Il est incontournable à cette rubrique. Héros tricolore du dernier mois du juillet, premier français depuis bien trop longtemps à jouer à nouveau la gagne sur les Ardennaises, il est parvenu à hisser le drapeau bleu-blanc-rouge sur des sommets que ce dernier avait déserté depuis le début du siècle. Personnage fantasque et facétieux, au sourire communicatif et à la passion du vélo contagieuse, il fait admirablement de la vie un jeu, abordant la Petite Reine avec légèreté, pour combiner avec brio, sérieux du métier et plaisir du sport. Puncheur à succès, tombeur d’Alejandro Valverde sur le Mur de Huy ou encore prétendant de renom à la Doyenne, son âge murissant l’envoie également briller sur les routes de la Ronde de Juillet, qu’il a désormais l’habitude d’enflammer chaque été, entre époustouflantes victoires d’étapes, haletante quête de points de la montagne ou encore enivrante épopée jaune. Aujourd’hui, il incarne aux côtés de Thibaut Pinot le rêve bleu, celui du fantasme du retour du règne d’un français sur le Tour national, 35 ans après la dernière victoire de Bernard Hinault. Avec sa force surnaturelle et sa hargne sur la machine, tous les espoirs peuvent permettre d’y croire, avec un entraînement adapté à l’objectif. Ce jeudi, voici donc le portrait du meilleur coureur français du XXIe siècle, Julian Alaphilippe.
 

Son parcours : 

Julian Alaphilippe est un drôle de fanfaron. Durant son enfance, il écume d’ailleurs les bals de l’Allier en suivant l’orchestre de son père, « Jo » Alaphilippe, chef de file de ces Daltons de la musique. Comme le patriarche, c’est à la batterie qu’il s’attache, concevant l’instrument comme source de plaisir, jouant à l’oreille sur les trottoirs, sans jamais se prendre la tête. Son refus d’aller plus loin dans son apprentissage de l’instrument, craignant les leçons de solfège dispensées dans les conservatoires, est alors précurseur d’une carrière passée à s’amuser, pour que le devoir ne prime jamais sur le plaisir.

C’est sur ce même ton que ce gamin de famille modeste s’essaye au vélo. Moyen de locomotion privilégié dans sa cité HLM de Désertines, il devient rapidement une voie de canalisation à son énergie débordante, voire turbulente. Si les années filant et l’âge murissant mènent alors Julian Alaphilippe à s’entraîner durement pour espérer se forger une place dans le peloton, foulant les circuits de cyclo-cross et les routes régionales à la lumière des feux et des phares, le natif de Saint-Amand-Montrond n’en reste pas moins un facétieux personnage. Après un passage sous le treillis de l’Armée de Terre puis une année de rodage chez Ettix-Inhed, équipe réserve de la grande Ettix-Quick-Step, les performances de Julian Alaphilippe chez les professionnels forgent vite sa réputation, sa malice construit quant à elle sa popularité. Pleinement conscient de sa chance d’avoir pu faire de sa passion un métier grassement rémunéré, là où ses proches n’ont jamais connu l’opulence, son sourire éternel transmet un amour de la Petite Reine contagieux. Garçon enthousiaste et bon vivant, ses acrobaties et autres « bêtises » conquièrent vite le cœur du monde du cyclisme. Véritable petit Peter Sagan en herbe, le français sait faire la part des choses entre le sérieux de son métier et les libertés qu’il peut s’accorder. Dur au mal à bicyclette, partisan de l’entraînement à l’ancienne, derrière le derny de son cousin Franck, Julian Alaphilippe éclaire la vie des personnes qu’il côtoie par une série de fantaisies dont lui seul a le secret. Entre sa moustache de pirate, son poirier sur le toit d’une voiture de son équipe lors de l’arrivée du Tour 2018 sur les Champs-Elysées, ou encore une ascension d’un col, fourche « d’El Diablo » dans les mains, le bourbonnais aime amuser la galerie, et le fait à la perfection. Son dernier fait d’armes notable en la matière date de la Grande Boucle 2019, où une fois la déception de la perte de son maillot jaune passée, à l’issue d’une 19e étape rocambolesque, son sourire et sa décontraction reprennent vite le dessus. Loin d’être une insulte envers la tunique dorée, cette attitude atteste à l’inverse d’une mise à distance bénéfique des évènements, pour ne pas s’égarer dans les sombres abîmes du regret.
 

