Professionnel de 1994 à 2003, vainqueur d’une étape du Tour de France au lac de Madine en 1996, Cyril Saugrain est aujourd’hui responsable communication vélo sport et responsable des partenariats techniques chez b’Twin. Il nous livre son analyse à travers cette chronique. Suivez également Cyril Saugrain via Twitter : @cyril_saugrain.

Cyril, la domination de Peter Sagan sur le Tour des Flandres dimanche suffit-elle à faire de lui le favori numéro un pour Paris-Roubaix ?
J’irai presque à dire que, par définition, Peter Sagan est favori quand il prend le départ d’une course, quelle qu’elle soit et plus encore quand il s’agit d’une classique. Il n’a participé que deux fois à Paris-Roubaix, 6ème en 2014 et 23ème en 2015. Il a toujours terminé à moins d’une minute du vainqueur, ce qui veut dire qu’il est toujours dans la course. Au vu de sa condition du moment, oui, il est clairement favori. Mais je suis persuadé que, au vu de ce qu’ils ont fait ce week-end, Fabian Cancellara et Sep Vanmarcke risquent d’être plus à l’aise et de se détacher sur les derniers secteurs. Je mettrais une étoile de moins à Peter Sagan.

Comment expliquer le manque de réussite de Peter Sagan sur Paris-Roubaix  ?
Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un manque de réussite. Paris-Roubaix se tient souvent à peu de choses. Il suffit d’un moment d’inattention ou d’un mauvais placement. Je pense simplement que les pavés de Paris-Roubaix correspondent moins aux qualités intrinsèques de Peter Sagan. Il lui manque des moments où il peut faire parler son explosivité. Je ne pense pas non plus qu’il s’agisse de sa course de prédilection. D’autres profils de classiques lui conviennent mieux. Il reste néanmoins dangereux au vu de son état de forme.

Dans quelle mesure le Paris-Roubaix humide qui est annoncé peut-il changer la donne ?
Si Paris-Roubaix est humide, alors la course sera moins rapide. On fait moins appel à la force et davantage à la vélocité car il faut rester sur le haut de pavé. Il est impossible de s’engager de la même manière dans le pavé quand il est humide et glissant. Ce qui est plus en lien avec les qualités de Peter Sagan. A cela s’ajoute son aisance sur le vélo. C’est un artiste, un équilibriste. Si Paris-Roubaix est humide, les chances vont clairement se niveler et Sagan reviendrait alors pour moi au même niveau que Fabian Cancellara et Sep Vanmarcke au rang des favoris.

Le fait de s’être monté supérieur tactiquement à Fabian Cancellara peut-il à la fois donner de la confiance au Slovaque et remettre en question la tactique du Suisse ?
Il est en tout cas très en confiance. Le titre de champion du monde l’a libéré comme nous l’avons évoqué dans une chronique précédente. Il l’a finement joué tactiquement dimanche. Mais il a dû sentir qu’il avait cette nécessité d’anticiper le coup de force de Fabian Cancellara que tout le monde attendait dans le Vieux Quaremont. Cette montée est d’ailleurs plus proche d’un secteur pavé de Roubaix que d’un mont des Flandres. Car s’il est pentu dans sa première partie, il se transforme en faux-plat dans la deuxième partie.

La course ne s’est-elle pas jouée à 32 kilomètres de l’arrivée quand Peter Sagan sort avec Sep Vanmarcke et Michal Kwiatkowski ?
Oui, Cancellara a probablement fait une petite erreur quand le peloton revient à 50 mètres sous l’impulsion de Stijn Devolder, mais qu’il ne bouche pas cet écart. Fabian Cancellara était physiquement en mesure d’y aller, mais je pense qu’il a voulu mettre sous pression l’équipe Etixx-Quick Step qui avait trois coureurs dans le groupe. Ces derniers ne l’ont pas fait ou du moins n’ont pas pu le faire et Cancellara a dû faire rouler ses équipiers pour arriver au pied du Vieux Quaremont. Cette erreur tactique lui coûte peut-être le Tour des Flandres, mais il peut en tirer un enseignement : si l’équipe Etixx-Quick Step est solide en bloc, elle est un peu courte par ses individualités.

Finalement, Peter Sagan n’a-t-il pas dominé Fabian Cancellara davantage tactiquement que physiquement ?
Je ne partage ce constat qu’à moitié. D’un point de vue tactique, Peter Sagan a couru de manière très intelligente. Mais il a également répondu présent physiquement dans le final qui a pris la forme d’un mano a mano. N’oublions pas qu’il a fait les 20 derniers kilomètres seul. A mon sens, Peter Sagan et Fabian Cancellara étaient sur un pied d’égalité dimanche dernier. Dans le final, leur gestion de l’effort a été différente. Cancellara a fait son effort dans le Vieux Quaremont et dans le Paterberg, il est revenu à une douzaine de secondes, puis il a logiquement plafonné. Sagan a quant à lui pu gérer son effort. Même s’il s’est fait mal, il n’a pas dû faire d’effort très violent pendant aussi longtemps. Il a donc pu accélérer dans le Paterberg, faire la descente à bloc et mettre les gaz à sept, huit kilomètres de l’arrivée.

Vous l’évoquiez, cette victoire sur un monument après lequel il courait depuis de longues années peut-il le libérer encore davantage ?
Effectivement je pense que cette victoire va contribuer à améliorer encore son niveau de confiance déjà très élevé. Je reste persuadé que pour gagner des courses, il faut savoir les perdre. Et tant qu’il n’avait pas gagné ce monument, il n’était sans doute pas prêt à le perdre. Aujourd’hui, il en a gagné un. Sans compter son titre mondial. Il pourra ainsi faire retomber la responsabilité sur les autres. Tactiquement, il sera encore plus fort en ayant déjà remporté les Flandres. Ça ne fait que renforcer son positionnement. On ne court de toute façon jamais aussi bien que lorsqu’on fait rouler ses adversaires.

Faut-il à tout prix voir Peter Sagan comme le successeur de Fabian Cancellara et Tom Boonen sur les classiques flandriennes ?
Il en est en tout cas leur digne successeur, mais il tombe aussi dans une génération où il y aura du lourd en face de lui, que ce soit Michal Kwiatkowski, Luke Rowe, Tiesj Benoot ou d’autres jeunes Français. Il y a cependant une différence notoire, c’est qu’il a également cette capacité à répondre présent sur les Grands Tours, plus que ne l’ont fait Boonen et Cancellara. Le Suisse a passé vingt-neuf jours en jaune, a remporté cinq prologues du Tour et plusieurs chronos. Le Belge a déjà ramené le maillot vert et a remporté six victoires d’étapes sur la Grande Boucle. Mais Peter Sagan sur le Tour, c’est déjà quatre maillots verts, quatre victoires d’étape, quarante-deux Tops 10 dont trente-six Tops 5, seize places de 2ème et six places de 3ème. Le tout en seulement quatre participations et quatre-vingt-quatre étapes. C’est phénoménal ! Sa force, c’est qu’il n’attend pas forcément le sprint. Au contraire, hormis sur sa victoire à Metz en 2012, ce sont toujours des étapes difficiles, de moyenne montagne, ou des arrivées en bosse. Il lui appartient désormais de forger un palmarès comme celui-là sur les classiques.