La 28ème édition de la Grande Bouche a toujours généré chez les suiveurs, chroniqueurs et exégètes de tous bords un regard, une attention toute particulière. Tout d’abord, l’épreuve de 1934 correspond à l’accomplissement, à l’aboutissement même de l’épanouissement d’un coursier adulé de l’entre-deux guerres, aussi bien sur la route que dans le cœur du public. Antonin Magne, puisque c’est de lui qu’il s’agit, personnage éminemment énigmatique, s’il en est, parapha de manière magistrale l’esquisse de son succès de 1931 sous la forme d’un triomphe, cette fois-ci, indiscutable et indiscuté. Rarement cité, trois ans auparavant, pour la victoire finale, Tonin le Taciturne démontrera, en pleine affaire Stavisky, toute l’étendue d’un talent pourtant jamais démenti et ce même si la versatilité légendaire du bon peuple Français n’est plus à vanter. Par ailleurs, cette kermesse de juillet 1934 sera le théâtre de l’éclosion puis de l’avènement d’un jouvenceau pétri de classe d’à peine 20 printemps, René Vietto. Le Roi René, auteur d’une 22ème place lors de son premier Giro à 19 ans, fit étalage de toute la palette du champion en devenir. Montagnard de haute lignée, le coureur méridional, cabochard en diable mais pitre émérite, fut pour beaucoup dans le succès sans appel d’Antonin Magne en cette année de premier sacre de la Squadra Azura lors d’un Mondial de football qu’elle organisait chez elle. Ce Tour de France fut également l’occasion d’assister à l’éclaboussante hégémonie de la formation tricolore et de son emprise gargantuesque, ou peu ou prou, sur le cyclisme planétaire de ces années-là. Enfin, côté direction de course, Henri Desgrange instaurera le premier contre-le-montre individuel ainsi que le classement distinctif du meilleur escaladeur à savoir, le Grand Prix de la Montagne. Ajoutez à cela des bonifications beaucoup moins drastiques que de coutume, un nivellement des valeurs et un traitement plus équitable concernant les coursiers individuels ou isolés par rapport aux nationaux, et vous aurez un panel d’ensemble assez significatif de la mutation, toujours en effervescence, de la plus importante épreuve internationale.

Il serait néanmoins réducteur, présomptueux et osé de mettre en exergue, avant les prémisses des hostilités, l’implacable chape de plomb bleu-blanc-rouge qu’autorise l’inaltérable domination des Français sur l’épreuve chère à Géo Lefèvre. En effet, la participation est tout, excepté illusoire, et l’adversité des plus exogènes devrait tendre à inverser la tendance, teintée d’un soupçon de franchouillardise aigue des plus avertis. Il faut bien avouer toutefois que le clan tricolore a fière allure. Aux côtés de Tonin le Taciturne et du Roi René déjà cités, figurent entre autres le Placide, Roger Lapébie, qui, lui, connaîtra son heure de gloire trois ans plus tard, le Nabot, ce diable de Maurice Archambaud, premier lauréat des Nations et futur recordman de l’Heure, et le Roi de Montlhéry, Georges Speicher, vainqueur sortant et affublé, pour l’occasion, d’un maillot irisé du plus bel effet. La concurrence sera essentiellement à chercher, comme de coutume, du côté des Belges et des Italiens. A ce propos, ce sont les deux seules nations, outre la France, à disposer chez les ténors d’une Nationale, et ce même si les représentants d’outre-Rhin auront également le privilège d’aligner huit compétiteurs. Les Espagnols et les Suisses, quant à eux, feront cause commune au sein d’une même formation où Vicente Trueba et à un degré moindre Mariano Canardo, voire l’Helvète Albert Buchi, auront les faveurs des pronostics.

Les Belges, emmenés par le duo infernal Félicien Vervaecke et Silvère Maes, annoncent des lendemains qui peuvent s’avérer douloureux pour l’équipe de France, même si le Père Futé, à 24 ans, apparaît encore un peu tendre. Le seul problème, pour les deux représentants d’outre-Quiévrain, est qu’ils ne forment nullement l’ossature de la formation de leur pays mais qu’ils ont été reversés chez les individuels au sein desquels fourmille une pléiade de coursiers dont l’altruisme n’est pas sensément la vertu première. Quant aux Belges, proprement dit, ils bénéficieront de la présence d’un futur lauréat de la Grande Boucle (1935) et homonyme du Père Futé, Romain Maes. Enfin, les transalpins joueront la carte de l’excellent escaladeur Giuseppe Martano mais plus sûrement celle des baroudeurs Adriano Vignoli et Eugenio Gestri, ou encore Ambrogio Morelli, membre pour sa part de la cohorte des individuels.

