Aujourd’hui, portrait d’un petit homme qui a tracé son chemin jusqu’à la cour des grands. Pédaleur acharné, lieutenant dévoué, personnage timoré, il est autant réputé pour ses performances sportives que pour son humanisme. Passé par tous les statuts, toutes les catégories, d’outsider prodigieux à leader de la sélection française, il fait désormais figure d’équipier de luxe aux côtés de Thibaut Pinot. Après avoir fait pleurer ses aînés, après avoir dominé les meilleurs de sa génération, le voilà maintenant en train de faire « couiner » les Gerraint Thomas, Egan Bernal et consorts dans les cols des plus grandes épreuves du monde. Portrait d’un homme qui représente assurément le futur de la Groupama-FDJ, portrait de David Gaudu.
 

Son parcours :

Poullaouen, le 17 août 2013. Alors que Christopher Froome vient de s’adjuger son premier Tour de France et que Chritopher Horner s’apprête à dominer Vincenzo Nibali sur la Vuelta, un petit homme crée la sensation au Grand Prix de la Mine, épreuve de première catégorie junior. En posant ses mains sur son casque au passage de la ligne d’arrivée, le visage ahuri et béat, il peinait encore à prendre conscience de l’exploit réalisé. Lui, ce breton d’à peine 16 ans et demi, au poids plume de 49 kilos, venait d’asphyxier, d’écraser, de terrasser tous les favoris du jour, bien plus mûrs que lui. Après avoir animé la dernière heure de course en compagnie d’Elie Gesbert, multipliant les attaques tranchantes et les relais à couper le souffle, il avait finalement crucifié ce dernier au panneau des 500 derniers mètres pour s’offrir le luxe d’une victoire en solitaire. Dans l’ombre des projecteurs rivés sur le monde professionnel, un grand venait de naître sur les routes du Finistère. Et les spectateurs présents ce jour-là avaient alors soigneusement retenu le nom de ce phénomène : David Gaudu.

Le temps passe et le jeune homme gravit 4 à 4 les échelons des catégories. Si bien que trois ans plus tard, il se présente au départ de la 6e étape du prestigieux Tour de l’Avenir avec un contrat professionnel chez la FDJ dans la poche. Encore peu réputé, il s’est pourtant forgé un beau palmarès en cette saison 2016 : vainqueur du classement général de la Course de la Paix Espoirs, 9 e du Grand Prix de Plumelec, 5e du classement général du Tour de l’Ain, il va se charger en ce 25 août de rétablir la lumière sur lui. Sous une chaleur accablante, il aborde l’ultime ascension de la journée, la montée de Tignes, avec près de trois minutes de retard sur des fuyards de renom, tels John Rodriguez, Lucas Hamilton et Michal Schlegel. Alors que la course semble définitivement basculer en faveur du colombien, décidément intenable, David Gaudu s’extirpe du peloton en compagnie de l’italien Edward Ravasi. Réalisant alors une remontada extraordinaire, donnant l’impression de voler sur le col alpestre, le français fond sur les hommes de tête et les rejoint à trois kilomètres de l’arrivée, avant de s’en défaire une borne plus loin avec une facilité déconcertante. Profitant d’un marquage entre le reste des favoris, il s’adjuge l’étape en maître dans les rues de la station de sports d’hiver. Revenu à 9 secondes de John Rodriguez au classement général, il se chargera le lendemain de conclure en beauté sa formidable semaine pour endosser le maillot jaune sur le podium final de la course. Rayonnant sous les caméras retransmettant en direct à la télévision ses prouesses, il s’annonce aux grands du cyclisme comme l’un des futurs prétendants aux plus beaux bouquets. Trois ans après Poullaouen, l’entièreté du monde de la Petite Reine connaît désormais le nom de David Gaudu. Et frissonne à son évocation.David Gaudu célèbre sa victoire finale sur le Tour de l'Avenir 2016David Gaudu célèbre sa victoire finale sur le Tour de l’Avenir 2016

