Bruno, rappelez-nous les grandes lignes de votre carrière.
En amateur, j’étais dans le comité de Bretagne où nous avons chaque année gagné le Championnat de France. A titre personnel, j’ai beaucoup développé mes qualités tout en restant dans mon petit club. Et de fil en aiguille, avec l’équipe de Bretagne, je me suis rendu compte de mon potentiel. Après l’année 1983 où j’étais au bataillon de Joinville, je suis passé professionnel. J’ai démarré dans l’équipe de Bernard Hinault, La Vie Claire, et c’était le début d’une très belle aventure durant laquelle j’ai effectué dix Tours de France. J’ai ensuite couru chez Peugeot, Z, Novemail et pour finir l’équipe Chazal de Vincent Lavenu. J’ai donc été professionnel de 1984 à 1995, en étant sélectionné quatre fois en équipe de France pour les Championnats du Monde. J’ai gagné deux courses par an, un total de 24 victoires avec des étapes sur Paris-Nice, sur le Dauphiné Libéré et le GP de Plouay en 1990. Ma meilleure performance au Tour de France a été une 14ème en 1989 et j’ai terminé 10ème du Tour d’Italie en 1992. En 1995, c’était devenu difficile de m’entraîner donc j’ai préféré raccrocher le vélo.

Cette fin de carrière, vous avez eu le temps d’y songer ?
Oui, sur les deux dernières années, surtout la dernière. Au Tour de France j’ai bien compris que cela ne servait à rien que j’insiste. J’étais dernier du classement général parce que j’avais été opéré une semaine avant, une anesthésie générale pour enlever un kyste. Là-dessus je n’ai pas été à mon niveau alors que je croyais l’atteindre. Je me suis dit « tu n’es plus réaliste, il faut raccrocher. » C’est impossible d’atteindre son niveau après une anesthésie générale.

Qu’avez-vous fait après cette fin de carrière ?
Quand j’étais adolescent, mon rêve était d’être pilote de ligne. Je me disais que si je travaillais dur à l’école je pouvais y arriver à force de volonté. Mais coureur cycliste était aussi envisageable, à la condition d’être doué. Ce que je ne savais pas c’est qu’en tant que coureur cycliste, si on développe nos facultés comme la VO2 max, à l’âge de 18 ans, on peut beaucoup progresser. Effectivement, j’avais de très bonnes qualités pour passer professionnel. Je faisais de très bons contre-la-montre. Je n’étais pas le numéro un français, mais j’étais juste quelques places derrière quand je marchais bien. J’ai donc mis entre parenthèses mes études pendant ma carrière cycliste. Ce n’était pas très calculé car initialement je voulais reprendre mes études à 22 ans. Du coup, il a fallu que j’apprenne ce métier exigeant de cycliste. Ensuite, quand j’ai compris où étaient mes possibilités, j’ai repris mes études à 26 ans en les combinant avec mon métier de cycliste. C’était difficile, surtout au début parce qu’on n’est pas prêt à cela. Je n’avais que le niveau bac et il m’a fallu tâtonner pour organiser ma vie cycliste avec mes études. C’est largement faisable, mais l’idéal c’est d’être conseillé pour éviter de perdre trois ans comme je l’ai fait. Au tout début, ayant quitté l’école depuis très longtemps, j’ai un peu tâtonné dans mon activité, pour les examens. Mais comme j’avais la volonté, j’ai réussi à avoir le niveau requis.

Financièrement comme cela s’est passé ?
En tant que pilote, puisque je suis pilote de ligne aujourd’hui, c’est une formation autodidacte, mais qui est encadrée par des délivrances d’examens très strictes. Il y a des écoles qui préparent à ces examens et on peut se préparer de différentes façons. Il existe des stages d’un an sur la théorie et aussi des stages intensifs de révision qui sont plus courts, donc c’est en fonction de la disponibilité de chacun. Et sur le plan financier, c’est en fonction aussi de ses disponibilités. En ce qui me concerne, le vélo et les primes me permettaient de mettre de l’argent de côté. Je faisais très attention et avec cet argent j’ai réussi à payer mes heures de vol. Je suis allé à Brest dans une école de pilotage professionnel et là j’ai appris les bases comme d’autres pilotes de ligne l’ont fait. Nous sommes beaucoup d’autodidactes dans notre profession, environ la moitié. Ceci dit, l’aviation civile et le ministère des transports encadrent cela très rigoureusement, ce qui fait qu’il n’y a aucune ambiguïté sur le plan de la sécurité.

