Frédéric, entre la fin de votre carrière et l’ouverture des Gîtes de la Tour que vous dirigez chez vous à Camarade dans l’Ariège, il s’est écoulé quatorze ans. Pourquoi ?
Depuis l’arrêt de ma carrière en 1999, je voulais créer ce genre de centre dédié au vélo, toutes disciplines confondues. Je voulais faire découvrir ma région, enseigner le cyclisme comme je l’aime. Je n’ai pas réussi dans l’immédiat car je ne trouvais pas la propriété que je voulais. Avec ma famille, nous avons fait d’autres choix, même si j’ai acheté un hôtel en 2003 qui ne correspondait pas au métier que j’avais envie de faire. À la fin de ma carrière, je me suis pas mal cherché sans forcément trouver ce que je voulais faire. Le Crédit Agricole, la formation dans laquelle j’ai terminé ma carrière, m’avait proposé un poste de relations publiques. Je l’ai occupé pendant neuf ans et parallèlement, en 2004, j’ai commencé à travailler avec la fédération en tant que sélectionneur. J’ai aussi ouvert un magasin de vélo. Et finalement, j’ai trouvé la propriété qui m’intéressait à la fin de l’année 2013, elle se trouve sur les routes où je m’entraînais. C’est vrai que ma reconversion a été difficile, mais la création d’un gîte était ma première idée. J’ai simplement mis quatorze ans à la réaliser.

Avez-vous suivi une formation pour assurer au mieux vos nouvelles fonctions ?
Oui, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai passé mon brevet d’état juste après la fin de ma carrière. Je voulais encadrer, les jeunes, les cyclos et plus généralement les passionnés de cyclisme. J’en rêvais depuis longtemps ! Ce n’est pas forcément une affaire qui rapporte mais elle me plaît. Je touche à tout : je m’occupe de l’espace qu’il y a autour, je fais du bâtiment, j’encadre les cyclistes, l’hiver je m’occupe des stages de cyclo-cross en traçant les circuits. C’est une vie qui me plaît et c’est assez intéressant.

Comment s’organise votre quotidien ?
Je gère tout tout seul. Au total, j’ai six gîtes avec des capacités différentes. Je demande aux personnes que j’héberge le programme qu’ils souhaitent faire et j’adapte mes circuits en fonction de cela. J’ai plusieurs propositions de circuit : sportif, touristique, dédié au sprint, au contre-la-montre par équipes. J’ai aussi un circuit carré, dessiné sur une crête, en plein vent, sur lequel on peut apprendre à sprinter, à se placer en fonction du vent qui souffle dans chacune des directions. Sur certains circuits, on peut faire du travail unijambiste. Bref, on travaille toutes les bases. On est à 20 kilomètres de Saint-Girons. Le Portet d’Aspet est le col le plus connu de ceux que l’on va monter. On a le col de la Core, le col d’Agnes, le Mur de Peguere, la Crouzette et plein d’autres cols sympa à proximité.

La déco de vos gîtes est-elle ponctuée de souvenirs de votre carrière ?
Chaque gîte possède un nom qui se rattache au vélo. J’ai une trentaine de photos encadrées, des maillots de coureurs que j’ai côtoyés comme Laurent Jalabert, Jean-Paul Van Poppel. J’ai gagné le trophée des pavés en 1997 sur Paris-Roubaix et il se trouve dans le Gîte Peloton. Je l’ai appelé comme cela parce que c’est celui qui a la plus grosse capacité d’accueil (douze places). J’ai le Gîte Sprint que j’ai décoré avec du vert et où se trouve mon maillot vert du Tour 1996 que j’ai reçu à s’Hertogenbosch. J’en ai un qui s’appelle l’Echappée parce qu’il se trouve un peu plus loin dans la propriété. J’ai ensuite le GPM qui est situé sur une colline. Et j’en ai un qui est tout en bas, largué, que j’ai appelé Grupetto. Là, j’ai un cadre d’Eric Vanderaerden. Enfin, il y a un gîte de deux places. Je n’ai pas pu m’empêcher de l’appeler le Tandem. En revanche, mon maillot jaune, je l’ai gardé à la maison.

