Ses grimaces l’ont rendu célèbre sur la planète Vélo, et ses coups d’éclats ont forgé sa légendaire popularité auprès du public français. Garçon aux apparences sympathiques et extrêmement médiatique, il continue aujourd’hui d’être ce showman qu’il a été tout au long de sa carrière professionnelle, posant là les bases de sa fameuse « Voecklermania ». Figé dans les dernières places du peloton lorsqu’il n’est pas à l’avant de la course, il s’est toujours rendu visible et disponible auprès du public français, recevant en retour une immense aura nationale, rare du fait de l’absence de monuments ou de Grands Tours à son palmarès. Cependant, sa « normalité », la « banalité » de ses forces physiques, l’ont paradoxalement érigé sur la stèle du héros populaire, jugé et admiré pour sa bravoure et son courage, en dépit de résultats loin des sommets. Cet homme n’est jamais monté sur le podium du Tour de France, ni terminé à l’une des trois premières places d’un monument, ni régné en maître dans un quelconque domaine. Mais il a surpris, il s’est battu et arraché pour réaliser d’authentiques exploits et d’incroyables épopées. Maillot jaune inespéré puis résistant héroïque en 2004 et 2011, il est parvenu à deux reprises à galvaniser un peuple entier autour d’une aventure improbable d’un petit gaulois résistant aux légions étrangères. Vainqueur de quatre étapes de la Grande Boucle et d’un maillot blanc à pois rouges, il s’est surtout distingué par son inlassable tempérament offensif et ses échappées à n’en plus finir. Ainsi, ce jeudi, portrait d’un attaquant né, d’un charmeur des foules, d’un tombeur de la France, portrait de Thomas Voeckler.
 

Son parcours :

Thomas Voeckler est un globe-trotter, un enfant de la France dans toute sa diversité. Alsacien de naissance, ayant grandi dans le charmant village d’Herbitzheim, il a sept ans lorsque ses parents décident de déménager en Martinique, lui faisant ainsi découvrir une toute autre culture. Là-bas, il apprend le créole et s’épanouit pleinement sous le soleil des Caraïbes, se mêlant aux jeunes locaux avec pour seule distinction le surnom amical de « Ti-Blanc », qui le suivra durant toute sa vie. Mais dans le cœur de Thomas Voeckler, la Vendée fait figure de contrée d’adoption. Lycéen de Notre-Dame-du-Roc à la Roche-sur-Yon, le français a surtout fait ses classes au fameux club formateur du Vendée U, antichambre de la formation de Jean-René Bernaudeau, dont il garde un formidable souvenir. Le département de la côte Atlantique est même devenu sa terre d’installation, celle de la fondation d’une famille, celle de l’établissement d’une nouvelle génération de Voeckler. 

Thomas Voeckler est un aventurier, et ce dès sa première heure. Bien avant ses luttes acharnées, maillot jaune sur les épaules, face aux géants du cyclisme dans les plus grands cols de l’Hexagone, il est un marin malgré lui, réalisant trois traversées de l’Atlantique avec sa famille, parcourant l’immensité des océans sur le voilier de son père. En bateau puis à vélo, il aime se lancer dans l’inconnu, partir dans de longues escapades sans savoir ce qui l’attend, s’échapper loin de la meute avec quelques compagnons de route. Si le remous des vagues a disparu des vagues au cours de son adolescence, l’incessant cabrement du bitume a quant à lui marqué sa vie adulte, marquée par la quête impossible d’apprivoiser les cols et de mater les sommets. Dans son optimisme débordant et jamais tut, le vendéen est parfois parvenu à démontrer que les chevauchées inespérées pouvaient parfois mener à de grands exploits, d’ailleurs magnifiés par leur improbabilité. De ces expériences, le natif de Schiltigheim a retenu son leitmotiv : ne jamais se résigner. 

Thomas Voeckler est un naufragé, personnage privé d’un père dès son adolescence dans d’atroces circonstances. En effet, à l’automne de ses treize ans, un au revoir d’un jour s’est transformé en un adieu de toujours, une traversée anodine est devenue un voyage sans retour pour le patriarche d’une famille soudée et aimante. Telle une déchirure lacérant le cœur du jeune martiniquais, la cruauté de l’évènement est encore accentuée par l’inaboutissement des recherches, laissant encore planer dans son esprit le fantôme d’un père éternellement absent mais au décès jamais attesté. 

Thomas Voeckler est un gladiateur, un forçat de la route des temps modernes, luttant à chaque instant pour triompher dans un monde sans répit. Dès sa première participation à un Grand Tour, lors du Giro 2001, le français se distingue par sa détermination et sa ténacité. Durant trois semaines de course intense et particulièrement ardue, il échappe de justesse à plusieurs reprises à la voiture-balais, et parvient ainsi systématiquement à rentrer dans les délais. Longtemps lanterne rouge, usé par des évènements malheureux comme d’importantes opérations anti-dopage de la police italienne ou du vol de stock de vélos de sa formation, il est finalement l’unique coureur de sa formation à voir l’arrivée à Milan, alors qu’il n’était initialement que remplaçant pour l’épreuve. De cet exploit anonyme, découle le symbole de l’entièreté de sa carrière, celui d’une vie passée à s’accrocher sans jamais lâcher, au-delà de la fatigue, par-delà de la douleur. De ses échappées à répétition à sa résistance en montagne face aux cadors du peloton, le vendéen a continuellement été un exemple de bravoure et de courage, comblant son déficit de force physique par une solidité mentale hors du commun, source naturelle de succès dans l’univers rude du cyclisme. Si ses rictus ont souvent été synonymes de comédie, ils ont aussi été des symboles de sa souffrance sur le vélo, petit homme tentant de faire fis d’un feu ardent lui brûlant les jambes.
 