Pour les bonifications, outre celles concernant les étapes en ligne, de nouvelles seraient attribuées aux sommets des cols. Henri Desgrange subodorait à juste titre que les chamois voltigeurs, véritables poids plumes des cimes, étaient par trop désavantagés par rapport aux puissants rouleurs dès que les déclinaisons s’évaporaient. Ces dynamiteurs de pentes basculaient presque immuablement en tête des cols mais trop rares étaient les fois où ils bénéficiaient encore d’un avantage, ne serait-ce que substantiel, en bas de la descente. Dans la même optique, les chocolats Meunier, qui faisaient office depuis 1930 de parraineurs en chef des montagnards en distribuant des primes aux plus assidus d’entres eux, se verront allouer un Grand Prix à leur nom. Le Grand Prix de la Montagne était né. Enfin, après avoir satisfait aux exigences et souhaits des routiers-sprinters et des grimpeurs, demeurait une caste de coursiers dont on faisait peu de cas depuis la nuit des temps, à savoir les rouleurs patentés. Depuis 1932, Gaston Benac et Albert Baker d’Isy, journalistes attitrés du quotidien Paris-Soir, avaient fomenté puis élaboré avec audace puis succès le Grand Prix des Nations, long contre-la-montre de 142 bornes entre Versailles et Montrouge. Cette épreuve atypique fournit alors l’occasion rêvée au perspicace et opportuniste, pour la circonstance Desgrange, de contenter tout son monde en intronisant dès 1934 le premier contre-la-montre individuel de l’ère moderne. Celui-ci aurait lieu deux jours avant l’arrivée à Paris, entre La Roche-sur-Yon et Nantes, distant de 90 bornes. Pour la petite histoire, on notera l’absence très remarquée, à l’aube du 3 juillet devant le siège du journal L’Auto, de l’inénarrable Dédé. André Leducq, double lauréat de l’épreuve en 1930 et 1932 fut tout d’abord évincé de l’équipe de France par le boss pour une question de sous au profit de Charlot. Le pétillant audonien ne s’en laissa pas compter et opta pour la formation Mercier dirigée par le Grand. Hors, entre Francis Pélissier et Henri Desgrange, l’animosité était toujours palpable voire implacable à tel point que c’est au volant d’une luxueuse décapotable que Dédé assistera au départ de la 28ème édition du Tour de France. Cette anecdote fera d’ailleurs les choux gras de la presse dont le Petit-Journal et Paris-Soir.

Les tricolores ouvrirent les hostilités dès le départ. Fidèle à un adage toujours très usité de nos jours, la meilleure défense est encore l’attaque, l’équipe de France embraya d’entrée et, à défaut de surprendre son monde, fit très mal, mais alors très mal, aux formations balbutiants encore l’homogénéité de leur force collective. La démonstration s’avère édifiante. Après un premier succès de Speicher à Lille, où le Nabot avait triomphé un an auparavant, c’est Le Grevès qui remet le couvert à Charleville, lors de la deuxième étape. Tonin le Taciturne, dauphin du Parisien, revêt la tunique jaune immaculée de leader de l’épreuve. Loin d’être rassasiés, les hommes du Boss poursuivirent avec le même enthousiasme, le même appétit de prédateur, leur boulimie de succès. Ainsi, Roger Lapébie bissera à Metz et Belfort tandis qu’à Evian, Le Grevès et Speicher se partageront les lauriers de la victoire car arrivés dans le même temps. Si l’on ajoute la nouvelle victoire du champion du monde à Grenoble, on aura un aperçu de la mainmise gloutonne des bleu-blanc-rouge sur la kermesse de juillet. Néanmoins, cette débauche d’énergies et de sacrifices ne se déroulera pas sans heurt ni malheur. En effet, le clan tricolore abandonna prématurément sur le bord de la route le Nabot, victime d’une fracture de la clavicule à Belfort, et le sprinter-maison et leader de l’équipe Charles Pélissier, malade à Evian, aux pieds des Alpes.

