Amoureux de la Petite Reine, il est le créateur de vos rêves, l’animateur de vos après-midis, le dessinateur de votre mois de juillet. Reliant les villes avec son client comme le ferait un enfant, il prend soin de faire passer sa mine par des routes inédites, des côtes abruptes, des passages piégeux, pour assurer un spectacle époustouflant sur l’un des plus grands évènements du monde. Cet homme est un artiste, un artificier, un animateur. Il s’efforce chaque année de placer embûches et difficultés avec une méticulosité toute particulière, pour que chaque été les fusées y soient allumées, afin d’éclairer ce formidable ciel que ne cessent de scruter le monde à cette période de l’année. Si les coureurs gardent toujours le dernier mot, par leurs qualités physiques, leurs caractères et les stratégies qu’ils établissent, cet homme a le pouvoir de leur forcer la main, d’orienter leur action, pour les inciter à éclabousser la course de leur talent, à éclabousser les yeux de millions de personnes de la magie d’une épreuve hors du commun. A l’heure de la modernisation du cyclisme, tassant les niveaux et limitant les offensives, il est celui qui redouble chaque année d’ingéniosité dans sa lutte contre la morosité. Portrait du fabuleux designer du parcours du Tour de France, portrait de Thierry Gouvenou. Thierry GouvenouThierry Gouvenou

Son parcours :

Le vélo a toujours illuminé la vie de Thierry Gouvenou. Dès le plus jeune âge, ce normand a baigné dans l’atmosphère si particulière de ce monde à travers le magasin de cycles que tiennent ses parents à Vire. Héréditaire d’une passion unioniste, c’est sans surprise qu’il passe à sept ans la porte du Vélo-Club du Bocage, pour y obtenir sa première licence. Cette histoire enfantine d’amour avec la Petite Reine prend alors un tournant inattendu. Si elle a toujours fait partie de son existence, il ne pensait pas concrètement l’étreindre jusqu’à se hisser au sommet de son prestige, jusqu’aux honneurs de l’arène professionnelle. Sa victoire sur Paris-Roubaix amateur, à l’âge de 21 ans, l’y propulse pourtant.

Signataire d’un contrat chez Z en 1991, il se met pleinement au service de ses leaders, se dévouant avec enthousiasme. Constatant rapidement qu’il ne possède pas un talent suffisant pour triompher sur les plus grandes épreuves, et amplement satisfait d’effectuer pour métier ce qui n’est qu’un loisir pour la majorité, il se mue en équipier modèle, notamment auprès de Greg Lemond ou de Robert Millar.

Ses services étant largement appréciés, il est conservé par sa formation lors du changement d’appellation de l’équipe de Roger Legeay, passant de Z à Gan, avec qui il dispute sont premier Tour de France en 1994. Il y défend alors le maillot jaune de Chris Boardman lors des trois premières étapes, et œuvre à la victoire d’Eddy Seigneur sur le prestigieux final des Champs-Elysées.Thierry Gouvenou sous le maillot GanThierry Gouvenou sous le maillot Gan

Transféré chez Bigmat – Auber 93 à l’hiver 1995, il y enchaîne les participations sur la Grande Boucle, conservant toujours son rôle ingrat et anonyme de l’ombre, n’ayant pour meilleur résultat au classement général qu’une anecdotique 59e place en 1998. Avec les p’tits gars d’Auber, il sillonne les routes françaises durant la majorité de la saison, forgeant dès lors son omniscience géographique de l’hexagone. Son principal coup d’éclat intervient pour sa dernière saison professionnelle, sur son épreuve fétiche de Paris-Roubaix. Après sa victoire en amateur en 1990, il parvient à s’accrocher aux cadors de la 100e édition de « l’enfer du Nord » pour décrocher une inespérée 7e place, titre officieux de meilleur français à la clé. Retraité des pelotons à la fin de l’année, il clôt alors une carrière de 12 ans, marquée par sept Tours de France, récompenses d’autant d’années de gregario d’exception.

