EPISODE 1

Une du journal L'Equipe du 11 juillet 2011Une du journal L’Equipe du 11 juillet 2011 | © Pressreader

10 juillet 2011, Saint-Flour. « Voeckler ce héros », c’est justement la une que le journal L’Equipe s’apprête à publier dans son édition du lendemain. Au terme d’une fantastique épopée sur les routes du Cantal, le jeune père vient de s’offrir un fabuleux destin. Le destin d’un homme qui a su saisir sa chance, et même la provoquer. A l’issue d’une de ces journées mémorables où les fortunes s’enchevêtrent comme des vélos dans le fracas d’une chute générale, le malheur des autres a fait le bonheur de l’un. Le succès du premier de l’étape à être parvenu à s’extirper du peloton, de celui qui s’est montré plus fort que les autres, impressionnant par sa force et sa hargne. Il fallait le voir dans la côte de Massiac, briser le verrou d’acier du peloton, ne laisser aucun espoir à ses adversaires de lui reprendre le moindre mètre, et s’en aller vers une journée supplémentaire en tant qu’échappé.

L’escapade, c’est le propre de Voeckler, sa spécialité. Ce qu’il aime, c’est courir devant, ouvrir la route du Tour de France, voir la foule attendre sa présence pour saluer le passage de ce grand cirque qui illumine chaque village qu’il visite. Ces journées de transition, où l’on passe son temps au sein du peloton, attendant le sprint final ou l’explication entre les favoris marquant la fin de l’étape, très peu pour lui. Depuis toujours, Thomas Voeckler est l’homme de l’action, du panache, du spectacle. Il est parfois celui qui crée la course, là où d’autres préfèreraient la voir rester éteinte. Il est celui qui tente parfois l’impossible, avec à chaque fois l’espoir de le voir se réaliser.

Ce 10 juillet 2011 a récompensé cette ardeur. Il a décidé d’enfin sacrer ce saltimbanque du vélo, ce troubadour de la Grande Boucle, ce trouble-fête du peloton. Il a joué mesquinement avec les poupées vaudou de ses adversaires, propulsant ceux-ci dans les barbelés clôturant les champs, éjectant ceux-là dans les ravins délimitant la montagne. La situation initiale était pourtant le schéma classique. Une échappée de gaillards bien costauds, mais somme toute insignifiants pour peser sur la course, apparemment inaptes à déjouer les plans de la meute. La tentative était belle, mais le contrôle exercé par le peloton l’annonçait vaine. L’écart était plafonné à moins de quatre minutes, laissant les fuyards à la portée du peloton, n’attendant que le moment opportun pour les engloutir. Ce déroulement, ce fut celui du commun des étapes de la Petite Reine, celui connu et répété presque quotidiennement sur le Tour de France, celui dont la maîtrise par les acteurs était proche de la perfection. Pourtant, en ce 10 juillet 2011, il y eu une fausse note. Il y eu cet insignifiant grain de sable qui dérègle la monstrueuse machine, ou plutôt ce mesquin ravin qui en engloutit une partie des engrenages.

Alors le train déraille et laisse filer le wagon de tête. L’avance des échappés augmente d’une façon exponentielle, pour atteindre une ampleur inédite depuis le départ de cette 98e édition. La victoire d’un fuyard devient probable, la prise du maillot jaune par Thomas Voeckler, mieux classé au général que ses compagnons du jour, potentielle. L’enjeu compris, il se démène d’autant plus vivement pour accroître l’avantage de l’échappée. Il harangue ses partenaires, les motive et les pousse à l’accompagner dans sa démarche. Chacun avait quelque chose à gagner dans cette entreprise : eux l’étape, lui le maillot, sans pour autant faire une croix sur la première.

Les kilomètres défilent et les fuyards ne perdent rien, comme emportés par leur élan. Le panache de Voeckler, la force de Sanchez et l’expérience de Casar portent cette petite escapade sur les routes du Cantal. Saint-Flour se rapproche et leur entreprise s’avère définitivement fructueuse. Unis jusqu’aux derniers hectomètres, les trois hommes se relayent à merveille, agrégent leurs forces, afin d’être certains de se mettre définitivement à l’abri d’un retour du peloton. Finalement, les Français s’avouent impuissants face à la puissance de l’espagnol pour le gain de l’étape. Mais l’essentiel est ailleurs pour l’alsacien : l’écart avec la meute était amplement suffisant, la tunique dorée lui revient, lui offrant même un léger matelas de deux minutes. Dérisoire face à l’épreuve de la montagne, mais permettant de vivre deux journées de descente vers les Pyrénées dans la peau du leader du Tour de France. L’épopée commence.

Par Jean-Guillaume Langrognet