A la veille de monter le Galibier pour une arrivée à Grenoble, terme de la septième étape, Antonin Magne possède un matelas conséquent de près de huit minutes sur le transalpin de la Squadra Giuseppe Martano. C’est exactement en ces lieux divins qu’un Cannois ombrageux et belliqueux à la pédalée onctueuse, à l’assise parfaite, aux déhanchements de ballerines, en un mot, au style d’une élégance rare, allait forger les premiers exploits d’une légende dont Louis Nucera nous narrera avec brio et passion les grandes lignes dans une œuvre dédiée au méridional. René Vietto, bientôt idole de tout un peuple pour les raids solitaires voire suicidaires qu’il entreprenait, et adulé comme rarement dès qu’il côtoya le firmament de la notoriété, fut affublé du pseudonyme significatif de Roi René. Ce dernier allait bientôt éclabousser de sa classe et de son altruisme le cyclisme de ces années-là. Apôtre de la Joconde, il va jusqu’à l’imiter dans sa façon d’être et de paraître, à tel point qu’un jour il se fend de cette réflexion pour le moins flatteuse à l’égard du transalpin : « Alfredo Binda est le plus grand de tous. Un styliste incomparable. Il pouvait partir dans une course avec un bol de lait sur le dos. Quand il arrivait le bol était encore plein. Aucun déhanchement. Nulle contorsion. Il ne faisait qu’un avec sa machine. L’élégance. La pureté. Un artiste. La beauté en action sur un vélo. »

Lors de cette étape Aix-les-Bains-Grenoble, les coursiers devaient emprunter le Galibier, toit du Tour, toujours appréhendé par la face nord, la plus ardue, à cette époque. Sous le tunnel qui jouxte le sommet, le lilliputien ibère de service, Ezquerra, bascule en tête, bientôt suivi pas René Vietto. Le virevoltant tricolore absorbe sa proie dans la descente vers l’Oisans puis l’abandonne à ses trajectoires olé, olé pour gagner Grenoble en vainqueur trois minutes devant son compatriote et Maillot Jaune Antonin Magne et l’Italien Giuseppe Martano, dauphin de ce dernier. Le Roi René remit le couvert sans attendre le surlendemain à l’occasion de la neuvième étape Gap-Digne. René Vietto prit son envol dès le col de Vars où il fit montre d’une facilité déconcertante voire insolente. Derrière c’est l’hallali. Tous sont logés à la même enseigne. Le Cannois caracole en tête sans faiblir, bien au contraire. Impitoyablement, il franchit le col d’Allos dans la foulée, nanti de la même détermination et doté de la même impression de facilité. A Gap, il assomme un peu plus la concurrence. Trueba limite la casse à moins de trois minutes tandis que la doublette Magne-Martano débourse la bagatelle de plus de six minutes. Finalement, la chance de ces derniers a été de profiter, bien involontairement d’ailleurs, de la crevaison de Vietto lors de la première étape. En effet, cet incident de course rejettera le méridional dans les profondeurs du classement mais surtout il accumulera en la circonstance un retard conséquent et rédhibitoire.

Après le triplé de René Le Grevès, sur les routes ensoleillées de l’arrière-pays niçois, le peloton prenait la direction de Cannes. La Turbie ferait office de juge de paix au même titre que les cols de Braus et de Castillon. Ces routes vallonnées et escarpées sont très prisées de notre voltigeur des sommets. Vietto en connaît tous les coins et recoins. Ce sont ses lieux d’entraînement et le public chaleureux et enthousiaste de la région le sait mieux que quiconque. Il est venu en grand nombre encourager le minot, il ne tombera pas sur un ingrat. A l’instar de ses deux apparitions lors des étapes alpestres, René Vietto écrabouillera la concurrence. Le Roi René se présentera au bout de la Croisette, inondée d’une foule de fanatiques bons enfants et hilares, tel un conquistador. Ce feu d’artifice, ce panache, cette outrageuse domination, n’a évidemment pas laissé indifférents journalistes, suiveurs et inconditionnels du vélo de tous poils, à la fois stupéfaits et estomaqués de tant de maturité à un si jeune âge. Toujours est-il que le leader Antonin Magne ne relâche en aucun cas son attention. Son principal souci étant le représentant italien, l’Auvergnat s’acheminait, cahin-caha, vers les Pyrénées toutes proches, dernier bastion de la rébellion.

