La Chine et le cyclisme, un oxymore historique

Un calendrier national balayé par la crise sanitaire

Au cours des deux dernières décennies, la Chine s’est progressivement lancée dans la construction d’un vaste calendrier continental. Pour devenir un pôle mondial du cyclisme, encore faut-il d’abord prendre les rênes de son sport à l’échelle de sa région. Ainsi naquissent moultes épreuves nationales, mêlant champions locaux à une cohorte d’exilés. Régulièrement, les plus prestigieuses d’entre elles réussirent à attirer des équipes de seconde division européenne, en quête de points UCI et d’un plateau un peu plus ouvert. Pour ceux qui avaient perdu le goût de la victoire en intégrant les rangs professionnels, la Chine était devenue l’Eldorado.

Ainsi ont émergé les Tours de Chine I et II, Tour du Lac Taihu, Tour de Hainan, ou encore Tour du Lac Qinghai, la plus longue d’entre elles. Toutes ces courses ont été violemment balayée par la COVID-19 en 2020. Seule la dernière d’entre-elles, aidée par son prestige régional, est parvenu à s’en relever. Si leur trace dans l’Histoire s’est vite effacée, quelques noms ronflants y figurent toutefois au palmarès. Ainsi, bien avant de martyriser Tadej Pogacar dans le Mont Ventoux, Jonas Vingegaard est monté sur le podium du Tour de Chine I 2016. Quant à Fausto Masnada et Gino Mäder, ils ont fait leurs armes en luttant pour la quête du Tour d’Hainan 2018.

Le Tour du Lac Qinghai est l'épreuve phare du calendrier chinois / Source : Tour du Lac Qinghai

Le Tour du Lac Qinghai est l’épreuve phare du calendrier chinois / Source : Tour du Lac Qinghai

 

Refermant l’accès de la Chine au World Tour

Cette dynamique internationale a même triomphé avec la création d’une épreuve World Tour en Chine : le Gree – Tour of Gangxi, organisée de 2017 à 2019. Dernière occasion d’accrocher de précieux points UCI pour les équipes en danger de relégation ou en voie de promotion, la course chinoise n’a jamais gagné le cœur des coureurs mais s’est offert des vainqueurs de prestige. En trois ans, Enric Mas, Tim Wellens et Gianni Moscon ont ainsi escaladé la première marche du podium. Ce rayonnement semble aujourd’hui passé.

Une réputation cantonnée à la sphère asiatique

En outre, ce rayonnement n’est pas non plus compensé par l’émergence de champions locaux au niveau mondial. Pour l’instant, seul Cheng Ji a posé ses roues sur le Tour de France, au cours de l’édition 2014. Le « chasseur d’échappées » de Marcel Kittel avait alors fait l’objet de moultes reportages de télévisions chinoises, tentant par son intermédiaire de démocratiser ce sport dans le pays. Malheureusement, sa carrière professionnelle longue de 10 ans (2007 – 2016), passée au sein de l’écurie néerlandaise Shimano et l’envoyant parcourir les trois Grands Tours ainsi que cinq Monuments, n’a pas créé d’émules.

Au classement UCI des nations, la Chine n’apparaît qu’à l’anonyme 57e place, avec 100 fois moins de points que la Belgique, princesse de la Petite Reine. Depuis Meiyin Wang, passé chez Bahrein Merida entre 2017 et 2019, l’Empire de Milieu ne jouit plus de soldats en World Tour, ni même en Continentale Pro. Cette absence totale de coureur professionnel chinois provoque même l’absence répétée du pays au départ des championnats du monde et des Jeux Olympiques.  Le projet China Glory Cycling espère remédier rapidement à cet écueil.

China Glory Cycling, un melting-pot bien pensé

China Glory Cycling, un cœur chinois encadré par un corps d’étrangers.

En effet, cette petite formation de troisième division compte autant de cyclistes locaux que de coureurs internationaux : six de part et d’autre. Si les premiers sont totalement inconnus de leur sport, les seconds ont en revanche des noms un peu plus ronflants. En effet, ne bénéficiant pas de la renommée d’une formation européenne, l’équipe s’est attelée au recrutement de coureurs sans contrats, délaissés par les managers du Vieux Continents.

L'effectif de China Glory Cycling

L’effectif de China Glory Cycling

Dans cette troupe de rescapés du monde professionnel, on retrouve notamment deux anciennes fréquentations du World Tour : le sud africain Wilie Smit (Katusha) et l’américain Sean Bennett (EF Pro Cycling). Ce dernier est d’ailleurs l’auteur de la plus grande prouesse de cette jeune équipe, en accédant au top 10 du Tour de Turquie en avril dernier. Côté français, on retrouve également le marseillais Lucas de Rossi, passé sous le maillot de Delko entre 2016 et 2021. Cet équilibre entre nationaux et étrangers fait même figure de pilier fondateur de l’équipe. « On va passer de douze à vingt coureurs, avec huit Chinois. On veut conserver un côté international » a ainsi expliqué à Nice Matin le Saint-Jeannois Amaël Moinard, co-manager de la formation.

