Si la carrière de cet homme devait être une attraction, elle ressemblerait aux plus vertigineuses montagnes russes que le monde ait connu. Capable de se hisser sur le toit de l’Izoard, à plus de 2000 mètres d’altitude, mais aussi de descendre jusqu’aux abîmes de la méforme et de plonger dans l’anonymat, sa condition physique relève toujours du mystère. On l’a connu flamboyant, étincelant, ahurissant mais aussi décevant, frustrant ou même décourageant. Personnage sympathique et coureur de talent, il a souvent été victime de mauvais choix ou de situations défavorables. Portrait d’un homme à la vie en dents de scies, aux résultats imprévisibles, aux muscles mystérieux. Portrait de Warren Barguil.Warren Barguil et son maillot de champion de FranceWarren Barguil et son maillot de champion de France | © Team Arkea-Samsic 

Son parcours :

1er septembre 2012. Si le nom de Warren Barguil se murmurait avec insistance parmi les suiveurs les plus assidus du cyclisme, cette journée de fin d’été l’a scandé avec fracas. Maillot jaune pour une peau de chagrin au départ de cette ultime étape du Tour de l’Avenir, le breton sait que la route jusqu’au Grand Bornand promet d’être tumultueuse. Mis sous pressions dès le départ par les armadas russes colombiennes ou encore belge, il s’en détache avec insolence en prenant soin de passer au sommet de chaque col, comme si sa tunique dorée ne lui suffisait pas. Misant sur son incroyable fraîcheur physique et se reposant sur la vaillance de Theo Vimpere, son lieutenant de luxe en équipe nationale, le coureur du CC Etupes résiste sans difficulté aux assauts de ses rivaux sur les pentes de la montée finale vers la fameuse station alpestre. Muselant à la perfection les désirs de fuite de Mattia Cattaneo ou de Ian Boswell, le français empêche ses adversaires de s’envoler, pour terminer au sommet dans leur temps, assurant ainsi son triomphe. Avec les classements par points et de la montagne en bonus, le natif de Hennebont affiche dès lors le symbole d’une hégémonie incontestable, lui promettant un destin similaire à celui de ses prédécesseurs au palmarès du « Tour de France des jeunes » : Nairo Quintana et Esteban Chaves.

9 septembre 2013. Un an après son coup d’éclat du Tour de l’Avenir, Warren Barguil se dévoile au grand public sur les routes de la Vuelta. Intenable et rusé quelques jours plus tôt, il s’était déjà offert sa première victoire professionnelle. La 16e étape entre Graus et Sallent de Gallego va être l’occasion de doubler la mise. Suffisamment frais et saillant durant cette troisième semaine de course pour se glisser dans une échappée issue d’une lutte infernale d’une soixantaine de kilomètres, le breton se montre intenable dès les premières pentes de l’ultime ascension du jour, la dernière de la traversée des Pyrénées. Après avoir testé ses 22 compagnons d’échappée à une vingtaine de bornes de l’arrivée, il embraie derrière Juan-Manuel Garrate et Mickaël Chérel lorsque ceux-ci tentent quelques kilomètres plus loin de fausser compagnie à leur compagnon. Une nouvelle fois repris, le coureur d’Argos-Shimano ne s’avoue toujours pas vaincu, et place même une attaque décisive quelques minutes plus tard. S’envolant en tête de la course, il voit malheureusement son matelas de 40 secondes d’avance fondre sous l’impulsion de Rigoberto Uran. Sous la flamme rouge, c’est le drame. A quelques centaines d’hectomètres de l’arrivée, le morbihannais est repris in-extremis par le colombien, qui tente même de s’en défaire immédiatement. Mais Barguil résiste héroïquement, et joue même à l’expérience ces derniers instants de course. Tel un pistard, il reste blotti dans la roue de son adversaire pour finir par le déborder à 20 mètres de l’arrivée, décrochant ainsi pour quelques millimètres le bouquet du jour. Même face aux plus grands, le breton est impérial. Avec deux victoires en quatre jours, son destin semble mener vers la cime de l’Olympe du cyclisme.

20 juillet 2017. Avant cette 104e édition de la Grande Boucle, aux promesses ont succédé la déception. Si celle-ci n’est toutefois pas accablante, elle est néanmoins attristante. Après les phénoménales performances qui avaient été les siennes en 2012 et 2013, la carrière du jeune Warren Barguil était prédestinée à frôler les cieux, à éteindre les couronnes qu’ont embrassé tous les plus grands de ce sport. Ces formidables augures n’ont pourtant pas encore pris une forme réelle. De sa non-sélection sur le Tour en 2014 à sa grave collision avec une voiture lors d’un stage de préparation en janvier 2016, le breton n’a jamais réussi à percer au sein des meilleurs, jouant de malchance à maintes reprises, échouant à concrétiser chaque semblant se pic de forme.

Le Tour de France 2017 est alors le tournant de sa carrière. Fringuant dès les premières étapes de montagne, il échoue de peu face à Rigoberto Uran à Chambéry, dans un sprint aux allures de revanche. Ce n’est pourtant que partie remise. Le 14 juillet, entre Saint-Girons et Foix, Warren Barguil importe la fête nationale sur le Tour. Absolument aérien, il se paie Nairo Quintana, Alberto Contador et Mikel Landa dans les rues de la cité ariégeoise. Le meilleur restait pourtant à venir, et intervient sur les redoutables rampes de l’Izoard.

