« Chute au peloton ! » Quand les mots de Jean-François Pescheux résonnent sur les ondes de radio-Tour, c’est toute la caravane des suiveurs du Tour qui est saisie. L’affolement gagne aussitôt les directeurs sportifs. Et les questions s’enchevêtrent comme les corps et les machines sur une chaussée muée en champ de bataille : y a-t-il un gars à moi là-dedans ? Où est mon leader ? Est-ce qu’il y a de la casse ? Matérielle, physique ? Déjà, le docteur Florence Pommerie a sauté de la décapotable médicale. Et elle s’affaire sur le lieu de l’accident avec la célérité, la réactivité et l’efficience propres aux médecins urgentistes, l’activité qu’elle exerce à l’année au SAMU 93. Médecin-chef du Tour depuis l’an dernier, elle embrasse d’un regard le tableau de désolation, dresse en un coup d’œil l’état des lieux et confond vitesse et… précision pour définir les priorités.

« En un regard, on observe qui émerge ou non, qui repart, qui reste au sol, explique Florence Pommerie. On intervient sur les plus meurtris pour poser un diagnostic rapide, ce qui est difficile car on a très peu de temps pour ça. Maintenant, une fracture ou une luxation, on le constate très vite. » Dès lors, il faut organiser l’évacuation du coureur, trouver la formule la plus adéquate, contacter les hôpitaux en mesure d’accueillir le blessé. Le médecin-chef du Tour est chargé d’organiser cet aspect logistique des choses. « Il faut bien adapter les moyens mis en place à la pathologie, note-t-elle. Trois ambulances suivent le peloton mais il faut parfois mieux faire appel à une ambulance extérieure chargée de faire le relais pour évacuer un blessé mineur au cas où un accident plus sérieux se produirait plus loin. »

Sur le Tour, l’urgence est plus dictée par la pression de la course que par la traumatologie. « Sorties du contexte, les blessures sont rarement graves, rappelle le docteur Pommerie. Ce sont des fractures qui nécessitent une hospitalisation mais n’ont pas un caractère d’urgence. En plus nous sommes sur place. Nous arrivons plus vite qu’un SMUR pour nous porter immédiatement au secours des coureurs blessés. » Le stress, c’est la course qui le véhicule. « Apporter des soins à même le sol, à l’extérieur et dans toutes les conditions, on connaît, c’est notre métier. On sait se dépêtrer de toute situation. Mais en raison de la course qui continue, des enjeux, il ne faut pas perdre de temps à établir un diagnostic. La médiatisation est permanente sur une chute ou autour d’un coureur blessé, ça ajoute de la pression et c’est dangereux. »

A cela s’ajoute la tension des directeurs sportifs, l’énervement des coureurs, et une agitation hors normes avec lesquels doivent composer les équipes médicales du Tour. « La suragitation, c’est ma hantise, confie Florence Pommerie. Quand ça part dans tous les sens, ça peut conduire au suraccident. Calmer tout le monde dans ces moments-là est difficile. Ça nous fait prendre beaucoup de risques alors qu’on est toujours plus rapide qu’un SAMU sur les lieux de l’accident, je le répète. » Plus rapide et tout aussi équipé. Trois ambulances, deux cabriolets et une moto médicalisée équipés de gros matériel permettent de subvenir à toutes les situations en parfaite autonomie. Sur l’ensemble du Tour, à l’échelon course comme à celui de la caravane pub, l’équipe médicale comprend vingt-six médecins, urgentistes, smuristes. Pour beaucoup d’anciens coursiers habiles à manœuvrer en course et rompus à la médecine d’urgence cycliste.

Touchés mais pas coulés, tous les coureurs ne finissent heureusement pas sur la civière. Beaucoup repartent. Avec ou sans le consentement du médecin, qui converse avec eux en anglais ou en espagnol si nécessaire. « Nous les laissons repartir si ce n’est pas dangereux, mais nous ne les forçons jamais à s’arrêter. On les conseille, on leur dit : essaie et tu verras. Et puis parfois, on a des surprises. Mais au bout du compte c’est la douleur qui prime et qui décide. »

Si le coureur est reparti, il faut panser les plaies, soigner les bobos depuis le cabriolet aux allures de cabinet médical ambulant, et faire preuve de psychologie. « Les coureurs sont fragiles dans la tête, comme tous les sportifs de haut niveau, relève le docteur. Au moindre grain de sable, c’est la panique. Mais j’ai beaucoup d’estime pour eux, pour leur endurance au fil des trois semaines de course. Et puis très souvent ils reviennent nous remercier, ils ont un petit mot, un petit geste. Ce sont des garçons très polis. Il faut le souligner car ça, on ne le voit que chez eux. »