François, tu viens de te porter candidat au record de l’Heure français. Est-ce l’évolution du règlement UCI qui t’a encouragé à te lancer ce défi ?
Pas du tout, la motivation n’est pas là. J’ai ce projet en tête depuis sept ou huit ans, au moment où Michel Meunier, un ami responsable piste en région Rhône-Alpes, m’a évoqué le record Rhône-Alpes de l’Heure. Avec vélo traditionnel à l’époque. C’était donc rangé là, dans un coin de ma tête… Et puis à l’occasion d’un repas entre amis il  y a trois ans, on en a reparlé. Mais cette fois-ci il s’agissait du record de France. L’idée a germé. C’est avant tout une très forte envie intérieure, un grand défi, peut-être le plus grand de ma carrière…

Une manière aussi de prendre date et apparaître sur les tablettes tant que c’est jouable ?
Non, ce record, c’est pour moi comme les Jeux Olympiques pour n’importe quel sportif susceptible de remporter la médaille d’or. Un peu une sorte de rêve mais qui donne de la grandeur, qui apporte du bonheur, et cette euphorie a commencé au premier jour de ma préparation.

Le record détenu depuis 1958 par Roger Rivière est de 47,345 kilomètres. Casser la barre des 50 kilomètres est-il envisageable ?
Nous n’en sommes absolument pas là. Nous n’avons en tout cas pas encore évoqué ce sujet. Au-delà de 48 kilomètres sur une heure, les mètres ne se gagnent pas en claquant simplement des doigts. Beaucoup d’athlètes ont certainement le moteur pour faire ce record de France mais il y a deux certitudes. La première, c’est l’incertitude du dernier quart d’heure ! La seconde, c’est que ce genre de défi demande une approche mentale tellement particulière, une psychologie tellement atypique et spécifique, qu’il est difficile d’y aller sans une motivation et un mental de record de l’Heure.

C’est un record ancestral auquel tu vas t’attaquer le samedi 11 avril à Roubaix. Selon toi, pourquoi aucun pro en activité ne s’est vraiment positionné sur ce record ?
A la différence d’un pro, j’ai plus de liberté. Je remercie à cette occasion le staff du Team Vulco-VC Vaulx-en-Velin et le président Jean Delphis pour leur compréhension. A un moment donné, j’aurais bien sûr aimé avoir ma chance chez les pros, mais le fait que cela ne ce soit pas présenté ne me laisse aucun regret. Aujourd’hui, un pro doit rentrer dans le moule de son équipe et il est difficile de s’en extraire. Pour une telle aventure, c’est un investissement de temps, humain, matériel mais aussi financier. S’attaquer à ce record demande du travail très spécifique sur la piste. Est-ce qu’un coureur professionnel a les moyens d’obtenir une telle liberté sachant qu’il devra lui, à mon avis, s’attaquer au record du monde ?

On te dit Stéphanois, comme Roger Rivière, pourtant tu es né à Marseille…
Je suis né à Marseille mais j’y suis très peu resté, suivant la famille au gré des mutations professionnelles de mon père. On m’a surtout connu comme coureur de la Région Centre. J’ai intégré le Pôle Espoir de Saint-Etienne dirigé par Dominique Garde en 2001. Depuis, je suis resté dans la région et on peut dire maintenant que je suis Stéphanois. J’ai souvent changé de club, ce qui me permet de rebondir. J’aime ce fonctionnement sportif. Je cours cette année sous les couleurs du Team Vulco-VC Vaulx-en-Velin. C’est un club qui possède une âme, j’y suis bien.

Ce record de France détenu par un Stéphanois, qu’est-ce que cela ajoute ?
C’est un surplus émotionnel… Dans la région, Roger Rivière a encore une aura incroyable. J’ai beaucoup de respect pour le talent de cet homme, son palmarès. Je sais qu’il battait Jacques Anquetil dans les contre-la-montre du Tour de France avant sa chute ! Michel Meunier, dont le père a été un équipier d’américaine de Rivière, a été bercé dès son plus jeune âge par les propos des anciens sur le phénomène Roger Rivière. Aujourd’hui, Michel est dans le staff autour de moi, cela rajoute une dimension humaine au projet. Même si ce record date, ce sera tout sauf une formalité que de le battre.