À l’origine, d’où vous est venue cette idée ?
Lors de ma première année chez les professionnels avec Castorama, nous avons fait un stage de deux semaines à Aix-en-Provence. J’ai trouvé cet endroit super ! Je me suis dit que plus tard, ça me plairait vraiment de posséder une telle priorité. Financièrement, je n’avais pas les reins assez solides pour avoir quelque chose d’aussi beau qu’à Aix-en-Provence aujourd’hui. J’ai su que je voulais organiser ce genre de stage à vélo et même dédié à tous les sports. J’ai pas mal de cyclistes, mais en juillet-août, je loue plutôt aux touristes. C’est ce que j’ai fait l’été dernier pour ma première année d’activité. J’ai organisé ma propriété pour que l’on pratique tous les sports : j’ai un terrain de badminton et de volley, un terrain de rugby et de football, une piscine, quelques voies pour l’escalade et j’ai même créé un circuit de golf l’année dernière.

Ce projet ne vous a donc pas quitté, même à vos heures les plus glorieuses ?
L’idée a toujours été là. En 1997, je cherchais déjà des propriétés alors que j’étais encore coureur et que ça marchait plutôt bien ! En plus, nous allions tous les ans à Aix-en-Provence et j’y allais toujours avec beaucoup de plaisir. J’ai donc reproduit à ma façon. Mon produit n’est pas aussi haut de gamme. Mais j’ai fait ce dont j’avais envie. Quand je reçois des passionnés de vélo, on discute, on échange de notre passion. Je raconte mon expérience, je donne mon avis sur pas mal de choses, je donne des détails techniques, j’essaye toujours de les conseiller. À travers ce projet, j’ai pu rencontrer des gens qui aiment la même chose que moi.

Vous arrive-t-il de rouler avec les personnes que vous hébergez ?
Bien sûr ! Souvent même ! Ça dépend, étant donné que je ne m’entraîne pas beaucoup. Si ce sont des cyclotouristes et que le niveau n’est pas très élevé, je peux les accompagner. J’aime me balader à travers les cols que nous avons chez nous. Ce sont des routes sur lesquelles je m’entraînais et que je connais vraiment par cœur. Quand ce sont des groupes de jeunes, plus physiques, mais qui ont besoin de détails techniques, j’accompagne beaucoup en scooter. Comme cela, je peux suivre les premiers qui vont vite et les derniers qui ont plus de difficultés. J’arrive à me glisser dans le groupe et à donner les conseils en direct. Les repas se font aussi très souvent ensemble.

C’est ce à quoi se limite votre activité aujourd’hui ?
J’aime le vélo tranquille (il rit) ! Je n’ai plus la compétition en moi et faire ce genre de balades me permet de faire découvrir ma région. Quand je donne des précisions techniques, j’insiste beaucoup sur les bases. Et les bases, ce ne sont pas forcément les capteurs de puissance et les cardio-fréquencemètres. La base, c’est de savoir pédaler rond, être bien positionné et surtout prendre du plaisir. Boire, manger, sentir les odeurs, entendre les bruits. Et dans l’Ariège, on a de quoi faire ! J’aime le vélo comme ça, le vélo-découverte.

Votre renommée vous aide-t-elle à attirer le public ?
Oui, un peu. J’ai des clubs locaux et pas mal de personnes qui viennent en groupe de trois ou quatre. Voire des familles. Mais ce n’est qu’un début.

Votre passé de dirigeant vous aide-t-il au quotidien ?
Non pas tellement, pas du tout. En revanche, mon poste de sélectionneur m’a beaucoup enrichi. Cela m’a vraiment plu d’être auprès des coureurs et de pouvoir choisir les meilleurs coureurs français du moment. J’attaquais ce poste sans aucune expérience de directeur sportif et mon premier briefing a donc été celui donné juste avant les Jeux Olympiques d’Athènes, ce n’est pas rien ! Même en étant un ancien coureur, c’est compliqué. Personne ne m’a donné de conseil pour faire un briefing. Au final, cela m’a énormément enrichi. Le plus grand souvenir reste les Jeux de Pékin car l’équipe de France était vraiment superbe à ce moment-là.

Qu’en est-il de votre expérience de directeur sportif ?
Quand j’ai arrêté ma collaboration avec la fédération, je voulais voir ce que cela donnerait dans une équipe, mais ça n’a pas trop marché au niveau français. Je n’avais pas trop la cote, peut-être parce que je me suis embrouillé avec certains managers quand j’étais sélectionneur… L’équipe Sanofi m’a donné ma chance. Cela a été enrichissant pour plusieurs raisons. D’une part parce que j’étais dans une équipe américaine et que les briefings se faisaient en anglais. J’avais aussi affaire à des diabétiques et j’ai beaucoup appris sur cette maladie. J’ai aussi pu suivre des coureurs français qui m’ont plu, notamment Julien El Farès avec qui j’ai passé de bons moments.

