Cette bouteille de limonade ne vous dit peut-être rien, ou du moins pas grand-chose. Pourtant, elle a été associée à une équipe cycliste qui a laissé sa trace sur les routes espagnoles entre la fin des années 1950 et les années 1980. Aujourd’hui, l’heure est à la re-découverte de cette équipe dont les aficionados de la Vuelta se souviennent nécessairement…

L’histoire commence à Vitoria, dans le Pays basque espagnol. Luis Knorr Elorza, descendant d’un brasseur allemand, est un fabricant local de bières et sodas gazeux. C’est alors du mélange de jus d’orange avec un soda gazeux que naît la fameuse boisson pétillante à l’orange qui est aujourd’hui toujours commercialisée ; lancée sous le nom de « El As » cinq ans avant que le Fanta n’entre sur le marché, la marque devient « Kas » l’année suivante grâce à l’ajout de l’initiale de la famille Knorr. C’est un franc succès en Espagne, et si le célèbre slogan « Beba Kas nada más » rend la boisson populaire, les excellents résultats sportifs de l’équipe de cyclisme au maillot jaune et bleu contribuent également à la réussite commerciale de la marque qui détient aujourd’hui environ 61% des parts de marché dans le nord de l’Espagne.

De petite équipe régionale, associée d’abord à Royal Asport — fabricant de cycles dans les Pyrénées Atlantiques — puis à Boxing et à Kaskol — la boisson cola de la marque Kas — la tunique Kas devient peu à peu célèbre et donne ses lettres de noblesse au cyclisme espagnol qui connaît une première embellie notamment portée par les aptitudes des coureurs espagnols à franchir les cols. Francisco Gabica, Joaquim Galera, Julio Jiménez, Aurelio González ou encore Valentín Uriona sont les représentants de la première génération qui forme l’équipe présente sur le Tour de France à partir de 1963 sous la direction de Dalmacio Langarica, ancien vainqueur de la Vuelta. De 1964 à 1968, de nombreux classements par équipes s’accumulent au compteur de la Kas lors de Vuelta, du Tour de France et du Giro ; et en 1966, Francisco Gabica remporte la Vuelta et propulse alors la Kas-Kaskol de l’époque sous les feux des projecteurs.

A partir de 1971, une nouvelle génération de coureurs se dessine avec notamment José Manuel Fuente — qui est aujourd’hui le champion le plus emblématique du maillot Kas de l’époque — associé à Vicente López Carril, Francisco Galdós et José Pesarrodona. Pour cette génération de coureurs, on compte pas moins de trois éditions de la Vuelta remportées sous les couleurs de Kas : en 1972 et 1974 grâce à José Manuel Fuente, puis en 1976 grâce à José Pesarrodona — sans oublier les classements par équipes.

Les difficultés que connaît alors l’équipe sont fortement liées à l’ancrage ibérique de celle-ci. En effet, la Kas est restée espagnole avec un recrutement fortement localisé au Pays basque et en Espagne septentrionale, et ce malgré le développement du cyclisme professionnel. Le maillot jaune et bleu a donc une réelle identité régionale spécifique, ce qui explique sans doute en partie les nombreuses victoires dans les challenges par équipes, en particulier au Tour de France. Toutefois, la Kas doit faire face à une concurrence de plus en plus rude qui pille ses coureurs basques à mesure que le cyclisme ibérique se développe. C’est ainsi qu’elle disparaît du peloton à la fin des années 1970 : la page basque del’histoire de cette équipe se tourne, l’élargissement du cyclisme professionnel moderne ne permettant certainement plus aux équipes trop régionalement ancrées de survivre.

L’histoire ne s’arrête pourtant pas là. Le maillot renaît de ses cendres dans les années 1980, à la différence près qu’il a perdu sa spécificité d’un recrutement ibérique. Et quelle renaissance ! L’équipe Kas est notamment dirigée lors de la saison 1986 par un homme dont le nom est dans les esprits de tous les amoureux du cyclisme — j’ai nommé Jean de Gribaldy, qui connaît alors sa dernière expérience à la tête d’une équipe cycliste professionnelle. C’est surtout à travers le coureur irlandais Seán Kelly, repéré par « le Vicomte » (si certains se demandent qui c’est, alors je m’inquiète… Bon allez, je précise quand même pour les plus novices d’entre vous que c’est le surnom de Jean de Gribaldy !), que les couleurs de Kas retrouvent un peu de leur gloire d’antan puisque ce dernier remporte la Milan-San Remo, la Paris-Roubaix puis la Paris-Nice en 1986, avant de faire briller de nouveau le maillot sur sa course phare en remportant la Vuelta en 1988.

La boisson pétillante à l’orange s’éloigne définitivement du peloton après 1988. Nul doute que la disparition de Jean de Gribaldy, qui seul avait su dénicher le talent qui a permis à l’équipe de réapparaître, a eu son influence ; mais l’on peut encore supposer que le désengagement progressif de la famille Knorr vis-à-vis de la marque a joué. En effet, la famille Knorr a à cette époque amorcé son chemin vers la vente de la marque, et l’on est en droit de penser que l’arrêt total du sponsoring cycliste a fait partie de ce processus. Kas est racheté par PepsiCo en 1992 : la mondialisation et la concurrence des grands groupes multinationaux aura donc finalement eu raison de la petite marque basque de boisson pétillante, tout comme de la petite équipe cycliste 100% basque…