Jérôme, vous avez mis un terme à votre carrière en fin de saison dernière. Par où passe votre reconversion ?
J’ai arrêté ma carrière en ayant quelques pistes. J’avais travaillé avec beIN Sports par le passé et on avait déjà discuté avec la chaîne sur l’éventualité d’une collaboration régulière. J’avais pris la décision d’arrêter ma carrière en juillet 2015 et j’ai eu cette première opportunité de couvrir la Coupe du Monde de cyclo-cross pour beIN. Puis ça s’est enchainé très vite. RMC m’a contacté pour faire partie des « Grandes Gueules du Sport » et couvrir le Tour de France. Dans la foulée, L’Equipe 21 m’a fait une proposition, et j’ai accepté les trois. Aujourd’hui, je n’ai pas d’exclusivité ni avec les uns ni avec les autres. En ce moment j’apprends car c’est nouveau pour moi. J’ai beaucoup apprécié faire le Tour d’Italie avec beIN Sports dans un rôle de journaliste de terrain, en recueillant les réactions sur la ligne. C’était sympa.

Mais ce n’est pas la seule chose que vous avez en tête…
Mon projet principal, ce pourquoi j’ai arrêté ma carrière, c’est devenir manager d’une équipe. Je passe un diplôme universitaire au Centre de Droit et d’Economie du Sport de Limoges, qui a une très bonne réputation, et qui débouchera sur un diplôme de manager général d’un club professionnel. J’aimerais arriver, d’ici trois à quatre ans, à manager ma propre équipe.

Votre parcours de consultant n’est donc pas une finalité ?
Quelque part, comme lorsque j’étais sur le vélo, je mène un double projet en préparant l’après. Je peux très bien faire carrière dans les médias si l’opportunité se présente. Pour l’heure, j’aime très fort le cyclisme, j’ai envie de faire quelque chose dans ce sport, mais je ne suis pas fermé à d’autres projets. En ce moment, travailler dans les médias est ce qui me botte le plus. Je prends mon pied. J’apprends beaucoup de ce métier-là et encore plus en parallèle avec ma formation de manager. Ça me comble de bonheur. Manager une équipe, c’est un projet, c’est un rêve, mais je ne peux pas dire qu’un jour ça se fera. Je suis dépendant d’un partenaire, dépendant des gens qui ont la même envie que moi.

A ce stade de votre reconversion, intégrer le staff d’une équipe n’était-il pas possible ?
Faute de diplômes d’entraîneur, je ne peux pas encore rejoindre un staff. Je suis en apprentissage mais s’il y a une opportunité demain, je la saisirai. J’y réfléchirai beaucoup en tout cas car il faut un projet qui me convienne. Je n’irais pas dans n’importe quelle équipe pour dire que je vais être manager. Aujourd’hui, j’apprends beaucoup de choses d’autres sports dans le handball, dans le volley, dans le basket, mais aussi dans le football. Le cyclisme a des choses à apprendre aux autres mais aussi à apprendre des autres, notamment du côté de la communication, du commercial et du réglementaire. Pour moi, le système économique du cyclisme n’est pas bon. Il faudrait aller au clash avec les institutions pour pouvoir enfin toucher des droits télé, des droits à la formation et d’autres choses comme ça.

Vous aimeriez faire bouger les choses ?
Je n’ai pas personnellement la prétention de dire que je peux les changer. En revanche, je sais que si les gens au-dessus ne changent pas, je n’aurai pas envie d’être dans le vélo dans ces conditions-là. Aujourd’hui, je ne me sentirais pas en phase avec moi-même si j’allais chercher des millions à un sponsor en lui promettant des choses qu’on ne pourra pas faire. Il faut que ces choses-là soient en place. Moi j’ai envie de former des jeunes, de faire du très bon avec des jeunes, mais aussi avec des coureurs qui sont déjà en activité. Pour ça, il faut avoir des garanties. Aller chercher un sponsor sans pouvoir donner des garanties, ce n’est pas réglo. C’est aussi les raisons pour lesquelles il y a aussi de grands partenaires qui quittent le vélo parce qu’ils sont déçus. J’ai envie de faire des choses différentes mais pour ça il faut que les règlements changent.