Aujourd’hui, la page du cyclisme professionnel est-elle définitivement tournée ?
Franchement, je ne me sentirais pas de revenir dans une équipe pro. Je me suis rendu compte qu’il fallait souvent partir de la maison. C’est en partie ce qui m’a fait arrêter ma carrière de cycliste. Evidemment, avec une bonne proposition, ça peut être sympa parce que c’est un boulot qui me plaît. Mais maintenant que j’ai monté ma structure, je me rends compte que ma façon de travailler n’est pas super moderne. Je ne suis pas capable de monter un programme d’entraînement avec des capteurs de puissance ou ce genre d’outils. Je ne suis pas sûr d’avoir un rôle intéressant à jouer pour des équipes pros. En revanche, je suis capable de voir le coup de pédale d’un jeune, de voir sa posture sur un vélo et de l’améliorer. L’entraînement de base pour apprendre à pédaler, c’est ce que j’aime. C’est de là que vient le problème aujourd’hui dans les petites catégories. Aux petits, on leur colle des vélos en carbone, avec des roues profilées, un cardio-fréquencemètre et un capteur de puissance, mais certains ne savent pas tourner les jambes ! Avant de leur donner des outils comme ceux-là, il faut commencer par les bases : savoir faire un sprint, savoir se positionner quand il y a du vent, prendre des trajectoires, etc. Mon fils est en Junior, et nous n’avons jamais travaillé avec ces outils. Je pense pouvoir l’accompagner jusqu’en Junior 2. Après, je ne pense pas en être capable et il devra passer à un entraînement plus scientifique.

Et que donne le dernier représentant de la famille Moncassin ?
Les vraies bases il les a. On peut lui donner un VTT ou un BMX, il peut se débrouiller. Je lui ai fait faire de la descente, de l’enduro, de la piste, du cyclo-cross. C’est important de proposer à un jeune de faire toutes les disciplines. Il pourra choisir quand il aura goûté à tout et qu’il saura dans laquelle il sera le meilleur.

Pour le moment vers quelle discipline se tourne-t-il ?
Pour le moment, il fait plus de route que du reste. Il n’était pas mal en cyclo-cross, mais on a tout de suite vu sur les Challenges Nationaux que c’était plus difficile. Il tournait autour de la 15ème position. Mais je pense qu’il sera pas mal sur la route. Bien entendu, comme il n’est qu’en Juniors, on ne sait pas vers quel profil il évoluera. Mais j’aurais tendance à croire qu’il sera un coureur de classiques. L’important, c’est qu’il se fasse plaisir. Il nous fait aussi plaisir en perpétuant la tradition familiale car mon grand-père et mon père ont été d’excellents coureurs régionaux. C’est un grand plaisir et une grande fierté.

Le virus du vélo n’est donc pas près de s’éteindre chez vous et vous semblez au fait de l’actualité. Quel regard portez-vous sur la nouvelle génération de sprinteurs français qui ont pris votre relève ?
Je suis content car on a manqué de sprinteurs pendant longtemps. Il y a une dizaine d’années pendant lesquelles les Français ne pouvaient pas faire grand-chose face à la « concurrence » et avec les problèmes de dopage. Nacer Bouhanni, Bryan Coquard et Arnaud Démare ont des résultats encourageants. Ils sont jeunes et on atteint la plénitude vers 28 ans pour batailler avec les plus grands. Je leur donne encore quelque temps pour faire leurs preuves même s’ils font de bons résultats. Il leur manque encore un petit quelque chose, c’est sans doute la maturité.

Qu’est-ce qui vous séduit le plus ?
Ce sont des jeunes qui en veulent. Prenez Nacer Bouhanni par exemple. Quand il devient champion de France en 2012, il chute deux fois, dont une fois devant moi puisque j’étais dans la voiture de Sanofi. Quand on voit un caractère comme cela, c’est super ! Il faut qu’un sportif ait du caractère. Je connais moins Bryan Coquard ou juste par ses résultats. Quant à Arnaud Démare, c’est la classe ! Il a tout. Ce n’est pas le pur sprinteur, mais il a de la force. Il peut faire d’autres choses, notamment sur les classiques. D’ici deux ou trois ans, il peut réussir de grandes courses d’un jour. S’il arrive à le faire avant, c’est qu’il est surdoué.