Si le football en est l’allégorie, le paroxysme, le summum, l’ensemble du sport cède peu à peu à une financiarisation galopante, qui le place progressivement sous le règne de l’argent. Les billets y étant massivement investis le transforment fondamentalement, changeant les priorités et les modes d’actions. Désormais, si le prestige possède encore un peu de valeur aux yeux de certains, les salaires deviennent l’argument massue d’un monde doré. Si le cyclisme n’est pas encore tombé dans la folie dans laquelle nage maintenant le ballon rond, discipline pourtant issue des classes populaires, il nécessite cependant des sommes outrageusement importantes pour s’y frayer un chemin, démultipliant largement les budgets du siècle dernier. A ce titre, les formations s’internationalisent et le peloton se mondialise, récupérant en son sein la fine élite planétaire, brassant les nationalités au sein d’équipes cosmopolites. Pourtant, lorsqu’en 2017 seules deux équipes tricolores subsistaient encore dans la plus haute division de la Petite Reine, un homme s’est lancé le défi de créer sa propre formation, avec la Grande Boucle dans le viseur, afin de réaliser le rêve de sa reconversion. Audacieux et courageux, il a bravé mille difficultés pour en venir à bout, connu beaucoup de peines et quelques soupçons de joie, mais trois ans après le saut dans l’inconnu, il aperçoit enfin la lumière sacrée au bout du tunnel, celle des projecteurs de la Grande Boucle. Voici donc le portrait de cet ancien coureur reconverti en manager du Team BNB Hotels Vital-Concept, voici le portrait de Jérôme Pineau.Photo de profil de Jérôme Pineau sur son compte twitterPhoto de profil de Jérôme Pineau sur son compte twitter | © Compte Twitter de Jérôme Pineau 

Son Parcours :

Encore aujourd’hui il n’hésite pas à l’avouer : s’il adore le cyclisme, il préfère le football. Il faut dire que l’enfant de Saint-Yves de Nantes a grandi dans une ambiance de ferveur absolue autour du ballon rond, portée par les exploits des canaris, voyant passer dans leurs rangs les noms de Didier Deschamps ou de Marcel Desailly au début des années 80. Des rêves de stades à guichets fermés et de sacres jaunes plein la tête, Jérôme Pineau s’adonne alors au football durant des jeunes années. Pourtant, à l’âge de 17 ans, des facultés entraperçues sur sa bicyclette l’incitent à s’essayer au cyclisme, qu’il adopte instantanément en tant que pratique sportive favorite. Surtout, il constate très rapidement que s’il ne percera pas dans le football professionnel, les portes de l’élite de la Petite Reine ne lui sont pas closes. Au contraire, après deux années passées dans des clubs locaux et des dizaines de succès, le nantais intègre le célèbre club formateur du Vendée U, crée huit ans plus tôt par Jean-René Bernaudeau.

Jérôme Pineau y apprend alors les codes indéniablement nécessaires pour se frayer sa place dans le peloton ainsi que les stratégies indispensables pour s’ouvrir la voie des podiums. Peu à peu, il enchaîne les démonstrations physiques dans des courses convenant parfaitement à ses qualités de puncheur, à l’aise dans les courtes montées et rapide dans les dernières lignes droites. Auteur d’une saison 2001 impressionnante et riche en bouquet, il accède l’année suivante à la formation mère des rouges et blancs, l’équipe Bonjour, signant ainsi son premier contrat professionnel.