Julian Alaphilippe est un pur crack. Et s’il a beaucoup travaillé pour devenir le champion qu’il est, ses performances ahurissantes n’en restent pas moins représentatives de la véritable force de la nature qu’il est. A peine la compétition entamée, le français se fait déjà remarquer. A 18 ans, ses prouesses presque hégémoniques sur les circuits de cyclo-cross, dont il est d’ailleurs fait vice-champion du monde junior en janvier 2010, tapent en plein dans l’œil de deux adjudants de l’Armée de Terre, décidés à créer une équipe cycliste à l’honneur du treillis. La structure est à peine mise en place, que le bourbonnais est déjà recruté, alors même qu’une blessure au genou l’a exclu des pelotons pendant de longs mois. Le risque est pris, et ne tarde pas à payer. Champion de France de cyclo-cross Espoirs en 2011, il s’adjuge également cette année-là la Gainsbarre, avant que ses prouesses et sélections nationales à répétition ne convainquent Patrick Lefévère de l’engager dans son équipe réserve. Or, le manager belge ne se trompe jamais. La qualité de son effectif en atteste. Et Julian Alaphilippe ne déroge pas à la règle. Une saison lui suffit alors pour sauter le pas de la formation professionnelle. Régulier et performant, le français marque notamment les esprits cette année-là par son époustouflante victoire au Plateau des Glières, sur le Tour de l’Avenir, dans la poussière et le fracas de ce chemin de montagne.

La suite, on la connaît. Chaque année devient l’occasion pour le natif de Saint-Amand-Montrond de s’élever un peu plus vers les sommets de son sport. Vainqueur de la 4e étape du Tour de l’Ain en 2014, dauphin d’Alejandro Valverde sur la Flèche Wallonne et Liège-Bastogne-Liège en 2015, à deux doigts d’une médaille sur les Jeux Olympiques en 2016, deuxième du Tour de Lombardie en 2017, double vainqueur d’étape sur le Tour en 2018, porteur du maillot jaune pendant 14 jours et 5e du classement général sur la Grande Boucle en 2019, l’ascension de Julian Alaphilippe est si fulgurante que ses limites sont encore inconnues. Capable de franchir un cap par an, le français suscite de ce fait les plus fous espoirs quant à son avenir, son talent semblant ne rien lui interdire. 

 

Julian Alaphilippe est un sacré puncheur. C’est même là sa principale qualité. Héritant sa fougue du cyclo-cross, aux montées courtes mais ardues, l’auvergnat ne manque pas de faire parler sa vitesse sur la route dès que la moindre bosse se présente. S’illustrant à ce jeu-là dès les catégories de jeunes, ses exploits en World Tour sont désormais rentrés dans l’Histoire. Et alors que le cyclisme français, longtemps absent des sommets des classements mondiaux, voyait une nouvelle génération de grimpeurs fleurir depuis le fantastique Tour de France 2014, le méconnu Julian Alaphilippe s’est forgé un nom auprès du Grand Public par la Grande Porte à l’occasion des classiques ardennaises 2015. Alors qu’aucun coureur tricolore n’avait posé les pieds sur le podium de la Flèche Wallonne depuis Laurent Jalabert en 2000, le bourbonnais s’adjuge la deuxième place au sommet du Mur de Huy dès sa première participation à l’épreuve, titillant du haut de ses 23 ans l’expérimenté Alejandro Valverde. 4 jours plus tard, c’est un vide de 17 ans que le « loup » d’Ettix-Quick-Step comble, échouant à nouveau dans le boyau du vieux briscard espagnol. Si sa malchance sur la « Doyenne » l’empêche de la conquérir par la suite, sa relation avec « la Flèche » se consolide à l’inverse, détrônant en 2018 Alejandro Valverde, pour lui reprendre le sceptre du Mur, et le défendre à nouveau vertement face à Jakob Fuglsang en 2019.

Mais le punch de Julian Alaphilippe a amplement dépassé les frontières de Belgique. Ses brillantes performances sur Milan San-Remo en sont la preuve. Seul homme capable de se glisser dans la roue de Peter Sagan et Michal Kwiatkowski en 2017, le français secoue le Poggio deux ans plus tard pour régler autoritairement au sprint un petit comité de survivants. De même, sa fougue le mène droit vers la victoire d’étape et le sacre doré sur les routes champenoises du Tour de France 2019, attaquant dans la côte de Mutigny pour s’envoler seul vers Epernay, avant de renouveler l’expérience cinq jours plus tard dans le Forez pour reprendre son bien. En réalité, le français est si irrésistible lorsqu’il s’agit de s’élancer dans une côte qu’il a même fait des contre-la-montre à fort dénivelé sa spécialité. Vainqueur en maître au Mont Brouilly sur Paris-Nice 2017, il surprend la concurrence et fait trembler la France en s’arrogeant deux ans plus tard le chrono du Tour, paletot jaune sur les épaules, succédant en la matière à Laurent Fignon en 1984. Un gouffre temporel que seule sa force est parvenue à combler.

