elles provoquent, les voitures suiveuses se sont progressivement rendues essentielles dans le déroulement d’une course cycliste, apparaissant même irremplaçables. Dès lors, leur retrait rendrait le cyclisme totalement aléatoire et dépendant de facteurs non sportifs.

En revanche, la liaison radio qui relie les directeurs sportifs aux coureurs est peut-être de trop. En commandant les coureurs, elle tend à cadenasser la course. En prévenant le moindre risque, elle multiplie les accidents. En bref, elle nuit au spectacle et au sport. L’exemple des championnats du monde est très parlant. Rare course sans oreillettes, l’épreuve phare du mois de septembre s’avère riche en rebondissements d’année en année, assurant le plaisir des téléspectateurs. Les consignes distillées par les directeurs sportifs à la fenêtre de leurs véhicules s’avèrent donc largement suffisantes. Les voitures suiveuses c’est oui, la radio, c’est non.