Ces Pyrénées seront le théâtre de ce qui fait que le Tour est une épreuve à nulle autre pareille. La légende est en marche, ce qui va suivre marquera d’une empreinte indélébile tous les acteurs et suiveurs présents. L’étape Perpignan Ax-les-Thermes se déroule idéalement pour Tonin. Le passage au sommet du Puymorens se passe sans incident notoire et en compagnie de Martano, invariablement vissé à son porte-bagages. Le natif d’Ytrac aborde alors la descente en direction de l’Hospitalet. Soudain, le Français, pour des raisons troubles et inexpliquées, perd le contrôle de sa machine et chute lourdement sur le macadam. Plus de peur que de mal, néanmoins, pour le coureur, excepté que la jante en bois de sa roue s’est brisée sur un rocher. Pendant ce temps-là, Martano n’a pas demandé son reste et file tel un voleur de grand chemin vers Ax. Vietto est le premier à dépanner son capitaine de route, en pure perte, néanmoins, la roue du méridional n’étant pas dotée du même axe, celle-ci refusa de s’emboîter. C’est finalement le champion du monde Speicher qui mit fin à l’interminable attente en lui cédant sa monture. Aidé de ses compatriotes et après une poursuite impitoyable, Antonin Magne ne déboursera en tout et pour tout que 45 misérables secondes à l’Italien, par ailleurs copieusement conspué.

Le lendemain, les rescapés de cette 28ème édition prennent la direction de Luchon. La chaleur étouffante qui règne sur ce Tour est toujours présente et pèse sur les organismes déjà passablement entamés. Dans les premiers lacets du col de Port, le jeune espoir Renaud prend la poudre d’escampette. A Saint-Girons, son capital temps est de près de trois minutes sur un peloton amorphe toujours groupé. A moins de 100 bornes de l’arrivée, dans les rampes abruptes du Portet d’Aspet, un contre énergique se dessine à l’arrière. Vignoli, âme damnée de Martano, joue les filles de l’air à l’intention de son leader, qui ne pipe mot, toujours scotché à la roue de l’Auvergnat. Au somment du Portet d’Aspet, Renaud bascule seul en tête devant Vignoli dans l’aspiration. Ce dernier précède alors Vietto et Gyssels de plus d’une minute, Martano et Geyet de deux minutes. Magne, accompagné de Lapébie, Vervaecke, Morelli, Maes et Franzil pointe 20 secondes derrière le leader transalpin. Dans la descente, le Roi René attend Tonin le Taciturne, qui se colle à la roue arrière du Cannois. Requinqué, Magne laisse filer Vietto à l’avant. La descente se poursuit sans heurt ni malheur. Pourtant, au bas de celle-ci, un nid de poule se présente devant la roue avant de l’Auvergnat comme par enchantement. Sous l’effet du choc violent et assourdissant, la chaîne a littéralement explosé. Non seulement elle a sauté de son support mais, comble de malchance, les maillons la constituant sont inexorablement et définitivement vrillés. Un long silence suit le drame qui se noue.