Etre consultant est-il donné à n’importe quel ex-coureur professionnel ?
Non, je ne pense pas. Il n’y en a pas tellement d’ailleurs, ça fait donc plaisir d’en faire partie, ça signifie que je ne suis pas trop mauvais. C’est surtout le métier que je voulais faire. Et puis c’est comme n’importe quel métier, si tu ne travailles pas, tu passes par la fenêtre. Trop de gens sont arrivés en se disant « les connaissances suffisent et je peux raconter ce que je veux ». Ce n’est pas vrai, il faut travailler, et ça demande beaucoup de temps. En tout cas, moi je le vois comme ça. Donc je pense que ce n’est pas donné à tout le monde, certains ne sont pas à l’aise, tout le monde ne trouve pas un intérêt à faire ce métier. Moi j’ai trouvé un intérêt et pourvu que ça dure.

Aimez-vous le cyclisme que vous commentez ?
C’est un cyclisme que j’ai pratiqué et que je n’aimais plus déjà. Je me suis ennuyé quelques temps sur les dernières années. En même temps c’est aussi le signe que le cyclisme a changé. On ne peut plus se permettre d’attaquer à 90 kilomètres de l’arrivée, faire des grandes envolées. C’est un sport qui est devenu très, très collectif. Ça ne me déplaît pas parce que je viens d’un sport collectif qui est le foot. Mon cœur est au football, donc ça ne peut que me plaire. Ça donne des courses bridées mais, vous savez, les matchs de foot sont aussi plus fermés qu’avant. Les coureurs s’entraînent mieux, ont plus d’outils pour s’entraîner. Ça relève le niveau et les courses sont plus serrées.

Des solutions existent-elles pour débrider la course ?
On a essayé. Tous les ans, on ajoute de la difficulté à la difficulté, mais ce n’est pas pour autant qu’il y a plus de spectacle. Et c’est plutôt bon signe que les coureurs attendent le dernier col et attaquent de moins en moins de loin. Dans certaines courses, il y a un grain de folie et ça part dans tous les sens. Moi je pense qu’il ne faut pas essayer de changer les choses pour changer les choses.

Que pensez-vous entre autres du barème du maillot à pois du Tour de France que vous avez porté deux fois pendant quelques jours ?
Ça m’embête. Les organisateurs cherchent à donner les maillots aux grandes stars pour que la photo soit belle. Moi, je sais que lorsque j’étais à l’attaque sur les étapes, c’était pour aller chercher ce maillot. Je l’ai porté dix jours une année, six l’autre. Aujourd’hui, il n’y a plus trop d’intérêt car en première semaine on distribue un ou deux points par côte et après c’est 40 points quand on a une arrivée au sommet Hors Catégorie. Ça, c’est dur. En faisant ça, on enlève de l’attractivité à l’échappée parce qu’on sait que gagner l’étape est très difficile. Aller faire 170 bornes devant pour un point, ça ne sert à rien.

Comment gérez-vous, dans votre fonction de consultant, la proximité que vous avez encore avec le peloton en tant qu’ex-coureur professionnel ?
J’essaie d’être le plus objectif possible même si parfois mon cœur balance, notamment pour les coureurs d’Etixx. Ça s’est senti dans mes commentaires sur le Giro mais parce que j’ai passé de grands moments dans cette équipe, de moins grands chez IAM. Il y a des équipes qu’on n’oubliera jamais, d’autres qui nous ont moins marqué. J’ai rencontré des gens fabuleux dans les deux équipes, j’ai rencontré des cons dans les deux équipes. Je fais peut-être même partie des cons (il rit), mais c’est comme ça. Dans mes commentaires, je pense que j’arrive globalement à être objectif. J’arrive à me réjouir des exploits d’un ancien collègue comme de quelqu’un avec qui je n’avais pas forcément d’affinités. Je juge le coureur, je n’ai pas à juger l’homme, ce n’est pas mon job. Mon job, c’est de commenter la performance, de la relater avec mes connaissances techniques et mon vécu personnel aux gens qui connaissent le vélo et encore plus à ceux qui ne le connaissent pas.

Un jour, aimeriez-vous commenter le Tour de France ?
Je vais déjà le faire avec RMC mais je n’en fais pas une fixation pour la télévision. Sans que ce soit un rêve, ça me plairait évidemment. Je ne suis pas dans les médias pour me montrer. Je ne suis pas un homme de télévision, même si je ne suis pas mal à l’aise devant les caméras. J’aime même plutôt ça, mais je ne les cherche pas forcément.

A choisir, vous opteriez pour une victoire française sur le Tour de France ou à l’Euro de football ?
Tout de suite, je choisirais une victoire de la France à l’Euro. Parce que je préfère le foot au vélo ! Si Thibaut Pinot l’emporte, je serai bien sûr content. Mais je me sens plus représenté par l’équipe de France que par un coureur français.

Propos recueillis par Louis Bocher le 11 juin 2016.