23 ans que la France attend son nouveau Frédéric Guesdon. 27 ans que la France attend son nouveau Gilbert Duclos-Lassalle. 29 ans que la France attend son nouveau Marc Madiot. Effectivement, sur « l’Enfer du Nord », les tricolores ne gagnent plus, ne brillent plus, n’existent plus depuis ne trop nombreuses années. Il faut même remonter à la seconde place de Sébastien Turgot en 2012 pour retrouver trace d’un français sur le podium. Sur le Tour des Flandres, le bilan n’est pas meilleur. Depuis l’exploit de Jacky Durand en 1992, seul Sylvain Chavanel est parvenu à hisser le drapeau bleu-blanc-rouge sur le podium de l’épreuve. Ainsi, si la dernière décennie a vu les coureurs français exploser en montagne, revenir au premier plan des classements généraux, jouer de nouveau la gagne sur certains monuments, les classiques pavées restent leur chat noir. Alors chaque apparition française remarquée sur les courses juniors et espoirs associées à ces épreuves mythiques sont scrutées de près par les observateurs, mais les jeunes pépites finissent toujours par marquer le pas lors de leur entrée dans le monde professionnel. Quid de Guillaume Millasseau, second de l’édition 2017 de Paris-Roubaix Espoirs ? Quid de Jérémy Lecrocq et Corentin Ermenault, tous deux troisièmes du Ronde Espoirs en 2016 et 2017 ? Quant à Tanguy Turgis, 3e de Paris-Roubaix Junior en 2016, le malheureux a dû mettre brutalement fin à sa carrière en 2016, à cause d’une malformation cardiaque. Dans cet océan de promesses, seul Florian Sénéchal, triomphant de « l’Enfer du Nord » Junior en 2011, semble encore en lice dans la course au pavé. Voici donc le portrait du dernier des « Flahutes » français. Florian Sénéchal sous le maillot de la Deceuninck Quick-StepFlorian Sénéchal sous le maillot de la Deceuninck Quick-Step | © Deceuninck Quick-Step

Son parcours :

Dès sa naissance, Florian Sénéchal était prédestiné aux pavés. En effet, mis au monde à Cambrai, le nordiste grandit sur des terres imprégnées par le cyclisme, marquées d’une immense ferveur populaire pour la Petite Reine et son épreuve fétiche, le Paris-Roubaix. Course d’un autre-temps, se refusant au commun bitume pour franchir ce qu’il reste de secteurs pavés, elle malmène les hommes et les corps dans un amas de poussière infâme. Entre deux rangées de spectateurs fascinés par l’évènement, chaque cycliste lutte pour trouver la meilleure trajectoire, le meilleur passage entre les pavés, pour limiter les affreux tremblements éjectant par petites secousses les hommes de leurs machines. Dans un sport réglementé par la loi du peloton, des trains de sprints et des grosses cylindrées, « l’Enfer du Nord » rend quasiment impossible toute tactique prédéfinie, toute gestion omnipotente de la course, pour réinstaurer une fois par an la loi du plus fort. Bref, chaque saison au mois d’avril, le Nord vit au rythme d’une épreuve unique et monumentale, ramenant le cyclisme à son essence d’autrefois, déchaînant les passions des populations locales sur les routes, et du monde devant son écran.

Dès lors, la tradition bien inculquée dans l’esprit du jeune Florian, celui-ci chevauche rapidement sa bicyclette aux côtés de son père, d’abord à VTT, puis très vite sous licence sur la route. Le gamin n’a que 9 ans, et s’avère rapidement brillant. Dès ses premiers tours de roues chez les benjamins, il goûte en effet à la saveur unique de sa première victoire, la première d’un palmarès destiné à s’enrichir considérablement. A 16 ans, en 2009, c’est sur la France qu’il règne, en s’adjugeant la tunique tricolore chez les cadets, preuve de la précocité du bonhomme. Surtout, celui-ci ne s’arrête pas en si bon chemin. Si la hiérarchie est régulièrement bouleversée lors des passages successifs de cadets en juniors et de juniors en espoirs, Florian Sénéchal continue de faire parler de sa force « d’animal », dont il tire désormais son surnom.

Inévitablement doué sur les pavés, qu’il fréquente depuis ses débuts, le jeune garçon se rêve en triomphateur de Paris-Roubaix. Multipliant les reconnaissances et les passages sur les mythiques secteurs pavés du monument, il fait de « l’Enfer du Nord » l’objectif principal de sa seconde saison chez les Juniors. Déchaîné le jour J, surmotivé par l’enjeu, il s’envole à Camphain en Pévèle, pour s’imposer en solitaire sur le vélodrome de Roubaix, devant son compatriote Alexis Gougeard. Dès lors, Florian Sénéchal ne se cache plus. Il veut régner dans le domaine. A ce titre, conforté par un succès de renom au Keizer der Juniores, référence des flandriens en herbe, le nordiste se détourne des formations françaises pour intégrer l’équipe réserve d’Omega Pharma Quick-Step, qu’il supporte depuis toujours. Espoir dans une écurie spécialiste des classiques pavées, le français ne peut pas rêver mieux pour poursuivre sa progression dans la matière. Vainqueur en solitaire de Bruxelles-Opwijk dès le début de sa première saison dans la catégorie, le cambrésien se distingue ainsi dans une épreuve d’ordinaire accaparée par les belges. Neuvième de Paris-Roubaix Espoirs dans la foulée, il est recruté au mois d’août comme stagiaire au sein de la formation mère de Patrick Lefévère. Resté sur le pas de la porte à l’intersaison, il rejoint le monde professionnel grâce à la promotion de l’écurie réserve, renommée Ettix-INHed. En dépit de quatre victoires et de nombreux accessits, le nordiste échoue à nouveau à rejoindre l’équipe World Tour en fin de saison, et se résigne alors à revenir en France, en signant au sein de l’équipe locale, Cofidis, plus axée que ses consœurs sur les classiques flandriennes, et à forte consonnance belge.

