Ces athlètes-là ne se brûleront jamais sous le feu des projecteurs. Et pourtant la performance qu’ils réalisent au quotidien en juillet en font des champions à part. Chez Doublet, l’entreprise partenaire technique du Tour de France depuis 2002, ce sont 70 équipiers qui œuvrent aux aurores pour transformer une route banale en site d’arrivée de la plus grande course cycliste au monde, puis au crépuscule pour effacer le passage du Tour. Rompus au travail de l’ombre, ces jeunes hommes, essentiellement étudiants issus de filières sportives, sont chargés de l’installation et de la sécurisation de la ligne d’arrivée. Un boulot phénoménal réalisé par un groupe de jeunes gens volontaires, motivés et courageux. Car si le Tour prend parfois l’allure d’une joyeuse colonie, leurs conditions à eux sont des plus spartiates, leur labeur colossal.

Christophe Sepieter est coordinateur général de l’équipe Doublet sur le Tour : « physiquement, ce sont des jeunes qui tiennent la route et qui, surtout, s’intéressent à l’événement. C’est primordial, ça signifie qu’ils portent un intérêt au travail qu’ils font. » Sélectionné comme les autres sur ce critère de motivation et sur ses compétences physiques, Thibaut Huvelle, 23 ans, suit un Master spécialisé en Sport Business. Depuis cinq ans, il est de ceux qui habillent aux couleurs du Tour le dernier kilomètre des étapes. « On se lève vers 5h30, indique-t-il. Tout doit être monté en quatre heures. » Tout, ce sont 450 barrières de 35 kg, 32 potences métriques de 50 en 50 mètres dans les 500 derniers mètres, des marquages au sol de 20 m² pièce disposés en fonction des caméras, le tout produit par Doublet et sous la supervision de Jean-Louis Pagès. Avec un objectif : satisfaire le client au mieux tout en respectant les normes de sécurité.

« Notre plus grande source d’inspiration, ce sont nos clients, relate Christophe Sepieter. Ce sont eux qui sont à la demande d’une création et qui nous fournissent une idée. Nous mettons ainsi en œuvre nos bureaux d’étude pour sortir des produits intéressants. » C’est le cas des barrières conçues pour le Tour du Centenaire en 2003 et placées dans les derniers hectomètres. Des barrières propres à l’événement qui ont été réalisées par Doublet à la demande d’ASO, dans le but de résister à un effondrement sous le poids des spectateurs. Ce sera aussi le cas de prototypes actuellement à l’étude pour améliorer et la sécurité et la visibilité des partenaires.

Chaque matin à l’aube, donc, la ligne d’arrivée prend forme et la route privatisée devient pour de bon la route du Tour de France, où que s’arrête la course. Barrières sur l’épaule de bon matin, les équipiers s’affairent dans la bonne humeur. « Les premiers jours, on a des courbatures, ça tire, et puis très vite ça passe et on prend le rythme », affirme Paul Antanossian, 21 ans, en Licence Comptabilité Finance. Et le rythme, il est costaud ! La ligne montée, les athlètes matinaux se retirent dans leurs quartiers situés aux abords de la ligne d’arrivée, en fait deux bus-dortoirs relativement isolés du brouhaha et dont les sièges se muent en couchettes de fortune. C’est le repos des braves, chacun à son rythme. « Il y a ceux qui dorment tout l’après-midi et ceux qui préfèrent faire un somme puis se balader dans la ville », précise Thibaut Huvelle.

Le répit sera de courte durée. Une fois la course terminée, le dernier coureur ayant franchi la ligne d’arrivée, le démontage est immédiat. Sans perdre une seconde, toutes les structures installées sont retirées. Les engins de manipulation s’activent, les camions se gorgent de barrières métalliques et les zones privatisées sont rouvertes de manière méthodique jusqu’à ce que la ville retrouve son décor traditionnel. Le passage du Tour de France s’évapore progressivement. Bientôt, il n’en restera plus la moindre trace, si ce n’est un souvenir sous forme de mirage. Déjà, les équipiers Doublet sont en route pour la prochaine ville-étape. « C’est là le plus dur, confie Thibaut Huvelle. Quand on roule le soir en position assise en direction de la ligne suivante. » Les bus atteindront le site aux alentours de minuit. De quoi laisser une courte nuit de récupération aux dévoués garçons, solidaires et festifs dès que l’occasion se présente.

Demain, il faudra recommencer. Et s’adapter aux exigences du temps et du terrain. « La principale difficulté, ce sont les impondérables climatiques, ces choses auxquelles on ne s’attend pas et qui nous tombent dessus », souligne Christophe Sepieter. L’orage violent qui s’était abattu sur la station des Rousses après l’arrivée de la course il y a trois ans a marqué les esprits de tous. L’eau qui avait alors ruisselé le long des pentes était parvenue à faire flotter des barrières de 35 kg ! « A Barcelone un an plus tôt, les gars avaient dû monter la ligne en côte et sous la pluie du matin au soir. Au Ventoux la même année, il avait fallu composer avec un vent à 85 km/h qui nous avait contraints de ne monter que le strict minimum, quand c’était déjà compliqué ! » Quand le Tour s’achève à Paris, ce peloton a autant de mérite que celui qui parade sur les Champs !