Francis, en 2000, à la fin de votre carrière, vous êtes resté dans le milieu du sport, mais plutôt dans l’encadrement de jeunes cyclistes…
Après une carrière cycliste, la reconversion n’est pas toujours évidente. Quand on est athlète de haut niveau, on a tout le monde autour de nous et quand on arrête, comme dans tous les sports, on est un peu oublié. J’ai arrêté ma carrière à 35 ans et j’ai passé deux années sabbatiques pour bien me reposer, car après une carrière, il faut savoir se remettre à niveau. Ensuite, j’ai passé un an en formation en 2003 pour travailler aux côtés des jeunes en difficulté demandeurs d’emploi. J’ai quitté l’école à seize ans et il fallait que je retrouve quelques bases. J’ai ensuite commencé à exercer en 2004.

Pourquoi avoir opté pour ce domaine en particulier ?
C’est un domaine que je connaissais, car avant de devenir cycliste professionnel, j’étais dans ce genre de milieu. J’aurais bien aimé connaître ce genre de formations et être aidé comme cela. Être éducateur sportif me plaisait, car on reste dans le sport, même si ce n’est plus le sport de haut niveau. On a la sensation d’apporter quelque chose et il y a des résultats derrière.

Le cyclisme de compétition ne vous a pourtant jamais quitté…
Oui, je fais Paris-Nice, Paris-Roubaix et le Tour de France avec ASO. C’est bien, ça permet de garder un pied dans le milieu. C’est un équilibre. Quand je suis chez moi en Picardie, je m’occupe les mardis et mercredis des entraînements des Juniors. C’est une catégorie que j’aime bien, car c’est une catégorie que l’on arrive à gérer. On voit l’évolution des gamins, on peut les faire monter tous les ans. Au Centre de Formation de Condorcet à Saint-Quentin, nous avons chaque année un ou deux gars qui vont en équipe de France et qui marchent.

Après les Juniors, les Espoirs, vous êtes maintenant lié à l’ESEG Douai-Origine Cycles en DN1. Quelles fonctions occupez-vous ?
En travaillant avec Douai, je sais que j’allais retrouver un copain avec Laurent Pillon. Nous avons fait toute notre carrière ensemble. Je veux essayer d’apporter mon expérience pour faire avancer les choses. Je pense que Douai peut progresser de ce point de vue là. Je ne peux pas faire cela à temps complet. Aujourd’hui, je me sens bien dans mon travail. J’ai du temps, mais on ne peut pas tout faire. Je vais bientôt avoir cinquante ans et il ne faut pas se disperser à droite à gauche. Il faut du temps pour la famille. C’est pourquoi je vais devoir laisser de côté certaines activités par manque de temps.

Vous en profitez pour rouler en leur compagnie ?
Jusqu’aujourd’hui oui, je roule, je suis sur le terrain avec eux. C’est aussi pour cela que j’apprécie la catégorie Juniors. Les sorties durent environ trois heures. On peut pousser jusqu’à quatre heures quand il fait beau. Je peux encore me le permettre. J’ai encore le coup de pédale pour suivre des Juniors (il rit). L’année dernière, j’ai fait 8000 kilomètres sur dix mois, car en été, je suis sur le Tour de France en juillet avant les vacances au mois d’août.

Avec quel regard avez-vous assisté aux Championnats du Monde sur piste, marqués par la renaissance de l’équipe de France d’endurance ?
Évidemment c’est du positif. Je suis content de retrouver une équipe de France de poursuite. Ce qui est bien c’est de voir que ces coureurs viennent d’équipe pro. J’avais prouvé, Christophe Capelle également, que l’on pouvait faire le Tour de France et aller aux Jeux Olympiques pour aller chercher une médaille. Toutes les épreuves d’endurance sont compatibles avec la route. Quand on voit ce que Bryan Coquard fait… Je pense qu’il peut donner l’exemple. Quand un coureur pro a des qualités de poursuiteur ou sur le chrono, il doit jouer le jeu sur la piste. Prenez l’exemple des Britanniques par exemple. Certains font partie du Team Sky. On sait aussi comment Bradley Wiggins va préparer les Jeux.

Que leur manque-t-il pour rivaliser avec le haut niveau mondial ?
Il reste encore une marche surtout en poursuite individuelle. J’avais fait 4’16 » il y a quinze ans ! Il y a encore à travailler là-dessus. Un coureur qui veut faire de la poursuite individuelle peut passer un cap en disputant de grandes épreuves comme le Tour de France et ne sera pas loin des médailles et des podiums. C’est encourageant. On est sur un bon élan. Ça peut donner des idées à certains.

Vous avez réussi à mener de front une carrière sur route et sur piste. Les deux mondes semblent s’être réconciliés comme vous le soulignez, mais pendant près de quinze ans, les exemples de routiers se rendant sur la piste se sont faits rares. Pourquoi ?
Je ne pense pas que nous étions beaucoup plus libres. Nous avions un programme établi. Je disputais toutes les grandes épreuves. Toutes les compétitions sur piste intervenaient après le Tour de France, en août. A l’époque, c’était la tournée des critériums. Personnellement, je faisais l’impasse et je me préparais sur la piste. En 1993 par exemple, je termine le Tour de France et je deviens champion du monde le mardi à Stuttgart. Aujourd’hui, ce n’est pas évident. Les Championnats du Monde sont intervenus quinze jours avant Paris-Nice. La poursuite requiert un gros travail, du cardio et donc de grosses épreuves. Une poursuite fin février-début mars, ce n’est pas idéal quand on est coureur professionnel. Si on rate Paris-Nice ou Tirreno-Adriatico, on ne peut pas être présent sur les classiques. Si un coureur pro est en mesure d’être présent sur Paris-Roubaix ou sur le Tour des Flandres, il ne sera pas sacrifié pour la piste. Le problème vient du calendrier.

Aujourd’hui, quel titre vous rend le plus fier, votre titre mondial en poursuite individuelle ou votre titre olympique en poursuite par équipes ?
Ce sont deux titres différents. Le titre de champion du monde est important pour beaucoup de raisons. Pour mes parents, c’était énorme. Surtout pour mon père qui était en fin de vie. C’était une motivation supplémentaire. Ce titre de champion du monde lui a fait énormément plaisir. Par équipes, c’était aussi énorme, car nous étions une vraie bande de copains. On était complices, c’est ce qui nous a fait gagner. On ne cherchait pas à savoir qui était le plus fort ou le moins fort. Nous étions une équipe.

Ce sont ces éléments qui reviennent le plus souvent dans l’esprit des gens quand on mentionne votre carrière ?
On dit souvent que j’étais trop gentil ! Mais si je refaisais ma carrière aujourd’hui, je referais la même chose sur le terrain. C’est dans mon tempérament. En 1992 par exemple, sur Paris-Roubaix je donne ma roue à Gilbert Duclos-Lassalle dans la Trouée d’Arenberg, nous étions échappés ensemble et j’étais super costaud. Je termine 12ème derrière. Ce tempérament, je l’ai encore aujourd’hui. Quand on me donne quelque chose, je les redistribue. Je ne les garde pas pour moi. Je donne beaucoup, c’est ce que j’ai aussi recherché dans mon travail. Je ne cherche pas à être quelque chose que je ne suis pas. Il faut garder les pieds sur terre.