Quelles qualités développées sur le vélo utilisez-vous dans votre travail actuel ?
En tant que sportifs, nous sommes dans la culture de la performance. En tant que pilote, ce n’est pas ça. Nous ne sommes pas là pour être performants, mais plus pour être réguliers, constants. Il faut en revanche la même persévérance, la même patience, et le même travail personnel.

Sur quels vols pilotez-vous ?
Je vole sur un réseau européen. Cela fait vingt ans que je suis chez Hop. C’est une compagnie qui a pour vocation le transport commercial régional. Nous opérons des vols courts, courriers, mais européens, pour relier les métropoles, mais aussi pour alimenter les hubs (ndlr : plates formes de correspondance). Il y en a plusieurs comme Roissy et Lyon. Et nous avons été rachetés par Air France en l’an 2000.

A votre époque y avait-il des suggestions de reconversion avec bilans de compétences ?
Il y en avait oui. Je trouve que le sportif est très bien accompagné en France depuis que François Alaphilippe est passé à la présidence de la FFC, où les sportifs ont été soutenus. La démarche initiale vient du coureur et après il y a des suggestions. En ce qui me concerne, je ne regrette rien car je suis tombé pile à un moment où des pilotes étaient recrutés, c’était un petit peu mon plan. Par contre, les suggestions sont intéressantes, on peut s’orienter vers les chambres de métier pour aller apprendre de la comptabilité, de la gestion d’entreprise. Aujourd’hui, je suis pilote, mais si un jour je peux prendre ma retraite de bonne heure je serai plein d’enthousiasme pour gérer un commerce ou autre. Donc là-dessus, la démarche personnelle du sportif est capitale. Il faut bien qu’il comprenne qu’il est soutenu s’il entreprend une démarche, c’est l’Union Nationale des Cyclistes Professionnels qui va le soutenir. Et avec des cautions de son sport, il pourra être tranquille et avoir des formations. Vous allez me dire que le cycliste s’entraîne toute l’année, mais c’est à lui de prendre du recul, de travailler plus en qualité ses entraînements et cela lui libère du temps.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune professionnel ?
Je lui donnerais comme conseil de s’organiser pour l’inter-saison, de faire des formations. Et faire en sorte que ça soit la formation qui dirige le planning sur cette période. Je lui dirais de ne pas faire que ça, de s’ouvrir au monde extérieur et envisager son avenir sur des formations ponctuelles. Aujourd’hui, il y a toute une panoplie de possibilités.

Enviez-vous quelque chose aux professionnels actuels ?
L’aspect financier, parce que je sais qu’ils sont beaucoup mieux payés que nous et tant mieux. Même si avec le recul et mon expérience je trouve que l’argent n’est pas une fin en soi. Cela peut être très vite dilapidé pour une ou deux erreurs de jeunesse. A cet âge-là, ce n’est pas forcément l’idéal de gagner beaucoup d’argent car cela ne va pas forcément rendre vigilant le sportif. Il faut le mettre de côté, il faut être prudent et sur toutes ces choses-là je ne suis pas sûr qu’ils soient bien conseillés. Il y a peu de professionnels qui gagnent énormément d’argent. Et à mon avis, la majorité n’est pas forcément enviable parce que c’est un métier tellement difficile, ils sacrifient énormément les études et ils payent cher le prix de ces sacrifices sportifs.