Dévoué, Thierry Gouvenou continue de l’être lors de sa reconversion. Mais cette fois, ce n’est plus pour Eddy Seigneur, Ludovic Auger ou Christophe Capelle, mais bien pour Amaury Sport Organisation, dont il intègre en 2004 le département de gestion de compétitions cyclistes, du Tour de France à Liège-Bastogne-Liège en passant par Paris-Nice. Assistant de Jean-François Pescheux à la direction de course, il y est régulateur, assurant la bonne circulation des véhicules entre les différents groupes de coureurs. Excellant dans sa fonction, l’élève finit par égaler et remplacer le maître, en lui succédant à la présidence du Rassemblement des Organisateurs de Courses Cyclistes en 2011 puis à la tête de la direction de course d’ASO en 2014. Désormais lieutenant de Christian Prudhomme et non plus vulgaire équipier, le normand peut enfin imprimer sa marque sur le Tour.

Son statut aujourd’hui :

Après 5 éditions dessinées par sa plume, « la patte Gouvenou » est celle du retour vers le spectacle, de l’animation continue. Avec lui, fini la première semaine ennuyeuse composée d’arrivées au sprint à la chaîne et de successions d’étapes sans dangers pour les prétendants à la victoire finale. A l’heure de l’hégémonie INEOS et des trains de sprint parfaitement rodés, le calvadosien se creuse continuellement les méninges pour offrir aux spectateurs et aux diffuseurs une course à l’action ininterrompue.

Avec lui, l’homme revêtant la tunique dorée en face de l’Arc de Triomphe doit posséder un panel de qualités absolument complet. Capable de suffisamment frotter pour résister aux bordures des étapes exposées aux vents, doté d’une bonne dose d’explosivité pour briller dans les fins d’étapes vallonées, en mesure de résister à la raréfaction de l’oxygène en altitude et à l’usure des longs cols, magistral en contre-la-monde, il doit frôler l’eugénisme pour venir à bout d’un parcours aux milles et uns traquenards. Innovant chaque année, Thierry Gouvenou a déjà apporté beaucoup de nouveauté à une Grande Boucle vieillissante et souvent cadenassée. Depuis 2014, les agréables découvertes n’ont pas manqué ! Des vastes plaines à découvert des Pays-Bas aux routes piégeuses des environs d’Agen, des pierres du Plateau des Glières à la rampe finale non goudronnée de la Planche des Belles Filles, du Mont du Chat à l’Altiport de Peyragudes, chaque édition est entrée dans une part d’inconnu, avec toute l’excitation qu’elle engendre. Du côté des règles de courses, il est également l’instigateur des points bonus, positionné soigneusement à des points stratégiques tout au long des trois semaines de courses, afin de récompenser les attaquants et de catalyser les offensives en première semaine, où le maillot jaune ne tient parfois qu’à une poignée de secondes. A ce titre, l’édition 2020 de la Ronde de Juillet contiendra elle aussi son lot de surprises et de nouveautés, de l’arrivée au Mont Aigoual à la montée inédite du col de la Loze en passant par le contre-la-montre sur les pentes de la Planche des Belles Filles à la veille des Champs-Elysées.Les pentes abruptes du col de la LozeLes pentes abruptes du col de la Loze | © TDF

Surtout, depuis son accession à la direction de course en 2014, Thierry Gouvenou est l’homme qui casse les codes, à l’aide de la complicité de Christian Prudhomme. Alors que la Grande Boucle est longtemps restée sans bonifications, certaines étapes offrent désormais jusqu’à 18 secondes à gratter aux coureurs. Alors que l’alternance de l’ordre Pyrénées – Alpes était bien enracinée, celle-ci n’est aujourd’hui plus respectée. Alors que la différence se faisait toujours dans les deux massifs majeurs du territoire, la moyenne montagne est aujourd’hui un secteur stratégique, et la 107e édition s’en fera l’étendard avec la visite de l’arrière-pays niçois, de l’Auvergne, du Jura et des Vosges.

Bref, s’il faut évidemment bien garder à l’esprit que ce sont les coureurs qui font la course et qui restent maîtres de son animation, Thierry Gouvenou n’est toutefois pas étranger au surplus d’action que connaît la Grande Boucle depuis quelques années. Et avec l’émergence d’une nouvelle génération de coureurs à panache, de Julian Alaphilippe à Mathieu Van der Poel en passant par Tadej Pogacar, le normand trouve là de formidables artificiers pour faire briller de mille feux son magnifique spectacle de juillet !

Par Jean-Guillaume Langrognet