Découvrant ainsi l’élite du haut de ses 21 ans, Florian Sénéchal y joue la plupart du temps l’ingrat rôle d’équipier au service de ses aînés, mais sait aussi saisir sa chance lorsque carte blanche lui est donné. Meilleur jeune de la Tropicale Amissa Bongo à l’entame de la saison 2014, il réussit aussi d’excellences boucles de la Mayenne, en frôlant la victoire sur le prologue inaugural. Cette première saison discrète mais solide le propulse ainsi sur les courses du World Tour en 2015, où il continue d’officier en tant que gregario de luxe. Son dévouement et la qualité de ses prestations en protection de ses leaders lui offre ainsi une merveilleuse sélection pour la Grande Boucle, qu’il parcourt et termine dans l’anonymat.Florian Sénéchal sous le maillot du Team CofidisFlorian Sénéchal sous le maillot du Team Cofidis | © Facebook de Florian Sénéchal

Ses talents de « flahute » lui permettent alors de disposer de davantage de libertés sur les classiques pavées de la saison 2016. Troisième du Samyn au début du mois de mars, le français s’illustre également lors d’A Travers les Flandres, où il termine dans le top 10 du classement général. De même, ses capacités à passer les monts belges le propulse sur les devants de la scène au cours du Tour de Wallonie, à l’été. Une dernière saison de la même teneur chez les rouges et blancs, entre accessits sur les classiques et remarquables prestations d’équipiers finit par convaincre Patrick Lefévère de le laisser enfin rejoindre sa formation à l’intersaison, réalisant ainsi le rêve d’enfance du Cambrésien.

Porté par le collectif monstrueux du Wolfpack, profitant de rôles changeant pour dynamiser les courses et recevant les précieux conseils de Tom Steels, son nouvel entraîneur, Florian Sénéchal voit ainsi sa carrière décoller. S’il continue de jouer la plupart du temps le gregario, il sait aussi mettre à ses fins une hiérarchie d’équipe plus ouvertes sur certaines épreuves, à l’instar de sa seconde place sur A Travers les Flandres, juste derrière son co-équipier et compatriote Rémi Cavagna. Acteur prépondérant de la victoire d’Elia Viviani au classement par points du Giro 2018 en tant qu’élément fondamental de son train, le nordiste revient aux premiers plans lors des classiques de fin de saison, où il ne manque pas d’enrichir sa collection de places d’honneur.

Conforté par ces solides performances dans la formation belge, Florian Sénéchal se révèle alors aux yeux du grand public au cours de l’année 2019. Vainqueur du Samyn en début de saison, le français s’adjuge par la suite une splendide sixième place sur Paris-Roubaix en réglant le sprint d’un peloton des favoris battu par le brio de Philippe Gilbert. En effet, si la place est déjà honorable, le nordiste a dû se résoudre à protéger son leader du retour de ses concurrents, ne le laissant pas réellement aller au bout de ses efforts. Aligné de nouveau sur le Giro, le français sait profiter d’un Elia Viviani moins en forme que la saison passée pour se mêler au gratin des sprinteurs-puncheurs quand il en a l’opportunité, comme en témoignent ses deux tops 5 de prestige, récoltés à Frascati et Santa Maria di Sala. Son retour à la compétition à l’été s’effectue d’ailleurs sur le même ton, le nordiste faisant parler sa puissance pour enchaîner les accessits en sprint. Son podium sur le Tour de l’Eurométropole à l’automne le souligne à nouveau. 

Son statut aujourd’hui :

Ainsi, s’il manque au français le punch supplémentaire, nécessaire à une collecte plus fructueuse de succès, sa capacité à passer correctement les courtes montées, son aisance sur les pavés et son assurance à frotter dans les pelotons groupés des arrivées au sprint lui ont permis de se hisser dans les hauts des tableaux au cours des dernières années. Si Florian Sénéchal ne sera jamais un grand sprinteur, ni même un puncheur de renom, sa polyvalence et sa force en font un candidat de choix pour les courses d’usures. S’il est encore étouffé par une concurrence rude au sein de son équipe, régulièrement mis au service des sprinteurs de sa formation, le nordiste devrait parvenir à se faire sa place dans le collectif belge dans un avenir proche grâce à sa progression continue et son expérience croissante. En effet, s’il a longtemps joué l’équipier au service de ses aînés, à la vue de ses récents résultats, son heure ne devrait pas tarder. Jusqu’à lever les bras sur Paris-Roubaix ? Pourquoi pas !

Par Jean-Guillaume Langrognet