Bardet malade mais Bardet en forme

Un début de saison enthousiasmant

Romain Bardet était terriblement en forme sur ce Giro. Peut-être trop même, si l’on considérait les regrets laissés par son abandon. Récent vainqueur du Tour des Alpes, qu’il a incontestablement dominé, le brivadois avait laissé entrevoir les meilleurs augures au cours des 12 premières étapes du Tour d’Italie. Auteur d’un solide chrono à Budapest, il avait ensuite accompagné les favoris jusqu’au sommet de l’Etna, avant de secouer les principaux prétendants au maillot rose dans la montée du Blockhaus.

A l’instant de son abandon, le coureur de la DSM occupait ainsi la 4e place du classement général, à 14 secondes de Juan Pedro Lopez (Trek – Segafredo), et seulement deux petites unités de Richard Carapaz (INEOS – Grenadiers), premier des prétendants à la victoire finale. Au terme de la première semaine, Romain Bardet avait ainsi frôlé d’un cheveu la mythique toison rose, manquant alors de briser la malédiction tricolore à son égard. En effet, si son aventure transalpine s’était poursuivie, l’auvergnat semblait en passe de succéder à Laurent Jalabert (1999) dans la petite histoire croisée du maglia rosa et des Français.

Avant son abandon, Romain Bardet brillait sur le Giro| © Team DSM

Un coup du sort à prendre avec philosophie

A ce titre, l’abandon du brivadois constitue un sérieux coup du sort dans la course, dont tous les amateurs de cyclisme se seraient bien passés. Il semble d’autant plus regrettable qu’il intervient sur une maladie bénigne, dont il aurait pu rapidement guérir s’il était parvenu à passer cette 13e journée. Mais si la chaleur de Ligurie a violemment attaqué et terrassé l’estomac de Romain Bardet, elle ne devrait pas faire effet sur la suite de sa saison.

Au contraire, si l’on oublie la frustration occasionnée et que l’on ne se place uniquement dans la perspective des échéances à venir, ce malheureux abandon pourrait même préserver la fraicheur physique de Romain Bardet, sans en entamer la forme. En bon philosophe, le français appliquera sûrement à son cas cette citation d’Alexander Lockhart, parlementaire et magistrat britannique du XIXe siècle : « une personne optimiste ne refuse pas de voir le côté négatif des choses, elle refuse de s’attarder dessus ».

Le Tour de France, nouveau sommet de la saison

Entre fraîcheur et entraînement, une préparation réorganisée

Dès lors, Romain Bardet entame sur de bonnes bases la préparation de sa prochaine échéance majeure : le Tour de France. Seule course inscrite dans son calendrier, en raison de la stratégie de communication de son équipe, la Grande Boucle devrait effectivement recevoir l’essentiel de ses efforts de préparation. Toutefois, après son retrait précoce du Giro, son calendrier devrait vraisemblablement être réadapté à sa courbe de forme. Puisqu’il est extrêmement compliqué de maintenir un état physique étincelant plusieurs mois durant, le français devrait normalement observer un petit temps de récupération, avant de se lancer dans une nouvelle ascension du pic de forme. L’absence d’activités physiques publiées sur Strava depuis vendredi dernier semble confirmer cette hypothèse.

Depuis l’abandon de Romain Bardet, le Team DSM n’a plus rien communiqué à propos du français| © Team DSM

 

Pour Romain Bardet, l’approche du Tour devrait donc ressembler à celle des saisons précédentes, lorsqu’il évoluait au sein de la formation AG2R-La-Mondiale. En effet, si l’enchaînement d’un Giro complet avec le Tour aurait donné la prime à la récupération entre les deux épreuves, cette semaine et demie de rab peut lui permettre d’intensifier son entraînement pendant le mois à venir. Ainsi, fort est à parier que le brivadois pourrait y repartir en stage, éventuellement cumulé de la reconnaissance des étapes de montagne du Tour.

Quid des courses de préparation ?