Et pour cause, en ce jeudi 20 juillet 2017, porté par sa chère tunique à pois rouges solidement accrochée sur ses épaules, il dompte les cimes, conquiert les montagnes, survole les crêtes et vainc la pente. Le Breton profite en effet de sa formidable fraîcheur pour s’accrocher toute la journée au sein du groupe maillot jaune afin d’assurer sa place dans le Top 10 acquise la veille. Puis, la bataille entre les favoris tardant à se lancer, il décide de s’envoler sur les terribles pentes de l’Izoard pour partir à la conquête d’une prestigieuse victoire d’étape. S’embarquant dans une fantastique épopée, il rattrape un à un ses adversaires, distança le double vainqueur de la Grande Boucle qu’est Alberto Contador et fond sur l’homme de tête qu’est le Colombien Darwin Atapuma. Si un rictus de souffrance fend les traits de sa figure, il offre aux spectateurs un formidable numéro, rappelant les chevauchées de Richard Virenque en son temps. Il pédale de toutes ses forces, se remémorant tous les moments difficiles qu’il a connus au cours de sa jeune carrière pour se donner du courage, et continue de massacrer les pédales sur l’inclinaison à 9 % de la chaussée.

Les offensives derrière lui des leaders du classement général ne l’inquiètent plus, concentré sur sa quête, absorbé par la douleur, appliqué dans l’effort. Il traverse la foule amassée au bord de la route comme Moïse séparait la Mer Rouge. C’est transcendé par le public qu’il revient sur Atapuma le dépose. Lorsqu’il se retourne à 500 mètres de la ligne d’arrivée, il comprend. Il a gagné. Ni Christopher Froome ni ses rivaux ne reviendront. S’élevant avec grâce et panache jusqu’à la ligne d’arrivée, il devient à son passage un véritable ange de la montagne, maillot du meilleur grimpeur à la clé.

Son statut aujourd’hui :

Deux ans et demi plus tard, cette journée fait toujours figure de paroxysme de sa carrière. Transfuge chez Fortuneo-Samsic (aujourd’hui Arkea-Samsic) à l’hiver 2017, le breton souhaitait un véritable retour aux sources, ainsi qu’une équipe pleine et entière à son service. Après deux ans de contrat, cette décision n’a toujours pas connu la réussite escomptée. En deçà de son niveau durant la saison 2018, où ses tentatives d’offensives sont souvent restées vaines de récompenses, il n’y a récolté qu’une seconde place au classement de la montagne sur la Grande Boucle, accompagnée d’une anecdotique 17e place au classement général, à plus d’une demi-heure de Gerraint Thomas. La faute apparemment à un sérieux manque d’entraînement, le critérium du Dauphiné n’ayant été que sa première expérience de l’année avec la haute montagne !

Quant à l’année passée, si elle a également été parsemée de plusieurs désillusions, elle a tout de même vu le grimpeur remonter quelque peu la pente, récompensé en juin par le titre de champion de France. Alors que Warren Barguil a été contrarié par une sévère chute lors de la deuxième étape de Paris-Nice, le breton a eu le mérite de se relever, décrochant avec courage le maillot tricolore à la Haie-Fouassière à l’issue d’une longue échappée. Trop juste pour rivaliser avec les cadors sur la Ronde de Juillet, son endurance et sa résistance lui ont permis de décrocher un symbolique top 10. Cependant, en dépit de cette performance notable au classement général final, le coureur du Team Arkea-Samsic est surtout apparu incapable de faire la différence lors de ses offensives, comme en témoignent les épisodes de la Planche des Belles Filles, du Tourmalet ou encore de l’Iseran. Comme le symbole de sa saison, son mois d’août s’est soldé par une seconde place on-ne-peut plus frustrante à l’Artic North Race, perdant son maillot de leader au profit d’Alexey Lutsenko dans le final de la dernière étape pour une petite seconde, perdue dans une micro-cassure…Warren Barguil vainqueur à la Haie FouassièreWarren Barguil vainqueur à la Haie Fouassière | © FFC

Si Warren Barguil a décidé de renouveler son contrat avec la formation dirigée par Emmanuel Hubert, sa posture de leader unique sur la Grande Boucle est fortement compromise par l’ambitieux recrutement hivernal. Avec l’arrivée notable de Nairo Quintana dans la formation bretonne, le natif de Hennebont devrait partager le capitanat durant la Ronde de Juillet, et pourrait même avoir à se mettre au service du colombien en cas de résultats défavorables lors des premiers jours de course. Il reste donc à savoir si cette concurrence accrue sera une source de motivation pour ce jeune papa, le poussant à retrouver la plénitude de ses capacités physiques, ou si elle agira sur lui comme un poids psychologique, l’enfermant dans un tumulte mental.

Enfin, il est à noter que l’activité de Warren Barguil dans le cyclisme français dépasse aujourd’hui les frontières de la compétition. En effet, le morbihannais s’investit avec ardeur dans le fonctionnement du Giant Store d’Hennebont, séduit par la qualité de la marque ayant accompagné ses débuts dans le monde professionnel. Lors de son transfert vers la formation d’Emmanuel Hubert, il était même entré en croisade contre Look pour tenter d’établir un contrat de sponsoring entre la firme taïwanaise et l’équipe bretonne. Si le lobbying n’avait pas eu les résultats escomptés, il dessine peut-être les horizons de reconversions professionnelles de ce jeune marié. Mais avant cela, il lui reste encore beaucoup à faire sur la bicyclette !

Par Jean-Guillaume Langrognet