Dès sa première année parmi les élites, Jérôme Pineau se fait remarquer en jouant sa carte sur les classiques nationales. Multipliant les accessits en Coupe du France, il est sélectionné pour participer au Tour de France, au cours duquel il frôle la victoire d’étape à Pau, seulement battu par Patrice Halgand. Jeune coureur aux performances intéressantes, Jérôme Pineau accroit encore les promesses à son égard lors de la saison 2003, où il remporte notamment son premier bouquet sur la Polynormande, après avoir terminé 9e du classement des moins de 25 ans de la Grande Boucle. Lancé à pleine balle dans une progression fulgurante, le nantais améliore encore sa marque en 2004, où il excelle grâce à sa polyvalence. Brillant sur la classique d’Almeria avec Thomas Voeckler, il réalise surtout une époustouflante fin de saison, en se hissant par deux fois dans le top 10 de sprints massifs sur la Grande Boucle et en protégeant dix jours durant le maillot jaune de Voeckler, puis remportant le Tour de l’Ain et Paris-Bourges.Jérôme Pineau sous le maillot de la formation Brioches-La BoulangèreJérôme Pineau sous le maillot de la formation Brioches-La Boulangère | © Le Site du Cyclisme

Hissé dans la posture aussi glorieuse qu’oppressante de grand espoir du cyclisme tricolore, Jérôme Pineau va alors peiner à franchir l’ultime seuil vers les sommets. Peu en vue en 2005, hormis une 9e place sur l’Amstel Gold Race, il s’enferme dans une spirale négative jusqu’en 2008, n’émergeant à chaque fois qu’à l’approche de Nice sur la Course du Soleil, où il ne collecte pas moins de six top 10 entre 2006 et 2007.

A ce titre, la saison 2008 apparaît comme une véritable renaissance pour le natif de Mont-Saint-Aignan, parvenant enfin à se rassurer quant à son niveau physique. Très en vue durant les premiers mois de la saison, il réalise un solide Tour de Valence avant de s’illustrer à nouveau sur les routes de Paris-Nice, puis se met à jouer les accessits sur les ardennaises, en achevant respectivement l’Amstel Gold Race et la Flèche Wallonne aux 10e et 11e positions. Ces prestations, cumulées à une troisième place sur la première étape du Tour de France, lui valent alors une sélection pour les Jeux Olympiques de Pékin, où il termine 14e et premier français de la course en ligne, aux côtés d’Alejandro Valverde et de Cadel Evans. Deux mois plus tard, il émerge à nouveau comme le meilleur français sous le maillot tricolore, signant une 19e place sur les championnats du monde de Varese, remportés par Alessandro Ballan.

Ces performances l’incitent alors à changer d’air, et s’envoler pour la Belgique en intégrant la prestigieuse formation Quick-Step de Patrick Lefévère, réputée pour sa maîtrise des classiques et sa force collective. Il y retrouve un vieil ami du Vendée U, Sylvain Chavanel.

Si le nantais endosse davantage le rôle d’équipier au service de leaders de la trempe de « Mimosa » sur Paris-Nice, il reçoit aussi régulièrement carte blanche, profitant ainsi d’échappées ou de sprints pour terminer à trois reprises dans les dix premières positions d’étapes sur la Ronde de Juillet. Mais progressivement, son asservissement s’accroît et les résultats se font plus rares, le ligérien plongeant dans l’anonymat des classements pour privilégier la gloire de ses coéquipiers. A ce titre, il participe ainsi au succès de Sylvain Chavanel à la Station des Rousses sur le Tour de France 2010, en roulant pour son leader échappé sur les routes jurassiennes. Cependant, cette même saison est marquée par le plus beau succès de sa carrière, à l’occasion de la 5e étape du Tour d’Italie, qui le voit fièrement lever les bras à Novi Ligure, en résistant au peloton jusque dans les derniers hectomètres de course avant de prendre le meilleur sur ses compagnons du jour Julien Fouchard et Yukiya Arashiro.Jérôme Pineau a gardé pendant 7 étapes le maillot blanc à pois rouges sur le Tour de France 2010Jérôme Pineau a gardé pendant 7 étapes le maillot blanc à pois rouges sur le Tour de France 2010

Reculant dans les classements au fil des années, Jérôme Pineau ne réappairait aux sommets que par intermittences, à l’image de sa victoire sur le Grand Prix Jef Scherens en 2011, ou d’une série d’accessits sur les 4 Jours de Dunkerque 2012.