Thomas Voeckler est un héros, le champion d’un peuple, une figure chevaleresque unissant une nation sur les routes de son territoire, reproduisant quelques jours sur la Grande Boucle une allégorie de Gergovie, même si Alésia finit toujours par mettre cruellement fin aux plus fous espoirs. Héritier à deux reprises de la tunique jaune après des échappées au long court, le français a indéniablement marqué les éditions 2004 et 2011 de la Ronde de Juillet. A chaque fois il ne devait être qu’un porteur passager du maillot de leader, une mule pour reposer les équipiers des cadors, un alibi pour permettre à ses adversaires de ne pas rouler. Mais à chaque fois, le petit français s’est transformé en un immense guerrier, faisant mentir tous les pronostics, mettant au jour d’incroyables fabulations quant à la tournure finale de son aventure. Si ces histoires ont toujours pris la fin tragique des contes de Charles Perrault, le récit de ses épopées reste une magnifique histoire à raconter aux enfants rêvant d’embrasser un jour le monde de la Petite Reine. A une époque où le cyclisme tricolore était loin d’être aussi florissant qu’aujourd’hui, où les scandales de dopage à répétition noyaient ce sport dans une méfiance constante, lui réussissait à faire renaître les âmes et faire resurgir les passions, en exaltant ce nationalisme moderne qui caractérise la France de Juillet. De sa magnifique traversée des Pyrénées en 2004 à sa résistance hors du commun à Serre-Chevalier en 2011, il est parvenu à tenir en haleine un pays entier devant l’éventualité d’un improbable miracle, digne d’un mythe antique. S’accrochant de toutes ses forces à son beau paletot jaune, il a mis en échec les tentatives de reconquête des plus grands noms du cyclisme du XXIe siècle, de Lance Armstrong à Alberto Contador en passant par Andy Schleck. De Thomas Voeckler, la France retiendra sûrement cette sublime image au sommet du Galibier en 2011, le poing serré, le visage marqué, l’air soulagé, produit d’une ascension hors normes face aux favoris au terme d’une étape dantesque. Une véritable allégorie de l’attitude d’un vendéen déchaîné par la tunique dorée.
 

Thomas Voeckler est un showman, un séducteur de foules, un charmeur de la France. Concordant avec des valeurs chères à son pays de courage, sincérité et simplicité, il s’est révélé aux habitants de l’hexagone lors de son incroyable épopée jaune de 2004, devenant en l’espace de quelques jours le chouchou du public. Petit coureur anonyme sorti des profondeurs du classement par l’évènement extraordinaire d’une prise de pouvoir incongrue en 2004, il s’est immédiatement affiché sympathique, joyeux et brave, se construisant alors l’image d’un personnage extrêmement attachant, petit homme sans prétention luttant avec ses moyens dans un peloton de tricheurs. Progressivement, la « Voecklermania » s’est accrue avec ses premières victoires d’étapes sur la Grande Boucle en 2009 et 2010, avant d’exploser durant l’époustouflante épopée de 2011, puis de perdurer lors de son Tour 2012 haut en couleurs, fort de deux bouquets d’étapes et d’un maillot blanc à pois rouges. Le profil parfait pour voir se déployer sur les bords de routes des centaines de pancartes à son effigie, accompagnées d’innombrables encouragements à son égard. Loin d’avoir été un prétendant à la victoire finale, il aura indéniablement marqué la Ronde de Juillet entre 2003 et 2017, édition lors de laquelle la tombée de la nuit sur les Champs-Elysées constitue le crépuscule de sa carrière. Tout un symbole. 

Son statut aujourd’hui :

Auteur d’un début de reconversion particulièrement réussi, le natif de Schiltigheim a surfé sur sa popularité débordante pour voir s’ouvrir en grand les portes des principaux médias nationaux. Consultant pour Eurosport sur le Tour de Vendée dès l’automne 2017, il fait ses débuts sur les motos de France Télévision l’année suivante, continuant ainsi d’animer le Tour de France, non plus par les actes mais par les paroles. Consultant cycliste d’Europe 1 depuis l’année dernière, on l’a également vu apparaître dernièrement sur les antennes de la Chaîne L’Equipe sur l’Etoile de Bessèges, dans un rôle semblable à celui qu’il occupe pour le service public. Personnage détonnant par sa franchise et son énergie débordante, sa riche expérience des pelotons et des échappées en fait un excellent analyste des courses cyclistes. Seuls bémols, son caractère joueur l’entraîne parfois à divaguer vers des joutes orales dépourvues d’intérêt avec Laurent Jalabert ou encore à effectuer des plaisanteries parfois agaçantes à la longue pour le téléspectateur.

En outre, Thomas Voeckler prête une attention toute particulière à diversifier ses terrains d’interventions. Figurant dans la promotion 2017 du Centre de Droit et d’Economie du Sport de Limoges dans l’objectif de devenir manager général de club, ambassadeur pour Amaury Sport Organisations sur plusieurs épreuves en 2018, il est désormais sélectionneur de l’équipe de France depuis le mois de juin dernier, en succession de Cyrille Guimard, jugé trop âgé pour le poste. En dépit de résultats décevants sur les championnats d’Europe et du Monde, il est encore trop tôt pour tirer un bilan de son action, d’autant plus que la faillite du Yorkshire est davantage due à une défaillance de Julian Alaphilippe plutôt qu’à une erreur stratégique. Sur ce point, les JO de Tokyo et les mondiaux d’Aigle cette année constitueront ses premiers tests majeurs, compte tenu de l’armada de grimpeurs dont jouit la France. L’occasion de renouer une nouvelle fois les liens avec l’hexagone pour cet éternel héros des foules !

Par Jean-Guillaume Langrognet