Il n’y a pas d’autres aspects sur lesquels vous vous dîtes qu’ils ont de la chance ?
Non, je trouve que fondamentalement les choses n’ont pas tellement changé. Je peux constater qu’il y a une prise de conscience avec les bilans de compétences, même si ce n’est peut-être pas encore bien positionné car les coureurs peuvent vite se décourager s’ils ne trouvent pas ce qui les intéresse. Pour eux, ce serait pas mal de prendre contact avec la vie active et de voir comment c’est. Pourquoi ne pas travailler à l’inter-saison dans une auberge, voir si ça plaît ou pas.

Aujourd’hui, les nouveaux médias et les réseaux sociaux proposent une ouverture nouvelle. Auriez-vous aimé les avoir en tant que coureur ?
Je n’ai pas grandi avec cela. Donc au début j’étais un peu perdu et je n’ai pas accroché. Je trouve que c’est formidable pour faire connaître les sportifs, mais trop d’information tue l’information. Je ne suis pas sûr que cela soit nécessaire.

Quel est, pour vous, le sportif qui soit un modèle de reconversion dans le domaine du vélo ?
Je pense à Marcel Tinazzi qui a été directeur d’une usine de fabrique de vêtements. Il s’est très bien débrouillé et il a joué un rôle au sein du syndicat des cyclistes professionnels. Et puis Greg Lemond aussi, qui ne joue pas dans la même cour puisqu’il a beaucoup plus de possibilités financières, mais il a aussi une entreprise, il vend des vélos d’appartement et d’autres choses.

Vous avez reçu en janvier dernier le Tophée de la Reconversion Sportive à la Toussuire. C’est la première fois qu’un cycliste est primé, qu’est-ce que cela va vous apporter ?
J’ai apprécié, et je dirais que dans l’actualité sportive un événement en chasse un autre. On est face à de petits feux de paille qui s’éteignent aussi vite qu’ils se sont allumés. Il y a des valeurs constantes, on a de très bons coureurs cyclistes professionnels français, comme Romain Bardet et toute son équipe. Autour de tout cela, l’événement de La Toussuire fait un petit peu figure d’îlot dans l’océan, et ce serait bien qu’il y ait plus d’événements comme cela pour inciter les jeunes à partir de l’avant. Le métier de coureur cycliste s’arrête assez jeune, en plus dans le monde du vélo il n’y a pas énormément de débouchés. A titre personnel, cet événement m’a démontré qu’il y avait une reconnaissance du mouvement sportif parce que comme tout entrepreneur j’ai longtemps ramé dans le désert. J’ai fait beaucoup de sacrifices, j’ai travaillé et il n’y avait que moi qui y croyais. Je ne regrette pas, dans le vélo c’était des sarcasmes ou des moqueries, mais moi ça m’était égal, j’avais suivi mon petit bonhomme de chemin. Aujourd’hui, je n’ai pas du tout d’esprit de revanche, mais j’ai une satisfaction. J’ai été conquis par La Toussuire. J’ai passé une semaine de rêve, on peut le dire.

Comment êtes-vous venu au vélo ?
Pour parler franchement, j’étais nul en sports collectifs. Si tu n’es pas doué pour triturer un ballon c’est difficile. Mais j’aimais bien me dépenser, et quand j’allais à l’école je montais sur le vélo et ça avançait tout seul. Je me suis dit que c’était marrant, je suis allé voir une course de vélo et ça m’a emballé. Je me suis dit qu’il fallait que je fasse pareil et là j’ai gagné tout de suite les courses. Le plaisir est venu ensuite parce que j’avais le talent. Ce n’était pas le contraire. L’aspect liberté me plaisait sur le vélo : sortir de chez moi, découvrir des paysages, mais la compétition je ne connaissais pas vraiment. Et puis je me suis pris au jeu de la compétition.

Vous n’êtes pas issu d’une famille cycliste ?
Non, ni aéronautique d’ailleurs (il rit). C’est ce qui rend la tâche plus difficile. C’est vrai que quand on a un petit peu de talent c’est quand même plus facile de prendre du plaisir. Mais j’avais un intérêt pour les coureurs cyclistes parce que je me rappelle que je regardais les magazines, peut-être même avant de courir. C’est plus facile à comprendre que les magazines d’avion quand on est jeune (il rit).