Julian Alaphilippe est une graine de grimpeur. Son brillant succès au Plateau des Glières sur le Tour de l’Avenir 2013 en avait posé les prémisses. Cinq ans plus tard, c’est à ce même endroit qu’il s’envolait pour sa première victoire d’étape sur la Grande Boucle, galopant à travers les cols alpestres, remplissant au passage sa besace d’une prodigieuse récolte de points de la montagne, s’arrogeant ainsi à l’arrivée le maillot blanc à pois rouges. Cette tunique, de part sa popularité ainsi que l’ardeur fournie par l’auvergnat pour la consolider dans les jours suivants, fonde alors la mystérieuse hypothèse « d’Alaphilippe le grimpeur ». Peu entraîné à l’exercice, préférant se dégourdir les jambes dans de violents « tape-culs », le bourbonnais y laisse pourtant entrevoir d’impressionnantes facultés malgré-lui. Et son épopée dorée du Tour de France 2019 ne peut aller que dans ce sens. Couronné par deux fois pour son punch, Julian Alaphilippe aurait pu voir son aventure en jaune s’arrêter dans les infernaux lacets du Tourmalet. Ce jour-là, les pronostiques à son encontre ne sont d’ailleurs guères optimistes, et sa faillite dans le col de la Couillole, sur Paris-Nice 2017, paletot de leader sur le dos, appuie l’argument. Pourtant, l’auvergnat a bien changé en deux ans. Non seulement capable de mettre Alejandro Valverde à ses pieds sur le Mur de Huy, sa force surnaturelle a tout aussi progressé en montagne. A l’arrivée, les paris sont retournés : non seulement le coureur de la Deceuninck Quick-Step n’a rien perdu sur les principaux favoris au général, mais il s’est même permis de grappiller du temps à la plupart de ses adversaires, à commencer par Gerraint Thomas, relégué à plus de deux minutes au classement général. S’il laisse le lendemain entrevoir ses limites dans le Prat d’Albis, lâchant du lest pour la première fois de la course, c’est avec 1 minute 35 d’avance qu’il se présente au pied des Alpes, le couteau entre les dents, prêt à défendre son maillot coûte que coûte. Si le Galibier, l’Iseran puis la montée de Val Thorens ont finalement raison de lui, sa légende populaire n’en est pas moins constituée. 

Julian Alaphilippe est un fantastique héros. Dès le Tour de France 2018, il n’y avait qu’à voir la ferveur populaire autour de sa personne, ce soudain soulèvement de la foule à son passage sur le contre-la-montre basque. Seul vainqueur d’étape tricolore sur cette 105e édition, marquée par la déchéance de Romain Bardet au classement général, l’auvergnat avait ravivé les sourires dans sa quête de points et de bouquets. Sa victoire à Bagnères-de-Bigorre, emplie de panache, en est symbolique. Piégé, il avait entamé une folle remontée vers la tête de la course, avant de plonger vers l’arrivée, de dépasser la carcasse meurtrie d’Adam Yates, et de lever une seconde fois les bras en une semaine.

Un an plus tard, c’est orné d’or qu’il déchaîne la France de juillet. Sympathique petit gaulois résistant vaillamment aux ardeurs de ses concurrents étrangers, décuplant son courage pour garder le sillage des roues des favoris, le visage balafré d’un rictus de souffrance infernal, Julian Alaphilippe incarne à merveille le rôle du héros d’une histoire finalement tragique. En luttant seul face aux armadas INEOS et Lotto-Jumbo, et s’arrachant à chaque instant à protéger une tunique qu’il n’était pas prédestiné à porter, le natif de Saint-Amand-Montrond s’avère largement vainqueur au jury populaire, récoltant même sur les Champs-Elysées le prix de la combativité pour ses trois semaines de folie. Avec son sourire, ses facéties et son amour du vélo, il plaît, emballe et conquiert le cœur des Français. Avec ses exploits, il en exalte les passions.

Son statut aujourd’hui :

Aujourd’hui, l’avenir de Julian Alaphilippe semble encore empli de possibilités. Impressionnant par sa capacité d’adaptation, il semble effectivement que seuls les sprints massifs ne soient pas à sa portée. Et encore, il en serait peut-être capable.

Pour 2020, l’auvergnat avait choisi de s’essayer aux classiques pavées, et en particulier au Tour des Flandres, qu’il avait prévu de disputer pour la première fois. Echaudé par le passage réussi de son ancien coéquipier et ami Philippe Gilbert des Ardennaises aux Flandriennes, le français y voyait là un nouveau challenge, toujours sur le ton du plaisir. Puis son programme l’emmenait à nouveau sur les routes du Tour, pour y jouer à nouveau l’électron libre, sans réellement se donner les moyens de l’emporter au classement général. « Pas encore », affirme-t-il, désireux de ne pas sacrifier les prochaines années dans une hypothétiques et incertaine quête du maillot jaune. Pour l’instant, le bourbonnais veut encore faire des classiques son terrain de jeu de prédilection, histoire d’inclure encore un peu plus son nom dans la légende des Monuments. Avant, peut-être, qu’un jour ne vienne l’heure de faire de la Grande Boucle son objectif annuel, quand l’homme sera mûr, et son palmarès débordant.

Par Jean-Guillaume Langrognet