Il serait un peu provocant de dire que c’est elle qui a gagné au sommet du Tourmalet lors de la fantastique édition 2019 du Tour de France. Pourtant, sans elle, Thibaut Pinot n’aurait peut-être pas pu lever les bras au sommet de ce col mythique, ou du moins pas sous un maillot orné des couleurs du drapeau tricolore. Il n’aurait pas non plus pu compter sur l’époustouflant relais de David Gaudu un peu plus tôt dans l’ascension, asphyxiant l’ensemble de ses concurrents. De même, il n’aurait pas eu droit au travail préalable de ses équipiers de luxe, tels Sébastien Reichenbach, Rudy Molard ou encore Stéphane Küng. Il n’aurait pas eu accès à l’expérience et à la compagnie de William Bonnet, son capitaine de route, l’homme qui sait toujours trouver les mots justes. Enfin, ni Marc Madiot, ni Philippe Mauduit, ni peut-être Julien Pinot n’auraient pu faire partie de son staff. Alors, quand le 20 juillet 2019 Thibaut Pinot laissait exploser sa joie après un effort surhumain, Stéphane Pallez laissait un sourire embellir son visage à dans son bureau parisien. Portrait de cette PDG de la Française des Jeux.Stéphane Pallez 1Stéphane Pallez

Son parcours :

Depuis le début de cette rubrique des 101 personnes qui font le cyclisme français, c’est sûrement, et de loin, celle qui était originellement la plus éloignée du vélo. Et pourtant celui-ci lui doit désormais de grands services. En effet, Stéphane Pallez est avant tout une haute fonctionnaire. Son parcours témoigne d’ailleurs de l’intelligence et de la culture de cette femme brillante, formée dans les meilleures écoles d’administration publique de la nation. Passée par les rangs de Sciences Po puis diplômée de l’ENA, elle s’est inscrite dans le parcours classique des élites gouvernantes, avant qu’elles ne rejoignent la sphère du pouvoir. Son excellent classement à la sortie de l’Ecole Nationale d’Administration et son goût pour la finance lui permettent ainsi d’intégrer aussitôt la direction générale du Trésor public, poste qu’elle occupe durant 20 ans. En parallèle, elle multiplie également les postes à responsabilité, en étant nommée suppléante de l’administrateur représentant la France à la Banque Mondiale, puis conseille successivement Pierre Bérégovoy et Michel Sapin à la tête du ministère de l’économie et des finances.

Son lien avec le monde des entreprises nationale se renforce en 1998 lorsqu’elle devient responsable des secteurs transport, énergie, hautes technologies et banque-assurance, prenant sous son aile de grandes firmes du patrimoine français, telles Bull, GDF Suez ou encore Cogema. De plus, elle y affirme ses convictions profondément libérales en menant les privatisations d’immenses corporations, comme Air France, Thomson Multimédia ou Gan. Elle apparaît de ce fait comme l’une des principales protagonistes du détachement de l’Etat Français de cet ensemble d’entreprises qu’il gardait sous son giron depuis le terme de la Seconde Guerre Mondiale.

De 2000 à 2004, elle assure en tant que chef du service des affaires européennes et internationales la préparation de grands sommets internationaux, avant de retrouver le monde de l’entreprise en rejoignant la tête du département des finances de France-Télécom Orange. Elle évolue ensuite en 2011 en prenant les rênes de la Caisse Centrale de Réassurance (CCR), chargée de la couverture des risques exceptionnels, comme les catastrophes naturelles.

Enfin, forte de cet ahurissant CV d’une femme n’ayant jamais connu l’échec et présentant des résultats professionnels hors du commun, c’est en 2014 qu’elle atteint la direction de la Française des Jeux, entreprise nationale de loterie, s’érigeant au quatrième rang mondial des opérateurs de ce domaine. 

Son statut aujourd’hui :

Aujourd’hui, Stéphane Pallez ne finit plus d’impressionner en tant que Présidente-Directrice-Générale de la FDJ. Avec 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires, accentué par une hausse de 2,3% entre 2017 et 2018, elle témoigne de ses immenses talents de la femme d’affaire qu’elle tend à devenir. De plus, cette soixantenaire est sur le point de reproduire l’expérience de 1998 en menant la société de jeux d’argent sur la voie de la privatisation, annoncée pour cette fin d’année par le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Lemaire. Cette entrée en bourse destitue ainsi l’Etat de 52% des parts de capital qu’il détenait jusque-là, et marque selon les mots de cette officier de l’ordre national du mérite la possibilité pour les français de véritablement devenir détenteur d’actions de l’entreprise.

Côté cyclisme, Stéphane Pallez a parfaitement poursuivi l’engagement de ses prédécesseurs avec la formation éponyme, entamée depuis plus de 22 ans déjà. De surcroît, elle a même été une actrice majeure du développement du cyclisme féminin en France, en étant à l’origine de la création de la seule équipe tricolore du Women World Tour. En effet, c’est elle qui a soufflé cette idée à l’oreille de Marc Madiot, et que ce dernier s’est dès lors échiné à mener à bien ! Malgré tout, la longueur de l’appellation FDJ-Nouvelle-Aquitaine-Futuroscope rappelle le manque de moyen de la formation de la championne de France Jade Wiel, qui peine à obtenir des résultats retentissants sur la scène internationale.La FDJ est-elle vouée à disparaître des maillots de la formation emmenée par Thibaut Pinot ?La FDJ est-elle vouée à disparaître des maillots de la formation emmenée par Thibaut Pinot ? | © Nicolas Götz / Groupama FDJ

Enfin, la privatisation que vit aujourd’hui la Française des Jeux pourrait avoir des conséquences néfastes sur son sponsoring avec la formation de Thibaut Pinot. En effet, si elle a sagement obéi aux injonctions de l’Etat pour soutenir des évènements ou des sports (comme les JO 2024) lorsqu’elle était encore sous son giron, la société de jeux va désormais jouir d’une liberté d’action bien plus importante, qui pourrait l’amener à délaisser le domaine du cyclisme. Et le paroxysme actuel de sa renommée n’est pas en concordance avec une poursuite vigoureuse de cet engagement de sponsoring… D’ailleurs, après les multiples dénominations liées à elle (La Française des Jeux, FDJ, FDJ.fr…), l’entreprise basée à Boulogne-Billancourt a récemment reculé à la seconde place dans la hiérarchie des partenaires de l’équipe cycliste, avec l’arrivée de Groupama, symbolisant son retrait progressif. Il est même tout à fait imaginable que celui-ci devienne total dans les années à venir…

Par Jean-Guillaume Langrognet