Equipe chinoise, staff européen

Effectivement, comme pour les coureurs, l’Etat Chinois également allé choisir son staff à l’étranger, en quête d’expérience et d’expertise. Les 11 Tours de France de l’ancien lieutenant de Cadel Evans à la BMC ont alors parfaitement répondu à ces critères. Fraichement retraité des pelotons, le natif de Cherbourg y a alors trouvé l’opportunité parfaite d’entamer sa reconversion. Sur son chemin, il s’est même associé au néerlandais Maarten Tjallingii (3e de Paris – Roubaix 2021), placé dans une situation personnelle similaire.

Dans l'optique du rapprochement chinois à l'égard du cyclisme, Amaël Moinard et Yuan Yuan, Secrétaire générale adjointe de l'association cycliste chinoise, membre du comité directeur de l'UCI et vice-présidente de la Confédération Asiatique de Cyclisme, ont été invités à suivre la 5e étape du Critérium du Dauphiné

Dans l’optique du rapprochement chinois à l’égard du cyclisme, Amaël Moinard et Yuan Yuan, Secrétaire générale adjointe de l’association cycliste chinoise, membre du comité directeur de l’UCI et vice-présidente de la Confédération Asiatique de Cyclisme, ont été invités à suivre la 5e étape du Critérium du Dauphiné / Source : China Glory Cycling

En outre, le tandem franco-hollandais a encore puisé en Europe pour compléter son équipe de directeurs sportifs, par l’intermédiaire de Lionel Marie. Professionnel avéré dans cet exercice, passé par moultes équipes de haut niveau (Cofidis, Orica – Greenedge, Israël Start Up Nation), le mentonnais a également sauté dans le wagon. D’ailleurs, il n’en est pas à son premier coup de folie. En 2015, il avait déjà accepté une offre de la Torku Sekerspor, modeste écurie continentale turque.

Réuni dans ce projet, ce staff aux contours internationaux compte bien transmettre leur savoir faire à leurs protégés, en diffusant la pratique européenne de la discipline. En effet, le retard chinois dans le domaine les a incités à convier les coureurs chinois à un stage de progression dans la région niçoise, et compte bien renouveler l’expérience. Dès lors, la participation à des courses de cet acabit s’intègre directement dans ce schéma d’accès au plus haut niveau.

China Glory Cycling, les JO en perspective

A vrai dire, des abîmes du cyclisme sur route, l’Etat Chinois compte grimper tout droit vers les sommets. Principal partenaire de l’équipe, il espère effectivement reproduire le succès de son programme de piste, désormais récompensé par des breloques d’or. Sur un modèle similaire à celui décrit ici, le recrutement d’experts étrangers, tel Theo Bos, cinq fois champion du monde dans le domaine, avait permis aux stars chinoises de conquérir la plus haute marche des podiums. Si les progrès tardent à éclore du côté des hommes, les femmes ont acquis une suprématie incontestée en vitesse par équipes, raflant les médailles d’or 2016 et 2020 après avoir décroché l’argent en 2012.

En posant ici à côté de Chris Froome au départ de la Mercan'Tour Classic, les coureurs de China Glory effectuent le rapprochement entre le projet chinois et le projet israélien d'Israël Premier-Tech / Source : China Glory

En posant ici à côté de Chris Froome au départ de la Mercan’Tour Classic, les coureurs de China Glory effectuent le rapprochement entre le projet chinois et le projet israélien d’Israël Premier-Tech / Source : China Glory

Sur la route, la Chine compte donc jouir d’un succès similaire. Si China Glory est encore au stade de la découverte du monde professionnel, la marge de progression annoncée est immense. Sur le site officiel de la formation, les dirigeants déclarent ainsi viser l’accès aux Jeux Olympiques 2024 et la participation au Tour 2025. Il faudra peut-être plus de temps pour voir des coureurs chinois faire illusion sur de telles épreuves, mais, à la vue de sa croissance exponentielle dans le domaine du sport, l’Empire du Milieu en est assurément capable à long-terme. L’investissement étatique pour démocratiser cette discipline auprès des nouvelles générations est sûrement la clé de la réussite. La Chine réussira-t-elle alors à reproduire dans le cyclisme sa conquête hégémonique du ping-pong ?