Tu t’y attaqueras le samedi 11 avril au Stab de Roubaix. Envisages-tu plusieurs tentatives le cas échéant ?
Non. Les premiers tests ont servi à nous conforter dans la faisabilité de la performance. Nous rentrons maintenant dans une phase de préparation spécifique avec de nouveaux tests qui affineront le curseur : 48 kilomètres, 48,5, 48,8, 49 ? Vous reviendrez avec cette question j’en suis sûr ! Aujourd’hui, nous n’en savons rien sauf que la prudence est de mise.

Quel matériel vas-tu utiliser ?
Actuellement, je roule avec mon vélo classique de piste pour les épreuves de poursuite. Un gros travail est fait côté matériel. Nous regardons et négocions avec beaucoup de précision le choix du matériel, du casque, de la combinaison avec l’aide de nos partenaires. Pour les braquets, nous avons notre idée, pas totalement arrêtée, la question est un peu prématurée.

Quelles vont être les grandes lignes de ta préparation d’ici au 11 avril ?
Dans les grandes lignes, ce sera du spécifique sur la piste, de la route pour prendre la caisse, bien gérer son repos, trouver l’équilibre entre charge de travail et récupération pour être au top le jour J. Je fais entière confiance à mon coach Quentin Leplat sur ma préparation. Le seul détail que je puisse livrer est la date de la tentative qui n’est pas due au hasard mais qui correspond, au vu de mes dernières saisons, à mon pic de forme. Le fait que ce soit la veille de Paris–Roubaix et sur le vélodrome couvert de Roubaix est un concours de circonstances.

Pour un record de l’heure, chosiras-tu une alimentation ou une hydratation spéciale ?
Non, mais depuis quelques temps déjà, je n’ai jamais été aussi méticuleux sur la diététique car c’est un facteur très important sur le rendement du sportif.

Tu es âgé de 31 ans. Si l’on revient sur ton parcours, comment es-tu arrivé au cyclisme ?
J’ai débuté la compétition cycliste en Minime à Vineuil Sports, dans la région de Blois, après avoir touché un peu à tous les sports dans ma scolarité. Les débuts ont été très difficiles, je n’étais pas en avance sur mon âge, mais j’ai commencé à avoir quelques résultats en Cadet, pour devenir petit à petit un des meilleurs Juniors. Mes parents m’ont toujours soutenu et c’est une chance.

Quels ont été les facteurs de ta réussite ?
Je peux modestement dire que travail, sérieux et persévérance sont les trois mots-clés de ma réussite. J’ai été champion de France Espoirs de la course aux points en 2005 et je compte à ce jour 140 victoires sur route dont le GP des Flandres Françaises, le GP de Vougy, le GP Saint-Etienne Loire, le Tour du Canton de Saint-Ciers, des étape au Tour du Loir-et-Cher, au Circuit de Saône-et-Loire, au Tour du Loiret… J’ai une quinzaine de podiums nationaux sur piste dans les épreuves de fond (course aux points, américaine, poursuite individuelle et par équipes et même demi-fond). J’ai aussi remporté la Coupe de France d’américaine en 2006 et porté le maillot de l’équipe de France sur piste entre 2005 et 2009. Mon passage au Pôle Espoir de Saint-Etienne avec un formateur comme Dominique Garde reste un passage important dans ma carrière.

Penses-tu qu’une « frénésie » comme on la vit sur le record du monde peut toucher la France ?
Je ne sais pas, mais si je peux être celui qui déclenche cette frénésie autour de ce record de France, j’en serai ravi. Entre ceux qui auront les moyens physiques d’y prétendre et ceux qui oseront, ce sera différent je pense. Je souhaiterais ajouter une dernière chose : ce record est celui de tout une équipe avec des cœurs gros comme ça ! Je veux ici les remercier d’être autour de moi sans réserve. C’est moi qui pédale, mais je ferai tout pour ce record, je ne veux pas décevoir et si je bats le record de Rivière, j’aurai cette fierté stéphanoise comme celle qu’avait Roger.

Propos recueillis le 30 janvier 2015.