Professionnel de 1994 à 2003, vainqueur d’une étape du Tour de France au lac de Madine en 1996, Cyril Saugrain est aujourd’hui responsable du développement des partenariats techniques chez b’Twin. Un vendredi sur deux, il nous livre son analyse à travers cette chronique. Suivez également Cyril Saugrain via Twitter : @cyril_saugrain.

Cyril, quel sentiment vous a laissé la dernière édition de Milan-San Remo ?
Une fois de plus, la météo a été un élément déterminant sur le déroulement de cette édition. Pas de neige cette fois mais des conditions pluvieuses et venteuses qui ont eu pour effet de rendre la course fade. Du fait de la météo toute tentative d’offensive lointaine, j’entends à partir de la Cipressa, a été annihilée et il a été impossible de déstabiliser les équipes de sprinteurs ! Le seul qui ait tenté, c’est Vincenzo Nibali… mais je pense que d’autres auraient dû prendre sa roue.

Justement, Vincenzo Nibali a tenté un coup dans la Cipressa mais n’a pas reçu le soutien escompté. A-t-il bien joué tactiquement ?
Je pense qu’au vu de ses qualités, il a eu raison et on ne va tout de même pas lui reprocher d’attaquer ! S’il avait attendu le Poggio, dont les pourcentages ne sont pas assez importants, il lui aurait été difficile de créer un trou suffisant. Donc oui, Vincenzo Nibali a eu raison d’essayer : c’était sa seule chance de victoire. C’est plutôt à tous ceux qui devaient adopter la même stratégie que l’on doit reprocher de ne pas avoir tenté. Je pense qu’à trois ou quatre, ça l’aurait fait car derrière très peu de monde possédait un équipier pour rouler. Entre la Cipressa et le Poggio, la plus grande partie de la chasse a été menée par Alessandro De Marchi, de la Cannondale. Maintenant, dans le canapé, c’est si simple de dire ce qu’il aurait fallu faire !

Comment expliquer précisément que personne ne se soit joint à Vincenzo Nibali. Beaucoup ont déclaré avoir hésité mais avoir finalement opté pour suivre le groupe. Est-ce un manque d’ambition ?
C’est difficile à dire. Comme je vous le précisais, les conditions météo ont modifié beaucoup de stratégies de base. Les coureurs, pour la plupart, étaient transis de froid. Mais je reste persuadé que si trois autres coureurs avaient pu accompagner Vincenzo Nibali, la donne aurait été tout autre. Après je ne dirais pas qu’ils ont manqué d’ambition, mais plutôt qu’ils ont pour certains préféré assurer… les points pour le WorldTour ! Ah, ces points… Attaquer dans la Cipressa, c’était aussi prendre le risque de se faire contrer dans le Poggio. C’est ce qui est finalement arrivé à Vincenzo Nibali, qui ne finit pas dans le premier groupe.

Sans la Manie ni la Pompeiana, qui plus est avec le vent de face dans le final, cette édition était-elle finalement vouée à se conclure au sprint ?
Le profil faisait la part belle aux sprinteurs, les stratégies d’équipes avaient aussi été élaborées dans ce sens, donc seuls ceux qui pensaient ne pas avoir l’homme pour le sprint devaient tenter autre chose. Puis il y a eu cette météo qui a, à mon avis, anéanti les velléités de certains. Maintenant, Milan-San Remo est une classique plutôt pour sprinteur. Et toutes les équipes en ont un dans leurs rangs. Ce n’est à mon avis pas à l’organisateur de trouver les solutions mais aux équipes elles-mêmes. Mais cette année qui avait donné Alexander Kristoff vainqueur ? Un homme du nord qui passe… très bien le froid. Voilà un élément qui sur cette édition était très important.

Est-il devenu nécessaire de durcir le final avec la Pompeiana, intercalée entre la Cipressa et le Poggio ?
Ça peut l’être… mais dans cinq ans peut-être reviendra-t-on en arrière pour faire revenir les sprinteurs sur San Remo ? C’est à ceux qui n’ont pas le bon sprinteur pour espérer gagner de durcir la course. Pour moi, ce n’est pas à la course de s’adapter, mais bien aux équipes. Il est clair que l’on restera sur le même déroulement de course si tout le monde opte pour la même stratégie qui consiste à tout miser sur un sprint.

La victoire d’Alexander Kristoff (3ème des Jeux 2012, 4ème du Tour des Flandres, 9ème de Paris-Roubaix et 3ème de la Vattenfall Cyclassics 2013) marque-t-elle la consécration d’un nouveau grand champion ?
Alexander Kristoff fait partie des bons sprinteurs et il avait, en 2013, laissé présager de très bonnes dispositions pour les classiques. L’an dernier sur Milan-San Remo, il avait déjà fini 8ème à 14 secondes en réglant le sprint du deuxième groupe, devant un certain Mark Cavendish. C’est un coureur qui en plus apprécie les conditions extrêmes. On le retrouvera devant sur les flandriennes, c’est sûr. Un grand champion, Alexander Kristoff l’est désormais avec un Milan-San Remo en poche. Mais perso je ne pense pas que ce soit l’homme des classiques de demain, comme Tom Boonen et Fabian Cancellara, mais un bon outsider.