Antonin Magne, le visage décomposé d’où perlent quelques larmes, demeure interdit, prostré le long de la route sur laquelle défilent toujours les retardataires insensibles à la détresse du persécuté. Vietto, qui ne soupçonne apparemment pas le moins du monde ce qui se passe à l’arrière, est loin devant. Quant aux autres tricolores, ils évoluent au trente-sixième dessous, à des années-lumière de la tête de course. Tout est perdu, se dit alors Tonin. Malheureux, dépité et l’amertume à fleur de peau, l’Auvergnat contemple une dernière fois son beau et futile dorénavant Maillot Jaune. Mais alors qu’il s’apprête à rebrousser chemin, Tonin aperçoit une silhouette pédestre qui remonte la pente dans sa direction. Le flou s’estompe à mesure que l’homme se rapproche. Soudain, le visage du Maillot Jaune s’éclaircit. On voit alors poindre une esquisse de sourire puis ses yeux s’embrument de larmes. Le Roi René, petit bonhomme altruiste et bourré d’un talent naissant, rejoint bientôt son compagnon d’infortune et lui offre gracieusement sa bicyclette. Le conciliabule qui s’ensuivra demeurera leur secret. Toujours est il qu’Antonin Magne, accompagné de Roger Lapébie, revenu de l’arrière, se lancera dans une poursuite effrénée et qu’il ne tardera pas, toute hargne dehors, à recoller au groupe de tête sous les yeux incrédules d’un Martano dépité. A l’arrière, le pauvre Vietto, attendant en vain une assistance qui ne viendra que très tardivement, sanglote et pleure, la tête entre ses mains tremblantes, une victoire d’étape à Ax-les-Thermes, qui lui était promise, ainsi qu’une probable troisième place sur le podium à Paris.

A l’arrivée, le soir, les louanges et messages d’admiration adressés au Roi René à propos de son dévouement sans borne, de son don du sacrifice, firent évidemment la une de toute la presse du lendemain. Un plébiscite légitime en faveur du Cannois tel que l’Auvergnat ne tardera pas à prendre ombrage. Il se promit d’inverser la tendance dans les prochains jours. Tonin, monstre d’abnégation et d’orgueil, fit tout exploser dès l’étape de Luchon-Tarbes du lendemain. Dès Peyresourde, il atomisera le peloton. Martano, un moment dans sa roue, perdit pied sous les coups assénés avec rudesse par l’Auvergnat. Le Maillot Jaune transcendé poursuivit son envolée, nanti d’une volonté farouche de clouer le bec à ses détracteurs. Au sommet, il précédait son dauphin au général d’un peu plus d’une minute. Peu enclin à ralentir, Magne accéléra encore dans la descente. La vallée, il l’absorbera tel un contre-la-montre en position bec de selle. Le col d’Aspin se présentera alors. Tonin, coureur d’expérience, l’appréhendera avec une sobriété déconcertante. Montant au train sans à-coup, à son rythme, régulier et linéaire. Seul Trueba fera illusion sur Aspin lorsqu’il passera à une vingtaine de secondes du Maillot Jaune au sommet. Mais le sage et rusé Antonin Magne en avait gardé sous la socquette à l’inverse du Transalpin. Si bien que sous la banderole d’arrivée à Tarbes, l’Auvergnat coupera la ligne plus de six minutes devant Trueba. Quant à Martano, en perdition, il se présentera plus de treize minutes après notre héros du jour. Un camouflet. La messe était dite.

Le lendemain, Vietto poursuivra son festival et après un raid solitaire dont il avait le secret, terminera en solitaire à Pau et s’installera définitivement à la 5ème place du général. Tonin le Taciturne, pour sa part, enfoncera le clou en dominant aisément le premier contre-la-montre de l’Histoire de la Grande Boucle. A cette occasion, l’Auvergnat devancera Lapébie de plus d’une minute sur les 90 bornes entre La Roche-sur-Yon et Nantes. Finalement, Antonin Magne remportera son deuxième Tour de France en ayant porté la tunique jaune dès le deuxième jour, avec une demi-heure d’avance sur Giuseppe Martano et plus de cinquante minutes sur Roger Lapébie. Le mot de la fin sera l’œuvre de Georges Briquet qui, répondant à ceux qui pensaient que sans ses sauvetages inespérés le Roi René aurait remporté ce Tour, analysera : « Vietto a pris la 5ème place du général avec une heure de retard sur Magne et il n’a jamais été en mesure de conquérir le maillot. Son retard a toujours été de 30 à 40 minutes, et même de plus d’une heure. Mais une légende vient de naître, on n’osera pas y toucher, elle est si émouvante ! »

Celui dont la phrase mythique restera gravée dans les mémoires (« mais qui parle d’abandonner ? Un Vietto n’abandonne pas, il se retire… ») ne sera jamais en mesure de remporter le Tour de France (2ème en 1939 et encore 5ème en 1947) mais demeurera dans le cœur des Français comme un homme hors du commun.

Michel Crepel