Professionnel de 1994 à 2003, vainqueur d’une étape du Tour de France au lac de Madine en 1996, Cyril Saugrain est aujourd’hui responsable du développement des partenariats techniques chez b’Twin. Un vendredi sur deux, il nous livre sa chronique.

Cyril, depuis un an et demi, Andy Schleck cumule les déboires. D’abord, croyez-vous son retour au premier plan possible ?
Je l’espère fortement pour lui. On sait que c’est un coureur de grande classe. Après, c’est toujours compliqué quand on vient de passer une année et demie comme la sienne. Andy Schleck est un coureur qui a besoin d’évoluer dans un entourage de confiance et aujourd’hui je n’ai pas l’impression qu’il soit dans cette situation. Les gens qui l’entourent ne lui apportent pas la sérénité dont il a besoin, si bien que j’ai plutôt l’impression qu’il est dans le doute. Il lui faut retrouver le chemin de la réussite, mais c’est très compliqué.

Se sentant affaibli en février, il a privilégié l’entraînement à la compétition, dont il a bouclé hier à Camaiore sa première course depuis avril 2012 (dans le gruppetto à 5’30 »). Etait-ce un choix judicieux ?
C’est un élément qui me fait douter de sa capacité à revenir en forme rapidement. De ce qu’on sait de lui, Andy Schleck est un coureur qui a du mal à faire le métier, à s’entraîner fort chez lui quand il n’y a pas de compétition. La phase hivernale est l’une des plus compliquées pour un coureur, parce qu’on est seul, qu’il n’y a pas de course. Une fois que le foncier est fait, on est tout le temps en course et ça simplifie les choses. Maintenant prendre le rythme de la compétition en début de saison est super important, ne pas finir une course dans les roues est problématique. Ne pas être capable, pour un coureur de son niveau, qui a fini trois fois sur le podium du Tour de France, une fois sur celui du Giro, de suivre le peloton sur une course comme le Tour Med soulève quand même de grosses interrogations. Abandonner une course pour rentrer chez soi faire le métier, à moins d’être suivi de près, ce n’est sans doute pas judicieux le concernant, à l’inverse d’un Alberto Contador resté chez lui et parvenu à rester compétitif.

A partir de quand l’absence de progrès d’Andy Schleck deviendra-t-elle franchement problématique ?
Sa saison, en règle générale, Andy Schleck la commence vraiment à Liège-Bastogne-Liège. Or la doyenne des classiques, c’est dans deux mois ! Et quand on n’est pas capable de suivre au Tour Med, c’est compliqué. Rapidement, il va lui falloir réussir à finir les courses. C’est un coureur pétri de classe mais pour qu’il devienne le champion que tout le monde attend, il va devoir faire le métier correctement. C’est désolant de voir qu’un coureur comme lui, qui a fini sur les podiums de Grands Tours, qui a gagné Liège-Bastogne-Liège, une course que j’étais déjà heureux de terminer, n’est pas capable de finir une course dans les roues. Soit il y a un problème physique vraiment important, soit il y a un vrai problème de foncier qui n’a pas été fait en amont cet hiver.

A votre sens, ce qui coince dans le retour d’Andy Schleck serait donc davantage une question psychique qu’une séquelle physique à sa fracture du bassin ?
Seul un ostéo pourrait nous dire si sa fracture peut avoir de telles séquelles. Et dans ce cas qu’il le dise clairement mais pour le moment personne ne nous en a apporté la preuve. Pour moi le problème repose davantage sur sa confiance. On le sait dans le doute. A chaque nouvelle course, il est davantage exposé à la pression des résultats. Il a fini hier à Camaiore sa première course depuis près d’un an. Ce serait un coureur lambda il n’aurait déjà plus d’équipe. Or c’est un coureur qui a déjà obtenu des résultats bien plus importants que n’importe qui dans le peloton. Ça paraît tellement ahurissant qu’un coureur de son niveau ait des difficultés à finir une course.

Andy Schleck se plaignait à son retour au Tour Down Under qu’il éprouvait désormais des craintes à rouler en peloton, est-ce fondé d’avoir un tel sentiment sachant qu’il s’est blessé en tombant seul dans un contre-la-montre ?
Des chutes, il en a eues avant de passer chez les pros. Quand tu tombes dans un peloton, tu peux prendre peur, mais quand tu arrives chez les pros tu as vu des chutes, tu en as eues, tu sais ce que c’est, et tu ne perds pas confiance pour autant.

Ses adversaires habituels ont brillé au Tour d’Oman. Quel impact cela peut-il avoir sur un coureur qui se cherche encore ?
C’est sûr qu’il doit commencer à se poser des questions, mais il a en face de lui des coureurs qui savent être professionnels du 1er janvier au 31 décembre. Même sans être à 100 % de leur condition ils sont capables de gagner n’importe quelle course difficile. Andy Schleck ne sait sans doute pas se donner autant à l’entraînement qu’eux. Il finit par souffrir sur des courses sur lesquelles il devrait être capable de suivre. Est-ce que ça l’atteint psychologiquement ? C’est sûr que quand tes adversaires dominent des courses que tu n’arrives pas à terminer, tu te poses des questions. On fera un vrai bilan dans deux mois à Liège-Bastogne-Liège.

Comment un champion de son calibre peut-il rebondir à la suite d’une année creuse ?
Il faut qu’il reprenne les bases, qu’il s’entoure de gens sur lesquels il pourra vraiment compter et avec qui il pourra évoluer en confiance. Il a beaucoup de confiance en son frère Frank, ça s’est toujours vu sur les courses, jusqu’à en être parfois frustrant quand ils donnaient le sentiment de s’attendre. Le risque c’est que si le travail hivernal n’a pas été fait en novembre, décembre, il va commencer à prendre du retard. Sauter des étapes en vélo, ne pas avoir fait le métier pendant trois mois, c’est très compliqué. Il n’est pas encore trop tard, mais les prochaines semaines seront déterminantes.