Une course intermédiaire pourrait également s’ajouter à son calendrier. Si le Critérium du Dauphiné semble trop proche, étant donné son départ le 5 juin prochain, le Tour de Suisse, couru une semaine plus tard, semble davantage convenir à son approche de la Ronde de Juillet. Toutefois, les longueurs de chacun de ces courses (8 étapes) ont aussi de quoi décourager le français de s’y présenter.

En effet, les dernières saisons ont relativisé l’importance de la compétition avant de grandes échéances, et cette tendance ne devrait pas échapper au Team DSM, bon élève de l’innovation. En ce sens, Tadej Pogacar a notamment affiché un niveau éblouissant dès la première semaine du Tour 2021 alors qu’il n’avait couru que sept jours en deux mois avant le départ de Brest. Pour Romain Bardet, les premières étapes nordiques pourraient donc faire office de remise en condition à la compétition, complétant un bloc d’entraînement préalable.

Romain Bardet peut-il rivaliser avec les favoris du Tour, comme il l’a fait ici au Blockhaus ?| © Team DSM

De Bardet le leader à Romain le grimpeur ?

Les ambitions de Romain Bardet sur le Tour devraient intrinsèquement dépendre de sa forme physique. Compte tenue de sa relative fraîcheur et de sa force au moment de son abandon sur le Giro, il est envisageable que le français se présente au départ de Copenhague dans une forme similaire. L’absence de compétition ne provoquerait alors qu’un léger décalage de son pic de forme, renforçant sa prédilection pour la troisième semaine de course. En l’état, le brivadois pourrait alors adopter une stratégie similaire à celle du Tour d’Italie : faire du classement général son plan A, en préparant soigneusement un plan B de chasseur d’étapes. Deux raisons notables le pousseront probablement à envisager sérieusement cette seconde option.

Une première semaine corsée

D’une part, assez traditionnellement, la première semaine de la Grande Boucle s’avère particulièrement piégeuse. Les virages du chrono de Copenhague sont dangereux, les bordures de Nybord périlleuses, et les pavés d’Arenberg redoutables. Romain Bardet a suffisamment perdu du temps de la sorte pour bien le savoir, le Tour de France 2015 en étant la plus ample démonstration.

Un plateau relevé

D’autre part, les favoris du Tour ne sont pas Richard Carapaz, Jai Hindley (BORA – Hansgrohe) ou Mikel Landa (Bahreïn – Victorious), et ne comptent pas sur des « équipes B » pour l’emporter. Non, Tadej Pogacar (UAE Team Emirates), Primoz Roglic (Jumbo – Visma) ou encore Jonas Vingegaard (Jumbo – Visma) jouiront de puissantes cylindrées à leur service, cadenassant la course à leur profit, imposant un rythme infernal dans chaque ascension, sanctionnant chaque défaillance. Même au meilleur de sa forme, Romain Bardet ne semble pas suffisamment armé pour déjouer leurs plans.

Romain Bardet lors de sa première victoire sur le Tour, à Saint-Jean-de-Maurienne en 2015 | © Le Tour de France

Romain Bardet lors de sa première victoire sur le Tour, à Saint-Jean-de-Maurienne en 2015 | © Le Tour de France

Le facteur forme pourrait aussi peser dans la balance

Alors, à l’instar du Tour de France 2015, lorsqu’il s’était brillamment adjugé l’étape de Saint-Jean-de-Maurienne après une entame de Tour désastreuse, Bardet le leader pourrait se muer en Romain le grimpeur, s’il sombrait dans l’anonymat des places d’honneur. Ajoutez à cela la relative incertitude planant sur son état de forme, et vous renversez presque les probabilités de chaque plan. Lorsque l’on connaît l’aversion du Français pour le schéma de course du rouleau-compresseur, et son appétit pour les vastes offensives. On tendrait même à penser que lui-même se réjouirait davantage d’un beau bouquet que d’une médaille en chocolat. Plus que jamais, le trentenaire conçoit le cyclisme comme une passion et sa pratique comme un plaisir.