Professionnel de 1994 à 2003, vainqueur d’une étape du Tour de France au lac de Madine en 1996, Cyril Saugrain est aujourd’hui responsable du développement des partenariats techniques chez b’Twin. Un vendredi sur deux, il nous livre son analyse à travers cette chronique. Suivez également Cyril Saugrain via Twitter : @cyril_saugrain.

Cyril, le Grand Départ du Giro en Irlande a impliqué une journée de repos-transfert le lundi, ce qui découpe la suite du Giro en trois semaines de six jours. Que pensez-vous de cette formule qui vient casser la longue première semaine ?
Cette troisième journée de repos était avant tout une nécessité vis-à-vis du transfert imposé entre l’Irlande et le sud de l’Italie. On a connu des Grands Tours avec une journée de repos, il était judicieux d’y greffer une seconde journée de repos. Maintenant je ne pense pas qu’en proposer une troisième après trois jours de course seulement soit judicieux. Par contre, dans ce contexte d’un départ en Irlande, c’était effectivement une bonne formule pour les coureurs. Je n’aurais pas imaginé un transfert le dimanche soir de Dublin et une étape le lendemain en Italie. Quand les organisateurs décident de délocaliser le Grand Départ et qu’un transfert doit intervenir tôt, il leur faut prendre en compte la récupération des coureurs. Dans ce cadre-là, cette journée de repos supplémentaire s’imposait.

A leur arrivée en Italie, on a vu mardi dernier les coureurs refuser de faire la course en raison des conditions périlleuses sur le circuit de Bari. Faut-il leur jeter la pierre ?
Pour avoir été coureur, il est clair que par endroits et par moments la course est plutôt périlleuse. Quand on est au départ d’un Grand Tour, on a toujours la crainte de perdre la course sur une chute dans une étape comme ça. Malgré tout, ça fait aussi partie du vélo. On sait qu’il y a des risques de chute dans la première semaine d’un Grand Tour parce que le peloton est nerveux. On sait aussi que les routes italiennes sont très glissantes lorsqu’il se met à y pleuvoir. Ce sont aux organisateurs et aux commissaires d’appréhender la dangerosité de l’état de la route.

Pourtant, certains coureurs auraient très bien pu tirer parti de cette situation…
Cette étape-critérium du Giro était vouée à un sprint massif, je pense qu’un bon compromis a été trouvé. Au final l’étape a été disputée, il y a eu du spectacle, et la prise de risques a été limitée en arrêtant les temps dans le dernier tour. Maintenant si on devait rencontrer sur l’étape des pavés du prochain Tour de France une météo similaire à celle-ci ou à celle des 4 Jours de Dunkerque, je trouverais malheureux qu’on neutralise la course, car ça fait partie du jeu. Des coureurs capables de passer les pavés dans ces conditions pourraient prendre plusieurs minutes d’avance. Il ne faudrait pas neutraliser la course. On a vu aux 4 Jours de Dunkerque des coureurs y prendre des risques. Il n’y a pas eu pour autant plus de chutes, hormis celle d’Adrien Petit.

A propos de chute, Cadel Evans a profité de celle du Mont Cassin jeudi pour prendre l’avantage sur tous ses adversaires. A-t-il agi correctement ?
Je pense que Cadel Evans a agi comme bon lui semblait. C’est un fait de course dont il n’est pas responsable. La chute s’est produite à un endroit décisif, au pied de la difficulté finale. Cadel Evans et son équipe avaient décidé au préalable de se placer aux avant-postes. Ils ont évité la chute, qui reste un fait de course. Qu’il se relève ne me paraît pas une obligation. D’autres se seraient peut-être relevés, on le voit régulièrement, mais personnellement je ne partage pas cette façon de faire. S’il avait s’agi d’un jet de punaises ou autre geste intentionnel pour fausser la course, ça aurait été différent. Là, la glissade qui a entraîné la chute de différents leaders est dûe à la pluie. Tout le monde connaissait les risques. Ça fait partie de la course.

On a peu vu les favoris bouger ce week-end dans les Apennins. Comment l’expliquer ?
Le Tour d’Italie commence à devenir montagneux mais il va de jour en jour devenir de plus en plus dur. La plupart des grands leaders attend les étapes-reines et essaie de garder des forces pour la dernière semaine. Et si l’on en croit les dires, les grands favoris comme Nairo Quintana ne sont pas non plus au mieux. La première semaine, avec la météo, a été relativement usante, chacun a besoin de récupérer. Gérer un Grand Tour, c’est aussi gérer dans le temps. On n’a pas vu d’attaque pour essayer de lui grappiller quelques secondes mais nous étions sur des étapes de moyenne montagne. Il y a encore de grosses étapes très dures qui vont arriver. Maintenant il ne va pas falloir non plus donner trop de souplesse à Cadel Evans. Il ne faudra pas trop tarder et mettre les bonnes cartouches aux bons moments.

Cadel Evans, justement, n’est-il pas en rose trop tôt ?
Ça va donner du travail à son équipe, qui va devoir être solide, mais il vaut mieux pour un coureur comme Cadel Evans avoir du temps à gérer plutôt que du temps à rattraper. Avoir un peu d’avance sur les potentiels vainqueurs du Giro, qui attendent les étapes de haute montagne, est la position idéale pour Evans. Il roule intelligemment, est capable de laisser du temps à des coureurs moins dangereux. Il va potentiellement être capable de leur prendre encore du temps dans le contre-la-montre. Et puis c’est un coureur d’expérience. Je pense qu’il est dans une situation qui lui convient plutôt bien.

On a beaucoup vu les Français en première semaine, que ce soit Nacer Bouhanni, Pierre Rolland ou Alexis Vuillermoz, est-ce le signe qu’ils ont désormais cœur à briller sur le Tour d’Italie ?
Tout le monde a toujours eu cœur à briller sur le Tour d’Italie. En avoir la capacité, c’est une chose différente. Il semble que cette année les coureurs français aient le niveau. On ne le découvre pas. Cela fait presque deux ans qu’on voit une génération capable de briller au plus haut niveau, et encore plus sur les Grands Tours. Nacer Bouhanni n’a fait que confirmer au plus haut niveau ce qu’on attend de lui, Pierre Rolland n’est pas une découverte… Leur niveau leur permet de briller. Et on a avec Ag2r La Mondiale une des équipes les plus solides de ce Giro autour de Domenico Pozzovivo. On devrait la retrouver aux avant-postes dès que les routes vont s’élever.

Qu’a-t-il manqué à Pierre Rolland pour réussir son coup samedi vers Montecopiolo ?
Deux fois rien, 200 mètres je dirais. Pierre Rolland nous a enthousiasmés même si sur le coup on a été un peu surpris de son attaque. Finalement il nous a presque tous donné tort. Il a failli transformer l’essai de façon magistrale, on peut lui tirer un grand coup de chapeau. Il a apporté à cette étape le supplément d’âme qui lui manquait. Mais l’attaque de Daniel Moreno l’a condamné. On peut aussi être surpris de l’attitude de l’équipe Ag2r La Mondiale qui a roulé sur cette journée-là mais qui n’a pas attaqué dans le final… C’est peut-être ce qui le condamne réellement. Il a failli aller au bout, on y a tous cru. Il avait la force physique, il a plutôt bien couru, il ne lui a manqué qu’un peu de chance. 200 mètres. Mais on ne devrait pas tarder à le revoir devant.