EPISODE 2

12 juillet 2011, Carmaux. Un maillot jaune qui attaque lors d’une étape de transition, ça n’existe pas. Sauf quand il est porté par Thomas Voeckler.  En cette fin d’après-midi de juillet, sur la route de Carmaux, les spectateurs croient halluciner lorsqu’ils voient le leader du classement général passer devant eux, esseulé avec quatre concurrents, le peloton à ses trousses. Il y a alors presque quelque chose de surnaturel en voyant progressivement grossir cette touche jaune que l’on devine au sein de l’échappée, qui n’en est ordinairement jamais ornée. Décidément, le vendéen d’adoption est déterminé à faire fi de tous les codes qui régissent la plus grande course du monde, à toutes ces contraintes presque protocolaires qui régulent le déroulement des évènements, faisant de la compétition une procession.

Non, Thomas Voeckler n’est pas un maillot jaune comme les autres. Il ne peut pas se contenter de se cacher derrière sa horde de vaillants équipiers, tel un froid stratège. Il préfère être ce général qui émerge en première ligne, sans bouclier, ne comptant que sur son épée pour défaire l’adversaire. Il choisit d’être un meneur de troupes, guidant ses compagnons dans son sillage, plutôt qu’un apathique leader, contrôlant par la défensive, aux dépends du spectacle.

Mais en réalité, cette attaque du français à une vingtaine de kilomètres de l’arrivée a une toute autre signification. Elle laisse deviner que la couleur apparente de son maillot n’est pas celle qui animait son esprit, que l’or qui décore sa tunique n’a pas encore fondu dans son cœur. Le vert persiste, celui du sponsor de sa formation de deuxième division, Europcar. Saint-Flour n’a pas dessiné une délimitation, n’a pas séparé un avant et un après. Le coureur qui en est ressorti orné de lumière solaire se sent comme s’il était aux mains des grands du peloton, presque comme leur marionnette. Il pense être leur jouet, être cet homme qui, habité par un désir illusoire de prolonger systématiquement son rêve jaune, épuise ses équipiers à la place des leurs. Alors il refuse catégoriquement de se considérer comme le leader du Tour de France et de se comporter comme le maître du peloton. Il souhaite, à tout prix, éviter que ce soudain semblant de pouvoir glace son cœur et annihile sa fougue. Il préfère poursuivre et multiplier les offensives, sous peine de voir son âme s’éteindre.

Thomas Voeckler persiste donc dans son incarnation de lui-même, de ce sympathique personnage du peloton, qui refuse de se fondre dans le commun de ses adversaires. Le Tour de France est trop court pour laisser échapper la moindre occasion de succès, surtout pour un maillot jaune qu’il s’apprête à rendre modestement deux jours plus tard, dans l’enfer pyrénéen. L’épopée n’en est alors pas encore une.

Par Jean-Guillaume Langrognet