Professionnel de 1994 à 2003, vainqueur d’une étape du Tour de France au lac de Madine en 1996, Cyril Saugrain est aujourd’hui responsable communication vélo sport et responsable des partenariats techniques chez b’Twin. Il nous livre son analyse à travers cette chronique. Suivez également Cyril Saugrain via Twitter : @cyril_saugrain.

Cyril, l’UCI a choisi de suspendre l’expérimentation des freins à disque après l’accident dont a été victime Francisco-José Ventoso à Paris-Roubaix, faut-il définitivement clore le débat et abandonner l’idée ?
Non, bien évidemment. Mais il reste encore beaucoup de choses à cadrer avant de généraliser ce système chez les pros. Et tant qu’on n’aura pas une uniformité, il est normal de suspendre l’expérimentation. La question de la sécurité se pose avec cet incident, mais il m’est arrivé un jour de prendre un plateau dans les fesses en chutant, ce qui m’a valu treize points de suture, et on n’a pas protégé les plateaux pour autant… Ce sont des éléments, comme d’autres sur un vélo, qui peuvent potentiellement être dangereux. Avec les disques, le risque encouru est un peu plus important. Il faut certainement y réfléchir. De là à abandonner l’idée, je ne pense pas, mais il faut la réétudier. Reste à savoir s’il y a légitimité à proposer le frein à disque au monde du cyclisme professionnel. Personnellement, je n’en vois pas forcément l’utilité.

Ce système de freinage censé apporter plus de sécurité (moins de surchauffe en descente, constance de freinage par temps pluvieux) a-t-il sa place sur la route comparativement au VTT et au cyclo-cross ?
C’est une vraie question : a-t-on besoin de freins à disque sur la route ? A mon sens, le seul avantage qu’on peut en tirer, c’est dans les descentes de cols, et surtout sur terrain mouillé. Autant dire que ce n’est pas le cas tous les jours ! Son utilisation se justifie à VTT, avec des freinages brusques, des descentes très raides, la nécessité de bloquer la roue pour piloter. Sur la route, on n’est pas sur du blocage mais sur du ralentissement et du freinage progressif. Les freinages brusques interviennent en cas de chute : il s’agit d’un blocage de réflexe. Mais la plupart du temps on adapte sa vitesse à celle du peloton en faisant effleurer le patin sur la jante. Un frein à disque avec plus de mordant me semble pour cela moins adapté.

Aucun incident du genre n’a jamais été déploré en VTT ou en cyclo-cross, où les accrochages existent pourtant. Pourquoi serait-il plus dangereux sur route ?
D’abord, sur la route, on évolue beaucoup plus en peloton qu’en VTT ou en cyclo-cross, où le peloton du départ se transforme vite en file indienne. Il y a des mouvements de peloton, ça frotte, ça met des petits coups de freins… Et le risque de chute massive apporte plus de danger. Après, comme souvent, ce qui est arrivé sur Paris-Roubaix est un accident. Mais comme il s’agit du premier, il est tout de suite mis en lumière. Il aura au moins eu le mérite de mettre le doigt sur un sujet qui avait été évoqué en amont !

Le frein à disque, c’est une évolution nécessaire ou est-ce un besoin purement marketing dicté par l’industrie du cycle ?
C’est impossible de trancher car au fond de moi je pense qu’il y a un peu des deux. Je n’y vois pas réellement un besoin en usage route, même s’il est normal qu’on réfléchisse à une évolution technologique qui garantisse demain un meilleur freinage à tous les utilisateurs de vélo. Mais pas de là à y passer de suite. Je pense qu’il y a plutôt un lobbying des grandes marques, qui veulent lancer quelque chose de nouveau sur le marché. On le voit aussi en VTT, avec le 26″, qui a longtemps été le standard, auquel on a apporté le 29″ avant que le 27.5″ ne s’impose comme le nouveau standard. Aujourd’hui, on entend parler d’un 27.5+ et même d’un 26+… Le client lambda a-t-il réellement besoin d’un tel éventail de choix ? Le frein à disque est-il un besoin purement marketing dicté par l’industrie du cycle ? La question reste ouverte !

Pourra-t-il malgré tout s’imposer auprès des consommateurs sans l’aval des coureurs pros ?
J’y crois difficilement ! On sait par expérience que l’avenir d’une nouveauté dépend de son utilisation ou non des coureurs pros. Si un coureur pro n’en fait pas usage, on va moins en faire l’écho et surtout moins tenir compte de sa nécessité. S’il n’est pas utilisé par les pros, le frein à disque sera difficile à accompagner commercialement. Si je reste sceptique quant à l’adoption du frein à disque sur la route, il reste l’émergence d’une discipline comme le Gravel, dont on entend beaucoup parler, et qui pourrait elle démocratiser l’utilisation du disque. On est entre la route et le VTT, sur un usage non compétitif, et un frein à disque peut être nécessaire.

L’UCI n’a pas tenu compte de la mise en garde des coureurs relative aux dangers de l’utilisation des freins à disque, et il apparaît que le produit testé n’était pas abouti, quels enseignements doit-elle en tirer ?
Il faut absolument que l’Union Cycliste Internationale et les coureurs travaillent ensemble. L’UCI ne peut pas ne pas prendre en compte la parole des coureurs, surtout sur des éléments sécuritaires comme cela. Les mieux placés sur ce sujet-là, ça reste bien les coureurs. Ce sont eux qui sont le plus à même de donner des axes de réflexion et d’éclairer les instances sur les vrais dangers. Toute décision qui touche à l’intégrité des coureurs et à leur sécurité doit être prise en collaboration avec les intéressés. Si le besoin du frein à disque devait se faire ressentir, il devrait revenir aux coureurs de le faire remonter, puis à l’industrie de développer le produit. On privilégierait alors un besoin d’usage. Définir ce besoin au motif de vouloir lancer quelque chose de nouveau n’est pas un ordre logique. On doit privilégir les besoins d’usages avant les besoins économiques.