Professionnel de 1994 à 2003, vainqueur d’une étape du Tour de France au lac de Madine en 1996, Cyril Saugrain est aujourd’hui responsable du développement des partenariats techniques chez b’Twin. Un vendredi sur deux, il nous livre son analyse à travers cette chronique.

Cyril, au cours des douze derniers mois, Aurélien Duval, Steve Chainel, Matthieu Boulo, Julian Alaphilippe et Quentin Jaurégui ont tous renoncé au cyclo-cross, est-ce inquiétant pour l’avenir de la discipline en France ?
Je trouve toujours dommage quand des coureurs de talent sont obligés de renoncer en raison de leur incapacité à grandir dans une discipline qui leur est propre. A l’inverse de la route, sur laquelle il y a davantage de places et où on peut s’exprimer plus facilement, on trouve peu d’élus en cyclo-cross. Ils sont peu nombreux sur une grille de départ et ce sont tout de suite les meilleurs qui s’expriment. On a de bons coureurs, faut-il encore qu’ils puissent continuer de grandir. Ce qui semble très compliqué. Je trouve cela vraiment inquiétant pour l’avenir de cette discipline en France. Les hommes sont là… pas les moyens.

On a notamment un très bon coureur, Francis Mourey, qui n’a jamais semblé aussi à l’aise en Coupe du Monde, récemment 2ème à Coxyde. N’est-ce pas paradoxal ?
Non car Francis Mourey a su bien mener sa carrière en réussissant à passer professionnel au sein d’une grosse équipe, FDJ.fr, qui l’accompagne et lui permet de mener sa carrière sur deux fronts : la route avec 60/70 jours de course et un programme de cyclo-cross complet avec 15 à 20 jours lui permettant d’atteindre ses objectifs et ceux de son équipe. Ses qualités lui permettent de bien paraître sur les deux, confer sur route son numéro au Tro Bro Leon et sa 20ème place finale au Tour d’Italie. Francis bénéficie avec la FDJ.fr d’une structure qui met beaucoup de moyens pour que ça fonctionne, ce n’est malheureusement pas la situation pour tous les autres coureurs.

D’un autre côté, exister derrière Francis Mourey reste compliqué en France. A dominer comme il le fait depuis dix ans, n’a-t-il pas fini par dégoûter ses adversaires ?
C’est vrai que Francis Mourey domine outrageusement la discipline depuis quelques temps. Mais je ne pense pas que ça ait pu faire renoncer certains à une carrière de crossman. L’adversité est aussi ce que l’on recherche dans la compétition ! C’est plus l’impossibilité de vivre du cyclo-cross qui les oblige à devoir exister ailleurs. Avoir une structure qui vous accompagne comme peut le faire la FDJ.fr reste très compliqué. Quand il faut se déplacer à ses frais pour faire les plus grandes courses, la situation ne devient plus supportable, comme l’expliquait dernièrement Lucie Chainel sur Vélo 101. Ce n’est pas gérable. Nous avons pourtant de très beaux coureurs, qui remportent des Championnats chez les jeunes. La fédé se doit de les accompagner. L’expérience qu’ils acquièrent sur ces courses sera hyper enrichissante pour l’avenir.

Si les structures manquent, l’investissement de la Fédération Française de Cyclisme est souvent pointé du doigt. Deux filles étaient aux Mondiaux en février dernier, l’impasse a été fait sur la Coupe du Monde de Coxyde…
C’est toujours ou souvent et malheureusement une histoire de budget. Mais je pense personnellement que l’investissement de la fédé n’est pas à la hauteur et qu’elle ne doit pas se dédouaner de ses obligations. On sait que le cyclo-cross nécessite des déplacements et de l’encadrement, 80 % des courses internationales se disputant en Belgique. Certes, il y a un budget à respecter, mais il ne doit pas prendre le pas sur le projet sportif et le projet des sportifs avant qu’ils ne trouvent refuge dans une équipe pro. Pour pouvoir participer aux Coupes du Monde où la fédé a renoncé à se déplacer, les coureurs qui n’appartiennent pas à un team pro ne peuvent s’inscrire à titre individuel !

Dans ce contexte, comment qualifier le choix de Clément Venturini, qui passera pro avec Cofidis et caresse l’espoir de réaliser une « carrière à la Mourey » ?
Clément Venturini a déjà prouvé ses qualités en devenant champion du monde Juniors de cyclo-cross en 2011. Quand on a été titré ainsi, on a potentiellement, avec le travail, toutes les qualités pour continuer à exister au top niveau mondial. Il arrivera à mener de front une double carrière comme Francis Mourey si les objectifs qu’il fixe avec Cofidis sont bien clairs : avoir une structure qui l’accompagne et lui permette de faire les plus grandes courses en cyclo-cross, et avoir un programme sur route suffisamment enrichi pour pouvoir continuer à prendre de la puissance. Il doit être capable de mener deux fronts. Seuls un entraîneur et un environnement d’équipe pourront lui permettre de gérer au mieux ce type de carrière… et être très rigoureux sur le métier : « phase de travail, phase de repos ».

Aujourd’hui, peut-on vivre comme crossman en France ?
Celui qui ne veut faire que du cross ne trouvera pas refuge dans une équipe professionnelle. Quand un sponsor investit auprès d’une équipe, c’est pour être présent avant tout sur la route. C’est là qu’il faut d’abord exister. Maintenant, si le coureur marche sur la route, il pourra se lancer sur le cross. Mais ne vivre que du cross n’est aujourd’hui pas faisable en France. Financièrement, ce n’est pas possible pour un coureur. On l’a vu avec Aurélien Duval, qui a arrêté faute de pouvoir trouver une équipe professionnelle. Le niveau était pourtant là !

On évoque le manque de structures, mais les organisateurs ont aussi leur responsabilité. N’est-il pas regrettable que Francis Mourey ne soit pas davantage invité sur un événement comme le SuperPrestige ?
Il existe un côté protectionniste dans le cyclo-cross. Et malheureusement en Flandre les organisateurs décident de qui ils invitent. Ce sont des organisations privées et des gens comme Francis Mourey ne sont pas tout le temps invités. C’est peu logique mais c’est le propre d’organisations privées. Il est important de continuer à se frotter au haut niveau mondial, mais si on ne sait pas se faire inviter régulièrement en Belgique, peut-être doit-on en France bâtir un calendrier beaucoup plus riche en cyclo-cross ? Quid des déplacements, notre pays étant un peu plus grand en surface que la Belgique, je dirais même que les Flandres car c’est presque là que tout se passe !

En augmentant le nombre de manches du Challenge National ?
Exactement. Aujourd’hui le Challenge National est bien installé mais il n’est pas assez riche en courses avec seulement trois rendez-vous. Je pense qu’on devrait avoir en France beaucoup plus de manches. Ça apporterait plus d’envie, plus de coureurs, de l’émulation… Maintenant attention, j’insiste, la France ce n’est pas la Belgique ! Le cyclo-cross existe de façon très importante en Flandre, qui est un tout petit territoire. Là-bas on court le samedi et le dimanche mais on rentre chez soi après chaque course. En France, les déplacements et les frais engendrés sont importants. C’est toute la complexité de notre pays.