Moins d’une année plus tard, sur les pentes effrayantes du Mur de Huy, un petit coureur de la FDJ lance une attaque tonitruante à 200 mètres de la ligne d’arrivée. Dans sa roue, se glisse immédiatement le maître en personne de la Flèche Wallonne, l’homme qui reste sur trois succès d’affilée, le légendaire Alejandro Valverde. Dodelinant en danseuse sur sa bicyclette, le breton étire considérablement le groupe des favoris et fait se serrer des centaines de dents. L’effort impressionne par sa puissance et par l’impression de facilité qu’il dégage, quand bien même les cuisses du coureur françaises subissent une atroce brûlure. Finalement trop juste pour jouer les places de premier plan, David Gaudu doit se rassoir à un hectomètre du sommet de cette insurmontable difficulté, glanant tout de même une 9e place. Si le résultat est glorieux, la prestation l’est plus encore. Une chose est sûre : à seulement 21 ans, le breton est déjà en mesure de concurrencer les plus grands.

Dimanche 21 juillet 2019. En ce « Jour de France » selon le quotidien L’Equipe, le sacre tricolore est total, splendide et immense. Thibaut Pinot vient de remporter une étape d’anthologie au sommet du col du Tourmalet. Julian Alaphilippe fait taire toutes les inquiétudes quand à sa capacité à conserver son maillot jaune en reprenant du temps à tous ses poursuivants. Pourtant, au préalable de cette démonstration des deux figures du cyclisme français, cette 14e étape de la Grande Boucle avait des airs de Grand Prix de la Mine. Alors qu’Elie Gesbert a longtemps épaté, seul en tête dans l’ultime ascension du jour, c’est finalement une connaissance de longue date du coureur d’Arkea-Samsic, son partenaire d’offensives sur courses juniors de Bretagne, qui marque les esprits. A 6 kilomètres de l’arrivée, sous la demande de son leader, David Gaudu met le feu au peloton des favoris. En tête du groupe maillot jaune, le nez face au vent, avec Thibaut Pinot dans sa roue, il accélère violemment le rythme, pour réaliser une véritable démonstration de dévouement. Gregario de luxe, il asphyxie l’ensemble des cadors, empêchant tout attaque, catalysant toute défaillance. Le regard déterminé, fixé vers l’horizon, un rictus de souffrance lui balafrant le visage, il forge les prémisses du triomphe éclatant du natif de Melisey. Rendant les Lotto-Jumbo inaptes à suivre son allure hallucinante, il conclut son remarquable travail en s’échappant l’espace de quelques instants en tête de la course, dévoilant ainsi l’amplitude de son talent. 6 ans après Poullaouen, le petit David Gaudu est devenu grand. David Gaudu emmenant Thibaut Pinot dans l'ascension du Tourmalet sur le Tour de FranceDavid Gaudu emmenant Thibaut Pinot dans l’ascension du Tourmalet sur le Tour de France | © AFP

Son statut aujourd’hui :

Aujourd’hui, le trône du statut de leader s’offre au jeune breton. A seulement 23 ans, le français a largement démontré ses qualités de grimpeur et a su honorer cette situation lors des quelques fois où elle lui a été offerte. Après avoir terminé second du Tour de l’Ain en 2017 alors qu’il était au service de Thibaut Pinot, le natif de Quimper n’a cessé de confirmer les espoirs placés en lui multipliant les performances de haute-volée cette année. Meilleur jeune du Tour la Provence, 3e du Tour des Emirats-Arabes-Unis, 5e du classement général du Tour de Romandie après avoir remporté la troisième étape devant Rui Costa et Primoz Roglic, il s’est hissé à la seconde place du classement du meilleur jeune sur la Grande Boucle, simplement devancé par l’incroyable Egan Bernal. A nouveau brillant sur les classiques italiennes de fin de saison, il s’annonce pour 2020 comme l’un des principaux coureurs français à suivre. S’il ne se sent pas encore durablement les épaules pour endosser durablement le leadership de la Groupama-FDJ, il parait désormais inéluctable qu’il fera bientôt figure d’étendard du drapeau tricolore sur les plus prestigieuses épreuves du monde. Et on a hâte !David Gaudu lors de sa victoire d'étape sur le Tour de Romandie 2019David Gaudu lors de sa victoire d’étape sur le Tour de Romandie 2019 | © AFP

Par Jean-Guillaume Langrognet