Transfuge chez IAM à l’intersaison 2013-2014, le nantais y connaît une fin de carrière compliquée, achevée en 2015 par une série de 4 abandons consécutifs au printemps, marquée par l’amertume de la déception d’une non-sélection sur la Grande Boucle, après treize participations d’affilée entre 2002 et 2014.

Retiré des pelotons depuis la mi-saison, Jérôme Pineau prépare activement sa reconversion dès 2016, en alliant interventions télévisuelles et radiophoniques en tant que consultant et bachotage au Centre de droit et d’économie de Sport de Limoges, ayant également compté dans ses rangs Zinédine Zidane ou Thomas Voeckler. En effet, si le nantais couvre la Coupe du Monde de cyclo-cross avec BeIN Sports, les épreuves sur route italienne avec La Chaîne L’Equipe ou encore le Tour de France avec RMC, il souhaite avant tout découvrir la Grande Boucle dans la peau d’un manager d’équipe.

Après deux années de formation théorique et de recherche de sponsors et de recrues, le ligérien lance alors fièrement en 2018 son équipe professionnelle continentale, le Team Vital Concept, avec un budget avoisinant les 6 millions d’euros. Si cette somme loin des 45 millions du Team INEOS, et ne représentant même que la moitié de celui de la Groupama-FDJ, elle constitue quand même une jolie bourse dans un milieu à la financiarisation croissante, lui permettant de s’offrir le prestige du nom de Bryan Coquard comme tête d’affiche. Le premier bouquet ne tarde pas à venir, avec le succès de Julien Morice sur la première étape du Sharjah Tour le 24 janvier, mais les occasions de lever les bras se font par la suite rares pour les hommes en glaz (la couleur du maillot de l’équipe). Avec 8 victoires en tout et pour tout à la fin de la saison, le bilan ni catastrophique, ni stratosphérique. Devant le Team Fortuneo-Samsic au classement continental, Jérôme Pineau pense alors que ses hommes ont fait leur preuve dans l’optique d’une invitation sur le Tour. Mais non. La présence de Warren Barguil et l’arrivée d’André Greipel chez la concurrente bretonne offre un précieux sésame à Emmanuel Hubert pour les festivités de la Ronde de Juillet, laisse sur le carreau un Team Vital-Concept B&B Hotels furieux. D’ailleurs, avec 13 victoires sur cette seconde saison d’existence, l’équipe de Jérôme Pineau devance une nouvelle fois ; mais de justesse cette fois, le Team Arkea-Samsic au classement continental final. Mais les piètres prestations des recrues phares de l’hiver, comme Pierre Rolland, Cyrille Gautier ou encore Arthur Vichot interrogent sur les choix managériaux de Jérôme Pineau. Pourtant, ces déceptions vont rapidement être submergées par une immense joie. 

Son statut aujourd’hui :

En effet, le 7 janvier dernier, lorsque le téléphone du ligérien sonne, celui-ci comprend vite que son rêve de manager s’apprête à devenir réalité. Au bout du fil, Christian Prudhomme lui fait part de son invitation sur la Grande Boucle, recevant ainsi l’une des deux Wild Cards accordées de manière discrétionnaire à des formations continentales. Rêvant d’entendre à nouveau les exclamations « attaque de Pierre Rolland » sur Radio Tour, le directeur de la Grande Boucle a fini par céder à la tentation, plongeant ainsi son interlocuteur dans un immense bonheur, celui de la récompense des grands sacrifices, celui des vives joies du cyclisme.

Pourtant, comme une équipe du Paris-Saint-Germain parvenant enfin à se hisser en quarts de finale de la ligue des champions, le Team B&B Hotels Vital-Concept semble être poursuivi par une malchance accablante, annihilant ce qui semblait être enfin acquis. La crise du coronavirus annulant les épreuves les unes après les autres dans une dynamique d’extension exponentielle, la Ronde de Juillet n’a jamais été aussi fortement compromise en temps de paix. Pour Jérôme Pineau, le graal restera donc peut-être hors de portée une année de plus. Et rien n’assure qu’il aura de nouveau l’opportunité de le conquérir.

Par Jean-Guillaume Langrognet